Cette semaine nous avons vu débouler sur nos écrans un feuilleton particulièrement grotesque. Tout ce que le pays compte de bonnes gens et d’âmes sensibles a été invité à s’apitoyer sur le calvaire des patrons victimes de la toute-puissance et de la violence ouvrières. La grosse ficelle (le cable ?) court depuis plusieurs mois maintenant. En toute occasion, criminaliser le mouvement social. Les médias parlent ainsi de « séquestration » à propos de patrons retenus une paire d’heure ! Pourquoi pas de prise d’otage ? Cette indignation n’est pas innocente. Nicolas Sarkozy a confirmé la tentative d’instrumentalisation politique en dénonçant ces actions séance tenante au nom de « l’Etat de droit ».
De telles stratégies ne sont pas neuves. Elles ont marqué tous les temps de crise. Faute de pouvoir apporter des réponses aux victimes de la crise, le pouvoir tente de les isoler de la masse de la population menacée dans son avenir. Les salariés qui protestent sont donc rendus responsables de leur sort. Voire la cause du malheur des autres. Ils sont transformés en boucs émissaires. Il faut bien trouver des coupables dès lors que, comme Nicolas Sarkozy, l’on veut « refonder le capitalisme » plutôt que le remettre en cause et que l’on estime que « l’immense majorité des chefs d’entreprise souffre de la crise et se comporte formidablement bien ». Ainsi Raffarin a prétendu depuis la Chine que cette agitation sociale dissuadait les investisseurs ! Rengaine connue : ce sont les patrons qui créent de l’emploi et les syndicats qui les détruisent.
Rétablissons quelques vérités. D’abord sur la violence au travail. En France, on dénombre deux morts par jour dus à des accidents du travail, huit morts par jour dus à l’amiante, deux millions et demi de salariés exposés chaque jour dans leur travail à des produits cancérigènes, des millions d’hommes et de femmes poussés aux limites de ce qu’un être humain peut supporter. Tous sont victimes des exigences de rentabilité des patrons et actionnaires.
Cette violence est d’autant plus terrible qu’elle n’est pas socialement reconnue. Il en va ainsi par exemple des suicides au travail. Il est toujours extrêmement difficile de faire admettre la responsabilité des entreprises concernées. Et pourtant l’organisation du travail qu’elles imposent est souvent en cause. Ainsi en 1995, la CGT avait dénombré pas moins de huit suicides sur une année chez des travailleurs d’entreprises sous-traitantes chargées de la maintenance de la centrale nucléaire de Chinon. Personne ne voulait y voir autre chose qu’une série noire de dépressions individuelles. Pourtant ces drames mettaient en lumière une réalité méconnue : l’organisation du travail en zone irradiée. Pour respecter la législation sanitaire EDF fait en effet se succéder sur ces postes des travailleurs en sous-traitance ou intérim... et se sépare d’eux dès qu’ils ont atteint la dose-limite d’exposition. De même, les suicides du Technocentre de Renault, plus médiatisés car touchant des cadres, ne peuvent être séparés de la décision du patron de Renault d’obliger son entreprise à augmenter le dividende par action de 250%. Dire cette violence patronale est une exigence vitale car lorsqu’elle est niée, ses victimes finissent parfois par se sentir coupables et retournent cette violence contre eux-mêmes. Violence patronale et occultation médiatique forment un cocktail funeste. Ceux qui voudraient le servir à nouveau aux victimes des licenciements devraient donc y réfléchir à deux fois.
Par ailleurs, les ouvriers qui retiennent leur patron pour l’obliger à négocier agissent dans le silence de la loi. Si celle-ci instituait un droit de veto des représentants du personnel sur les licenciements le dialogue social serait une obligation. Non pas une simple formalité, la nécessité d’informer les travailleurs du sort qui a été décidé pour eux, mais l’obligation de convaincre et donc de procéder à un échange argumenté. La raison est le meilleur rempart contre la violence. Son exercice suppose des êtres libres et égaux en droit. Elle est possible dans la République, elle ne l’est pas dans l’entreprise car, pour citer Jaurès qui y voyait « la contradiction fondamentale de la société présente », « au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique il est dans l’ordre économique, réduit à une sorte de servage ». L’abandon de la puissance publique, qui s’est privée des moyens de contrôler les licenciements, a encore aggravé cette situation. En refusant la loi du servage patronal, les travailleurs font donc un acte de désobéissance civique. En rejetant leurs chaînes de serfs ils défendent les liens du citoyen. Leur action est donc éminemment républicaine. Loin de menacer l’Etat de droit, leur révolte est créatrice de droit, de la même manière que la République dans notre pays est fille d’une insurrection populaire. C’est donc à la fois en militants de gauche et en militants républicains que nous sommes à leurs côtés.
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