16 novembre 2006 Le Parti Socialiste fait un pas supplémentaire vers une social-démocratie néo-libérale

samedi 18 novembre 2023.
 

16 novembre 2006 : Nous pressentions une large victoire en faveur de Ségolène Royal. Ce fut un raz de marée, un tsunami même dans certains départements et sections. Préparer soigneusement chaque argument et chaque enchaînement d’arguments, parcourir les sections, se coucher entre minuit et deux heures du matin aura seulement limité la lame de fond.

Il y a des moments dans l’action politique où il faut prendre du recul sur son activité militante pour essayer de faire le point. Mon avis à chaud :

Oui, les 3 candidats à la candidature du PS pour les présidentielles ne représentaient pas des projets très différents d’où quelques animateurs locaux de la gauche du parti qui n’ont pas mené campagne pour privilégier Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn s’il y avait eu un second tour.

Oui, le vote de ce soir éclaire une évolution en cours du PS vers un parti démocrate à l’américaine, essentiellement promoteur d’élus, représentant de couches sociales plus populaires, d’aspirations plus démocratiques que la droite mais ne remettant pas en cause les rouages du système capitaliste. Le vote de ce soir représente évidemment un indicateur important de ce processus et non un évènement soudain lié au succès d’une personne. Ségolène Royal n’est pas plus responsable que d’autres de ce glissement droitier plus marqué que la SFIO des années 1956 à 1965. Je pense même à certains qui me paraissent plus droitiers qu’elle.

Oui, la façon dont beaucoup d’élus du PS se sont agglutinés autour de Ségolène seulement parce qu’elle bénéficiait d’un bon écho électoral momentané, en bonne partie construit par des médias, montre que cette couche d’élus est essentiellement déterminée par sa propre survie électorale, évolution que le parti radical a déjà connue dans le premier quart du 20ème siècle. Depuis plusieurs années, l’appareil autour de François Hollande éduquait le parti sur la nécessaire évolution d’un socialisme de la production à un socialisme de la répartition ; en fait, cette orientation "socialiste" laissait fonctionner la logique naturelle du capitalisme en espérant que l’enrichissement des riches ruissellerait vers les couches populaires, si nécessaire par quelques décisions complémentaires du pouvoir politique. C’est d’une part utopique, d’autre part suicidaire pour la gauche, pour le mouvement ouvrier mais aussi pour la République sociale, laïque et démocratique telle que résumée dans le préambule de la Constitution.

Oui, ce soir, je crains un suicide de la gauche française du type de la gauche italienne dans la quinzaine d’années à venir par des manoeuvres politiciennes à courte vue, seulement pour gagner l’élection suivante. Ségolène Royal fait partie de ces dirigeants de la social-démocratie française naturellement portés vers une stratégie d’alliance Socialistes Ecologistes et "Centristes". Cependant, elle n’est qu’un symptôme d’une maladie collective ; je me rappelle trop des discours sur l’entreprise de Fabius en 1984, des écrits blairistes de Hollande dès cette année-là et des références "théoriques" de Strauss Kahn pour jeter la pierre sur elle seule.

Oui, ce soir, le parti socialiste s’est éloigné de ses racines de 1905 et 1981. Je ne surestime pas ce qu’était le Parti socialiste de mai 1981, ni même celui de 1905 ; ceci dit, ses textes d’orientation, son programme, sa base sociale et électorale, ses alliances et sa pratique politique permettaient à un socialiste anticapitaliste habitant en milieu rural d’y militer activement et franchement. Oui, ce soir, je doute, surtout 18 mois après la victoire du Non de gauche au TCE.

Il y a des moments dans l’action politique où les phénomènes de masse présentent un aspect inéluctable dont il faut essayer de comprendre les raisons. Tel est bien le cas ce soir. Ceci dit, je préviens mon lecteur : j’ai connu des périodes où l’on entendait beaucoup parler de la fin de la social-démocratie, par exemple autour de 1957 - 1962 et juste après 1968.

Je reste prudent car le trajet vers une vraie force de gauche capable de mener une politique de gauche ne peut pas s’éclaircir, ce soir, sur un clavier d’ordinateur ; il demandera bien des mouvements sociaux et bien des débats politiques, y compris au sein de la social-démocratie.

1) Si nous essayons d’analyser le cas du département de l’Aveyron, à quoi est dû ce tsunami ?

- des personnes sincères ont voté Ségolène Royal à la suite des médias et sondages la présentant comme la plus apte à éviter un nouveau 21 avril. De nouvelles adhérentes ont effectué un vote de solidarité "féminine".

- beaucoup d’élus ont choisi de surfer sur l’élan Ségolène. En majorité, il s’agit d’élus typiquement sociaux démocrates et sociaux-libéraux, cherchant toujours le bon fil de l’eau dans l’évolution des rapports de forces internes au PS pour ne pas être isolés lors de l’élection suivante ; plus globalement, ces élus se sont adaptés à une évolution massive des cadres du parti qui privilégient la promotion individuelle sur la clarté des choix politiques au service du salariat et des couches populaires, qui privilégient leur promotion individuelle au dépens de la raison d’être du parti : avancer vers le socialisme.

