SOFA et troupes américaines en Pologne : une décision grave pour la paix en Europe et dans le monde

vendredi 12 mars 2010.
 

Connaissez-vous le SOFA ( « Statut régissant le stationnement de troupes américaines sur le sol polonais ») ?

Les premiers missiles américains Patriot seront déployés en Pologne en avril. Les premiers soldats américains arriveront au même moment. Le peuple polonais n’a pas été consulté. Le 26 février, le président polonais Lech Kaczynski a ratifié un accord « sur le statut régissant le stationnement de troupes américaines sur le sol polonais ( SOFA). » Le président polonais a-t-il informé, a-t-il consulté les gouvernements européens, les parlements des pays européens ? A-t-il consulté le Parlement Européen ?

Le déploiement de missiles américains Patriot « est une affaire américano-polonaise », affirme le gouvernement polonais. Non, ce n’est pas une une « affaire intérieure polonaise », les missiles défensifs-offensifs Patriot seront installés sur le sol européen, la Pologne fait partie de l’Europe. Et la Pologne a adhéré à l’Union Européenne en 2004. Les missiles peuvent être orientés vers l’Est, Ouest, Nord ou Sud, et se trouveront à 60 km de la frontière russe, par-dessus le marché.

Le bouclier antimissile américains sera installé dans le nord du pays, près de l’enclave russe de Kaliningrad, et non près de Varsovie comme initialement prévu. « Les Américains seront beaucoup plus à l’aise là-bas que près de la capitale polonaise », a déclaré le ministre polonais de la défense Bohdan Klich. Je veux bien le croire. Les militaires américains ne seraient pas à l’aise dans la banlieue de Varsovie, le population polonaise étant majoritairement hostile à leur présence.

La première « escadre de défenseurs de la civilisation occidentale », avec leurs « missiles de la paix » sont attendus à la frontière russe prochainement, dit-on dans les couloirs du palais présidentiel polonais sans rire. Les troupes américaines utiliseront « avantageusement » le site qui jadis abritaient des unités soviétiques du Pacte de Varsovie. Une provocation en plus, le Pacte de Varsovie a été dissous il y a vingt ans.

« Ce qui est crucial, c’est que tout le territoire de la Pologne sera défendu », a dit le premier ministre polonais Donald Tusk. Contre qui ? Il semble qu’il faille se polariser à présent sur le « terrorisme iranien ». Le « danger iranien « est devenu après quelques hésitations « une certitude ». Il y a un an, le danger venait encore de la Corée du Nord. Je le déclare sans ambages, je regrette le bon vieux temps du « terrorisme nord-coréen » du président Bush junior. C’était grandiose. Les missiles tirés du territoire nord-coréen en direction de l’Alaska ou des Iles Salomon allaient survoler la banlieue de Varsovie. C’était une certitude, les élites polonaises ont répété cette version de Washington sans états d’âme, sans la moindre hésitation. Ca rigolait dans les tavernes de Varsovie. Avec l’option iranienne, c’est plus sérieux, c’est plus plausible. Un missile tiré du territoire iranien pour frapper les Îles Hawaii ou la Californie a tout de même quelque chance de survoler la frontière russo-polonaise. Regardez à l’instar du Dictateur de Charlot le globe terrestre pour vous en convaincre.

Que dit l’Union Européenne ? Rien. Les dirigeants européens n’ont pas encore eu le temps d’ouvrir le dossier polonais, ils regardent vers « l’horizon indépassable du capitalisme libéral ». En attendant, la « partie élargie » de l’Union, en l’espèce la Pologne, s’expose à des frappes nucléaires « préventives » russes. Les déclarations en ce sens se multiplient dans la presse russe. Et le ministre russe de la Défense Anatoly Serdioukov déclare que son pays a l’intention de déployer rapidement des missiles tactiques Iskander dans son enclave de Kaliningrad, car la Russie se sent « directement menacé par l’Europe ». Du silence étourdissant de l’Union Européenne, les autorités russes, qui ne s’embarrassent pas de détails, ont conclu que « l’Europe est complice » dans cette affaire.

Mais où est passé l’OTAN ? Elle n’est pas mentionnée pour le moment dans les déclarations officielles polonaises. Pourtant chacun sait que les bases militaires américaines se déploient « dans le cadre de l’ OTAN élargie », décidée à la réunion au sommet de Lisbonne. Il est banal de rappeler que les dirigeants polonais ont signé le Traité de Lisbonne - malgré les clauses sociales jugées « exécrables », « nuisibles », comparées à la « mauvaise herbe » - pour être pour ainsi dire dans l’obligation d’appliquer l’article 27 ( copie conforme de l’ancien article du traité rejeté par le peuple français le 29 mai 2005) qui stipule que la politique de défense et de sécurité de l’Union Européenne s’effectue « dans le cadre de l’OTAN ». Le gouvernement polonais a envoyé « dans le cadre de l’OTAN », au côté des Etats-Unis, un contingent important en Irak et en Afghanistan. Mais il reste incontestable que les dirigeants polonais se méfient de l’OTAN. L’OTAN est jugée « peu sûre », « peu opérationnelle », « agissant mollement face au terrorisme international », et ayant tendance à « capituler devant l’ours russe ». L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord est jugée par les élites libérales polonaises « trop européenne ». Bref, pas assez belliciste. Les frères Kaczynski ont fait savoir dans leurs missives destinées au président Obama (rédigées en anglais, jamais publiées par la presse polonaise, contre-signés par Walesa, Havel et d’autres ) qu’ils se sentiraient « beaucoup plus en sécurité » si la défense de leur pays était « prise en charge directement par les USA ». Les mauvaises langues disent que les frères Lech et Jaroslaw verraient bien la Pologne comme « le 51° Etat américain ». Ce qui est certain, c’est que l’ancien président tchèque Havel irait s’installer volontiers dans ce nouvel Etat américain à la frontière tchèque, persuadé que « les communistes s’apprêtent à prendre le pouvoir » dans son pays. Lui aussi a « offert » le sol de son pays à Bush junior pour son radar antimissile, refusé par la suite par le président Obama, jugé peu opérationnel et trop coûteux. L’ancien dissident Havel traine un « gros chagrin » depuis.

Sans doute ne faut-il pas chercher ailleurs les causes profondes de cette phénoménale continuité, voulue et réalisée par la droite polonaise à travers les années de guerre froide et de la période « postsoviétique  » : le paradigme de la pensée de ces activistes est que la mission des Etats-Unis d’Amérique est de « sauver le monde libre du communisme ». Les fanions américains flottant au- dessus du bouclier antimissile sur le sol polonais annoncent « la victoire définitive du capitalisme libéral et de la Pax Americana ». La patrie de Jean-Paul II est désormais taillé pour l’éternité.

A quel jeu, à la fois enfantin, cynique et mortel, assistons-nous à Washington et à Varsovie ? La première année de la présidence d’Obama s’achève par une décision politique aux conséquences redoutables pour la paix en Europe et dans le monde. Cette décision désastreuse a été prise à Washington. Jamais cependant, au grand jamais, les militaires américains n’auraient réussi à installer leurs engins de mort aux frontières russes, s’ils n’y avaient pas été invités, avec une intention bien définie, par les dirigeants polonais, avec l’aide de la conspiration du silence des dirigeants de l’Union Européenne. Nous ne pouvons empêcher, à la vérité, à cette étape, que l’armée américaine installe ses bases en Pologne en avril prochain. Mais nous pouvons et nous devons combattre les bellicistes américains et européens, toujours prêts à museler les peuples en entretenant la peur.

Karel Kostal


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