Philippe Marlière, universitaire en sciences politiques (passé du PS au NPA) : « Un Front de gauche PCF-PG-NPA a un espace » (entretien avec Michel Soudais, Politis)

dimanche 13 septembre 2009.
 

Philippe Marlière, maître de conférences en sciences politiques à University College London, est spécialiste des mouvements socialistes et sociaux-démocrates contemporains. Il a publié récemment La mémoire socialiste 1905-2007. Sociologie du souvenir politique [1] et La social-démocratie domestiquée. La voie blairiste [2], et est membre du comité de rédaction de la revue Mouvements. C’est à tous ces titres qu’il était, à l’université d’été du PS à La Rochelle, l’un des intervenants de la table ronde consacrée à la crise de la social-démocratie.

Bien que membre du PS de 1989 à 2009, date à laquelle il a rejoint le NPA, il n’avait jamais assisté à une université d’été socialiste. Il m’a semblé intéressant de lui demander de nous faire part de ses impressions sur le rendez-vous de La Rochelle.

L’université d’été du PS est-elle vraiment un lieu de formation et de débat ?

Philippe Marlière : Il y a une mise en scène : on veut tenter de faire croire, en particulier aux médias, que c’est un lieu de débat avec l’organisation de nombreux ateliers et séances plénières. Le ban et l’arrière-ban du parti est là ; les leaders de premier plan animent des ateliers et se mettent au service des militants qui peuvent poser des questions... En réalité même si un certain nombre de sujets sont abordés, cela reste des sujets relativement convenus et l’on ne touche pas aux sujets les plus brûlants. Il y a aussi autre chose qui me surprend, pour un parti de gauche qui entend possiblement réunir la gauche, c’est le faible nombre d’autres partis de gauche.

Il y a eu tout de même, cette année, j’en suis l’exemple, une espèce d’ouverture à des chercheurs et intellectuels un peu plus critiques, une rupture avec cette espèce de ronron – tous les ans le PS invitait un peu les mêmes – qui ressortait les idées reçues un peu sociales-libéralisantes dans lesquelles le PS patauge depuis plus de 20 ans. Si ce ne sont que quelques personnalités perdues dans la masse, je pense que c’est quand même une mise en scène annuelle qui essaie de montrer que le PS est un parti qui n’évite pas le débat d’idées alors que l’on sait que ce n’est pas le cas.

Sur les primaires, par exemple, il y eu un tam-tam médiatique lancé par le think-tank Terra nova, relayé par les médias style Libération, qui ont amené des leaders, qui étaient contre, à se prononcer en faveur. Quand Aubry est arrivée, elle n’avait plus qu’à aller dans le sens. Mais il n’y a pas de débat là-dessus ! C’est un exemple qui montre que le débat est hyper-canalisé et que les militants ont très peu la parole.

Toute la presse semble satisfaite des annonces de rénovation faites par Martine Aubry. Le PS aurait enfin trouvé le remède qui va lui permettre de renouer avec les électeurs. Comment le chercheur et spécialiste de la social-démocratie apprécie ces mesures ?

Il y a déjà un aspect sympathique de sa personnalité : lorsqu’elle dit « moi je ne suis pas intervenue dans les médias parce que je ne suis pas aux ordres de ces médias en particulier les médias dominants », c’est plutôt une bonne chose et déjà une différence avec nombre de leaders socialistes. Elle est intervenue en son temps dans un long article dans Le Monde, où elle s’est juste prononcée en faveur des primaires. Et vendredi, devant les militants, elle annonce :

- des mesures anti-cumul des mandats. Il a dû y avoir des pontes qui ont blêmi, mais c’est en route maintenant. Je vois difficilement comment on pourrait faire marche arrière. Or c’est un très gros sujet la professionnalisation et l’accaparement des mandats par un petit nombre d’élus.

- Les primaires évidemment.

- Un long développement sur l’écologie. Mais je crois (c’est clair quand on lit ce billet d’opinion dans Le Monde) elle ne parvient pas à sortir de ce prêt-à-penser mou, social-libéral, qui a cours dans ce parti depuis une vingtaine d’années. Or aujourd’hui pour faire des réformes environnementales profondes, pour aller dans le sens d’une plus grande justice sociale, nous sommes arrivés à un point où il faut à gauche repenser le rapport au capitalisme de manière beaucoup plus critique et virulente, penser et imaginer ce qu’on appelait dans le temps des réformes de structure. Je ne les vois pas. On a des réformes qui restent à la surface des choses.

On l’a bien vu samedi matin dans la plénière sur la crise quand Susan George a proposé la nationalisation des banques, une mesure frappée au coin du bon sens. À voir le désarroi s’afficher sur les visages des socialistes présents, y compris certains qui s’affichent à gauche dans ce parti, on mesure l’incapacité culturelle et idéologique à revoir ce prêt-à-penser et ces idées reçues molles. N’oublions pas que ce sont encore les sociaux-libéraux, même s’ils adoptent un profil plus bas, qui mènent le jeu des idées. Terra nova n’est pas la gauche du parti loin de là. C’est eux qu’on a vu en avant sur la question des primaires. Montebourg qui était vu dans le parti (ce qui m’a toujours surpris) et par certains chercheurs comme incarnant la gauche du parti a finalement renié tous ses idéaux d’antan et est actuellement un cumulard. C’est très bizarre.

Malheureusement, je ne vois pas la gauche du parti avoir un ascendant. Après tout ce qu’a dit la gauche du parti depuis 10-15 ans, le moment serait propice pour qu’elle occupe le centre du parti. Mais, je ne vois pas choses se dérouler ainsi.

Vous n’avez aucun regret d’avoir quitté le PS pour rejoindre le NPA ?

Aucun. Mon départ est une réaction peut-être davantage d’intellectuel : il se trouve que j’habite à Londres et j’en avais assez, après 20 années d’appartenance au PS, de me retrouver dans un parti dont je partageais de moins en moins les orientations et surtout dont je ne me reconnaissais absolument pas dans les dirigeants, un parti qui, selon moi – je l’ai dit dans mon intervention –, a une image tellement brouillée qu’on se demande s’il veut encore continuer à être de gauche. Quand j’observe le gros débat qui s’annonce sur l’alliance possible avec le MoDem, un thème aussi moderne que la reconduction des alliances de troisième force sous la IVe République entre la SFIO et le MRP, si on en est là, non je ne veux pas en être. J’étais content de retrouver certains copains, des gens de gauche tout à fait honnêtes, mais je n’ai pas de regret.

Le NPA est clairement sur une position de gauche dans laquelle je me reconnais, mais je dois dire aussi que, du fait de cette dérive droitière du PS dont je ne perçois aucune marche arrière - il y a des effets d’annonce mais pas de revirement substantiels -, un Front de gauche incluant le PCF, le Parti de gauche et le NPA, a un espace. Il y a un espace en France pour une gauche radicale, une gauche qui puisse s’entendre non sur des réformettes déconnectées les unes des autres mais sur une ligne politique nouvelle qui engagerait le pays, si on revient au pouvoir, sur une ligne de gauche véritable et pouvant faire des réformes de structure pour reprendre au capitalisme ce qu’il a empiété sur nos vies et notre bien être. Là, il y a quelque chose à faire et je suis d’un œil intéressé les rapprochements au sein de la gauche de gauche.

Notes

[1] L’Harmattan, Paris, 2007, 26 euros.

[2] Les éditions Aden, Bruxelles, 2008, 176 pages, 19 euros.


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