- un nombre important de militants de la gauche du parti ont été désorientés depuis quatre ans par l’explosion de la Gauche socialiste, par les zigzags d’Emmanuelli et Montebourg... En Aveyron, tous les dirigeants et militants de NPS et "Rénover maintenant" ont contribué à donner au courant ségoléniste une image rassembleuse.

- l’afflux de nouveaux adhérents (moitié des votants en Aveyron) a lourdement pesé. Ma propre section d’Entraygues, qui était ancrée dans la gauche du parti depuis 1905 a voté cette fois-ci majoritairement autrement ; ses nouveaux adhérents ont porté leurs voix sur Ségolène Royal. Par sa composition sociale, une majorité de nouveaux adhérents, cadres et professions supérieures, se retrouvent assez bien dans un discours moderniste blairiste. Il faut prendre en compte aussi le retour au PS de cadres politiques de l’aile "social-démocrate" du parti qui ont réadhéré au printemps dernier, sentant que la roue de l’histoire tournait en leur faveur. Par ailleurs, beaucoup de ces nouveaux adhérents n’ont pas participé aux débats de section. L’exemple le plus flagrant est celui de Millau où seulement 23 adhérents ont participé au débat pour 112 votants ( 5 Fabius, 97 Royal, 10 DSK). L’afflux d’adhérents récents a submergé dans plusieurs sections les noyaux anciens de la gauche du parti.

- quiconque connaît le parti socialiste, sait à quel point sa vie interne, y compris dans chaque fédération, est structurée par des courants et sous-courants liés à des personnalités politiques nationales. Pourquoi le vote de ce soir a-t-il balayé à ce point, momentanément, ces courants et sous-courants ? En Aveyron, Ségolène Royal réalise des scores de république bananière dans de vieilles sections dirigées par de vieux militants philosophiquement républicains. Je crois que la campagne de valorisation de Ségolène Royal menée par de nombreux médias depuis six mois constitue la principale explication. Ceci dit, la posture unifiante de Ségolène, rendant ces courants responsables des défaites électorales récentes a été reçue positivement.

- globalement le discours de Ségolène Royal est beaucoup mieux passé dans la base du parti que ceux de Strauss Kahn ou Fabius. Dans les débats de section, des adhérents la soutenaient parce qu’ils en avaient marre des vieilles têtes qui avaient échoué, parce qu’elle était plus jeune, plus sincère, porteuse d’idées plus claires, plus populaires. Nous avions senti cette adhésion dès le printemps dernier (voir l’article sur ce site Pour les présidentielles, meeting de Ségolène Royal à Rodez le 12 mai : affluence, prestance et divergences

2) L’ampleur du vote pour Ségolène Royal n’est pas spécifiquement aveyronnais. Il s’explique évidemment par des processus de fond.

Nous savions tous, après le 21 avril, que le PS était à un tournant de son histoire, vers une orientation démocrate à l’américaine, avec flons flons médiatiques, personnalisation de leaders, abandon de toute référence à la lutte de classes... ou la réaffirmation d’une orientation socialiste type 1981 avec les alliances, la stratégie et le programme qui vont avec.

Il est évident qu’une bonne partie des élus s’est fondue dans les institutions depuis 1981. Il est évident que l’évolution européenne et internationale de la social-démocratie pèse lourd dans un résultat comme celui de ce soir...

Je crois cependant que ces données objectives pouvaient être compensées par une gauche du parti cohérente.

Or, les dirigeants qui se sont présentés comme la gauche du parti ont eu un parcours incompréhensible. J’aimerais que quelqu’un m’explique l’évolution d’Henri Emmanuelli (malgré mon respect pour ses convictions) d’Argelès en 2002 où il démolit François Hollande jusqu’au Congrès du Mans puis son appel à lui pour la présidentielle. J’aimerais encore plus un bilan sérieux de ce phénomène transcendantal ayant nom Arnaud Montebourg. Quant à d’autres dirigeants du NPS avec qui Gérard Filoche a fait alliance comme Vincent Peillon, il est plus facile d’affronter des ennemis que de travailler avec un allié pareil.

L’ampleur du vote pour Ségolène Royal pousse à analyser en profondeur ce qui s’est passé. Je me limiterai à une piste. Un pas décisif vient d’être franchi vers le basculement du PS sur l’orientation majoritaire de la social-démocratie européenne et mondiale. Cette orientation social-libérale s’appuie sur des évolutions de la société française, en particulier le poids de la communication-séduction, des médias, des sondages, de la personnalisation politique people, des grands groupes économico-financiers. Elle vient de loin quant à l’évolution d’une partie des élus et du personnel politique. Les réalités historiques, politiques et sociales de notre pays ne laissent pas encore place à une telle évolution sans de profonds soubresauts, venant y compris d’une partie de ceux qui ont voté Ségolène Royal aujourd’hui ; comment peser dans un tel contexte ? probablement en partant d’une analyse de l’ensemble de la société française aujourd’hui, plus que des rapports de forces internes au parti socialiste.

