17 février 1673 Mort de Molière

dimanche 18 février 2024.
 

1) L’Eglise catholique contre les comédiens

Au milieu du 17ème siècle, se développe le courant religieux fanatique connu sous le nom de dévots. Face à l’autonomisation de l’Etat royal vis à vis de la papauté, face à une ouverture culturelle battant en brèche le monopole de l’Eglise catholique en matière idéologique, ces dévots entament une guerre d’usure qu’ils gagneront dans les années 1680.

Molière, Descartes et La Fontaine contre les dévots

Cette guerre idéologique se focalise particulièrement contre le théâtre et les comédiens.

« C’est l’évêché de Châlons-sur-Marne, en 1649, qui semble être le premier à désigner explicitement les comédiens comme "pêcheurs publics", frappés à ce titre d’infamie, ce qui les exclut du droit de parrainage (le droit d’être parrain ou marraine) et leur interdit la participation à la sainte communion ainsi que des funérailles et une sépulture chrétiennes. Quelques années plus tard, en 1654, l’archevêque de Paris introduit les mêmes condamnations des comédiens dans le rituel de son diocèse, ce qui, cette fois, est d’une plus lourde conséquence, car c’est de son diocèse que ressortissent les deux plus célèbres et importantes troupes de comédiens du temps, à savoir les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne et ceux du théâtre du Marais. Dans les années qui suivront, presque tous les diocèses, les uns après les autres, prendront les mêmes dispositions à l’égard des comédiens. » (UN PARIA SOUS L’ANCIEN REGIME : LE COMEDIEN)

Le statut de "pêcheur public frappé d’infâmie" concernait en particulier les comédiens, les prostituées, les personnes vivant en concubinage, les usuriers, les magiciens et les sorciers.

L’exclusion sociale des comédiens s’aggrava encore en 1695 avec la décision de Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris, de refuser même le sacrement du mariage aux comédiens.

2) Mort de Molière et exclusion religieuse des comédiens (récit de son épouse Armande Béjart pour demander l’intercession de Monseigneur l’archevêque de Paris)

« Supplie humblement Élisabeth-Claire-Grésinde Béjart, veuve de feu Jean-Baptiste Poquelin de Molière, vivant valet de chambre et tapissier du roi et l’un des comédiens de sa troupe […], disant que vendredi dernier, dix-sept du présent mois de février mil six cent soixante-treize, sur les neuf heures du soir, le feu sieur Molière s’étant trouvé mal de la maladie dont il décéda environ une heure après, il voulut dans le moment témoigner des marques de repentir de ses fautes et mourir en bon chrétien ; à l’effet de quoi, avec instance il demanda un prêtre pour recevoir les sacrements, et envoya plusieurs fois son valet et servante à Saint-Eustache, sa paroisse, lesquels s’adressèrent à MM. Lenfant et Lechant, deux prêtres habitués en ladite paroisse, qui refusèrent plusieurs fois de venir, ce qui obligea le sieur Jean Aubry d’y aller lui-même pour en faire venir, et de fait fit lever le nommé Paysant, aussi prêtre habitué audit lieu ; et comme ces allées et venues tardèrent plus d’une heure et demie, pendant lequel temps ledit feu Molière décéda, et ledit sieur Paysant arriva comme il venait d’expirer ; et comme ledit sieur Molière est décédé sans avoir reçu le sacrement de confession, dans un temps où il venait de représenter la comédie, M. le curé de Saint-Eustache lui refuse la sépulture, ce qui oblige la suppliante [Armande] à vous présenter la présente requête pour être sur ce pourvu. »

3) Résumé du cirque imposé par l’Eglise catholique au cadavre de Molière

Pour administrer les derniers sacrements et bénéficier d’une sépulture, l’Eglise catholique imposait une abjuration écrite de sa profession de comédien (de renonciation) ou une abjuration orale sur son lit de mort.

