Bacon a-t-il fondé
 la science moderne  ?

lundi 3 mai 2010.
 

Héritier de la Renaissance, influencé par la pensée magique, le savant britannique, qui s’écarta de la tradition humaniste, a laissé une œuvre souvent simplifiée par la postérité.

Francis Bacon, l’humaniste, le magicien, l’ingénieur

de Mickaël Popelard, PUF, 2010, 230 pages, 24 euros.

Quelle place et quel rôle convient-il d’accorder à l’œuvre de Francis Bacon dans la naissance de la science moderne  ? A-t-il véritablement, comme il en avait l’ambition, refondé les sciences en énonçant les règles d’une méthode nouvelle de connaissance des phénomènes naturels  ? Au XVIIe et au XVIIIe siècle, on n’en doutait guère et Bacon a été célébré aussi bien par les savants de la Royal Society de Londres que par d’Alembert et les encyclopédistes, pour avoir préparé le siècle des Lumières et élaboré la charte de la nouvelle « philosophie expérimentale », en jouant un rôle actif dans ce que l’on baptisera ultérieurement la « révolution scientifique » 
du XVIIe siècle. Mais d’autres, comme Alexandre Koyré, ont considéré que « Bacon n’a jamais rien compris à la science », que son rôle dans la fondation de la scientificité moderne a été nul ou presque et que loin d’avoir été l’un des acteurs de cette révolution, ce mathématicien médiocre était beaucoup plus proche des alchimistes et des magiciens que de Copernic, dont il n’a pas adopté le système astronomique, ou de Galilée, dont il a critiqué les travaux. De son côté, Thomas Kuhn ne voit pas dans les histoires naturelles de Bacon autre chose qu’une sorte de « fatras ».

Mickaël Popelard, d’une certaine façon, s’efforce de dépasser cette alternative. Dans les deux cas en effet, c’est soit pour l’avoir anticipée, soit pour être passé entièrement à côté d’une conception de la science qui ne s’est forgée qu’ultérieurement, que Bacon est loué ou décrié. L’auteur s’efforce plutôt de faire émerger l’idée que Bacon se faisait réellement de la science en évitant le piège de la rétrospection, et en retenant trois aspects principaux de son œuvre  : sa rupture partielle avec l’humanisme de la Renaissance, le mouvement de revalorisation des arts mécaniques, longtemps méprisés, auquel il a largement contribué, et le rapport complexe qu’il a noué, comme la plupart de ses contemporains, avec la magie, l’astrologie, la sorcellerie, la superstition. De sorte qu’il est en effet peu pertinent de le situer en position d’initiateur d’une « révolution scientifique » qui n’a sans doute d’ailleurs jamais eu lieu.

Si la tentative de Mickaël Popelard est louable, elle n’est pas tout à fait originale  : chacun sait aujourd’hui que la magie et la sorcellerie tiennent encore à l’époque de Bacon en ­Angleterre ou de Descartes en France une place considérable dans la culture des élites. Personne n’ignore non plus que la catégorie historiographique de « révolution scientifique » ne peut être utilisée sans précautions. Mais pour les lecteurs non anglophones, qui ignorent tout de l’Angleterre au XVIIe siècle, l’ouvrage apporte des éléments intéressants et utiles de mise en contexte de l’œuvre très importante de Bacon.

Simone Mazauric Historienne et philosophe des sciences


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