Dans un tel contexte, je souhaite le maximum de clarté politique et d’autonomie de Trait d’Union et de la gauche du parti, même si des alliances conjoncturelles seront souhaitables et inévitables.

Partons d’un moment de référence : la campagne pour le non en 2005.

Nous avions contribué à une prise de conscience citoyenne massive. Nous avions gagné un respect important dans les milieux militants syndicaux, altermondialistes, laïques, écologistes. Nous n’avons pas tout perdu de cet acquis ; cependant, le vote de ce soir symbolise un échec très important de notre stratégie à l’intérieur du parti socialiste. Ne coupons pas plus notre lien tissé en 2005 avec la gauche anticapitaliste, avec tous ceux qui sont prêts à reprendre le combat face à la droite et à l’Europe libérale, avec tous ceux pour qui "un autre monde est possible". Malgré leurs limites, certaines gauches au gouvernement en Amérique latine (vénézuéla, Bolivie...) prouvent que des marges de manoeuvre existent pour une politique conservant une autonomie vis à vis du grand capital international et des USA.

Une grande majorité des Français vit dans une situation d’urgence sociale. Notre camp, c’est d’être à leurs côtés, de contribuer à stopper la destruction capitaliste et libérale des acquis sociaux et républicains de notre société.

3) J’ai choisi pour titre de cet article : " Aujourd’hui, 16 novembre, le parti socialiste s’est éloigné de ses racines de 1905 et 1981".

Il serait trop long de développer ici une comparaison historique. Ceci dit, je suis surpris de voir utiliser aussi souvent des citations de Jaurès pour défendre des orientations tout à fait différentes. Voici par exemple la définition du parti socialiste par la motion du congrès de fondation en 1905 : " Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution. "

Ségolène Royal et d’autres utilisent des citations hors contexte, comme on faisait la soupe : moins on a de bons légumes et de bonne viande à mettre dans l’eau plus il faut utiliser du vieux lard. Quant au parti socialiste de 1981, il est évident qu’il portait un programme commun et une stratégie à mille lieues des candidatures Royal et Strauss Kahn.

Même la récente Déclaration de principes du parti socialiste apparaît bien éloignée de la pratique politique réelle de la direction et d’une Ségolène :

"Le Parti socialiste est un parti de transformation sociale. La faillite des sociétés bureaucratiques ne lui fait pas oublier que le capitalisme développe les inégalités, accentue les déséquilibres mondiaux, exploite les richesses du Tiers-Monde et maintient dans de nombreux pays chômage et exclusions. Le Parti socialiste est donc favorable à une société d’économie mixte qui, sans méconnaître les règles du marché, fournisse à la puissance publique et aux acteurs sociaux les moyens de réaliser des objectifs conformes à l’intérêt général. Il agit pour son dépassement par de nouvelles formes d’organisation économique et sociale donnant aux salariés une véritable citoyenneté dans l’entreprise. Dans les secteurs clés qui déterminent la formation du citoyen (l’école, l’université, la télévision), les conditions de vie (logement, santé, environnement), il n’accepte pas que les logiques du marché soient seules déterminantes. Un service public fort, I’aménagement du territoire, la planification, la politique budgétaire et fiscale doivent permettre démocratiquement aux citoyens de dégager les grandes priorités nationales.

Le Parti socialiste est un parti ancré dans le monde du travail. Les mutations incessantes et profondes des sociétés contemporaines n’ont pas éliminé les oppositions des classes et groupes sociaux. C’est pourquoi, si les socialistes participent au combat pour le progrès de toute la société, ils sont particulièrement attentifs aux intérêts des salariés et au développement de toutes leurs capacités d’action".

Conclusion :

C’est le peuple qui tranchera tout cela sur des propositions concrètes. L’odeur du vieux lard ne servira à rien ; beaucoup de citoyens de ce pays veulent du solide : de quoi manger, se loger, se déplacer, s’habiller, élever ses enfants. Dans la crise sociale et politique que connaît notre pays, nous devons tout faire pour éviter que Sarkozy et même Le Pen apparaissent comme la seule "rupture" possible avec l’ordre établi. Pour cela nous devons oeuvrer à un débouché réellement socialiste sur la base des intérêts du salariat, des jeunes, des retraités, des couches populaires. Nous devons défendre et développer les acquis républicains et sociaux, imposer une rénovation démocratique des institutions.

Maintenant, la bataille de l’élection présidentielle est engagée et la gauche doit la gagner en ne désorientant pas son camp, en répondant aux attentes des couches populaires. Dans ce cadre, nous serons actifs et exigeants.

Après l’élection, la gauche du PS se trouvera à un carrefour. Nous essaierons de choisir la bonne direction pour rester utile à notre peuple et à nos convictions.

Hasta la victoria siempre !

Jacques Serieys


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