Comme l’indique le récit de sa femme ainsi que d’autres témoignages, deux prêtres ont refusé de venir sur son lit de mort. Molière est donc décédé sans avoir signé de lettre d’abjuration, sans avoir abjuré oralement son métier de comédien et donc sans avoir reçu l’extrême onction.

En conséquence, la paroisse a refusé une sépulture pour son cadavre.

Suite à la lettre d’Armande Béjart, Monseigneur François Harlay de Champvallon, archevêque de Paris, permet au curé de la paroisse Saint-Eustache « de donner la sépulture ecclésiastique au corps du défunt Molière, à condition néanmoins que ce sera sans aucune pompe et avec deux prêtres seulement, et hors des heures du jour et qu’il ne se fera aucun service solennel pour lui, dans ladite paroisse Saint-Eustache, ni ailleurs ».

Cette position officielle de l’archevêché dénote l’immense ressentiment de l’Eglise à l’encontre de Molière :

- le faire enterrer par seulement deux prêtres alors que des dizaines officiaient pour des personnages sans intérêt,

- le faire enterrer de nuit pour marquer l’hostilité du clergé et éviter la présence d’une foule trop nombreuse,

- le faire enterrer sans "aucun service solennel"

- le faire enterrer plus de quatre jours après son décès

- le faire enterrer dans la terre d’un coin de cimetière

Le 9 mars suivant, La Gazette d’Amsterdam consacrera un article à la mort et à l’enterrement de Molière :

« … Il fut enterré le 21 du passé à Saint-Eustache sa paroisse (sic) à neuf heures du soir, pour éviter la foule incroyable de peuple qui se serait trouvée à son convoi, si on l’eût fait de jour. Cela n’empêche pas qu’il n’y eût 7 ou 800 autres personnes, suivies d’autant ou plus de pauvres, à qui on fit l’aumône que cet illustre défunt leur avait ordonnée un moment avant que d’expirer. »

4) Dogme catholique et théâtre du 4ème au 20ème siècle

La décision de l’archevêché de Paris concernant les obsèques de Molière s’insère évidemment dans la Tradition des conciles, Pères et Docteurs de l’Eglise.

Dès le 4ème siècle, le concile d’Elvire en Espagne, tenu en l’an 305, avait décidé l’excommunication des « histrions, pantomimes et cochers du cirque ». Personne n’était reconnu chrétien et donc, n’avait droit aux sacrements sans renoncer officiellement à un tel métier.

Ceci dit, la rigueur de ces prescriptions date en France des années 1650 et des batailles de l’aussi fameuse qu’ignoble Compagnie du Saint Sacrement.

Plusieurs acteurs réputés des pièces de Molière connurent les mêmes difficultés pour leur enterrement.

Tel est le cas de Claude de La Rose, dit Rosimond, personnage-clé du Malade imaginaire (Argan), de L’École des maris (Sganarelle), des Femmes savantes (Chrysale) fut enseveli sans clergé dans un endroit du cimetière où l’on enterre les enfants morts sans baptême.

Tel sera encore le cas d’Adrienne Lecouvreur, magnifique interprète de pièces de Racine puis de Voltaire. L’Eglise lui refusant un enterrement chrétien, "elle est donc enterrée à la sauvette par des amis du maréchal de Saxe et de Voltaire, dans le marais de la Grenouillère (actuel Champ-de-Mars)" (wikipedia). Voltaire, scandalisé, exprime son indignation dans le poème La Mort de Mlle Lecouvreur :

Et dans un champ profane on jette à l’aventure

De ce corps si chéri les restes immortels !

Dieux ! Pourquoi mon pays n’est-il plus la patrie

Et de la gloire et des talents ?

En plein milieu du 20ème siècle, il est surprenant de constater encore dans des journaux catholiques diocésains autant de haine du théâtre et même de toute la culture (poésie et musique par exemple).

Je rappelle aussi que le grand Mozart fut inhumé à Vienne le 4 décembre 1791, à l’issue d’un service funéraire sans messe ni musique, dans un cimetière des faubourgs de Vienne, dans une fosse commune pouvant contenir seize corps.

Jacques Serieys


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