Justice de luxe et justice des plus démunis : deux poids deux mesures

samedi 17 juillet 2010.
 

Entretien avec Corinne Dreyfus-Schmidt, présidente de l’Association des avocats pénalistes

À une extrémité, la justice des plus démunis, à flux tendu. De l’autre côté, la délinquance financière, jugée dix à quinze ans après les faits. Pour l’avocate Corinne Dreyfus-Schmidt, présidente de l’Association des avocats pénalistes, dans un cas comme dans l’autre, c’est le manque de moyens qui est en cause.

Quel est selon vous le problème principal des comparutions immédiates  ?

Corinne Dreyfus-Schmidt. C’est le lieu où la justice à deux vitesses est la plus flagrante. Les avocats commis d’office n’ont pas toujours une formation de pénaliste, donc pas automatiquement tous les réflexes nécessaires. C’est une juridiction où l’on voit toute la misère du monde, pas la délinquance en col blanc, et les avocats choisis délibérément y sont rares. Ceci alors que le tribunal est saisi d’un dossier construit par les seuls policiers, sans contrepoint de la défense. Tout a été établi pendant l’enquête de flagrance au cours de laquelle nous, avocats, n’avons aucune prise sur ce qui se passe. Concrètement, le parquet qualifie les faits avec les services de police au téléphone. Et ensuite, tout va très vite, nous avons quelques minutes pour consulter les dossiers, au mieux quelques heures. Et comme le mandat de dépôt est dégainé extrêmement rapidement, si on demande des mesures complémentaires ou des expertises psychiatriques, on a un danger réel qu’en attendant qu’elles soient réalisées (cela prend trois semaines environ) la personne soit placée en détention. On y assiste en outre à une augmentation du nombre d’emprisonnements ferme et du quantum de ces peines.

Y a-t-il des différences de traitement entre les tribunaux  ?

Corinne Dreyfus-Schmidt. Oui, comme dans toute la justice, on sait très bien que les tribunaux à Paris ou en région parisienne sont moins répressifs que dans l’est de la France ou dans le sud. Mais la différence va bien au-delà. À la 17e chambre de Paris, celle du droit de la presse, on passe parfois des heures à disserter du poids d’un mot, des heures pour savoir si il y a diffamation ou non à l’encontre de telle personnalité, ou atteinte à sa vie privée. Mais quand il s’agit d’envisager la situation d’un étranger sans papiers qui a volé à la tire dans le métro, ça va très, très vite. Le décalage est flagrant entre cette justice de luxe (on aimerait qu’elle soit comme ça partout) où les peines encourues sont extrêmement faibles (souvent du sursis, plus symbolique qu’autre chose) et la justice des plus démunis… Pour cette dernière, on a le sentiment qu’on répond toujours au même problème  : la gestion de flux. On veut se débarrasser d’un maximum d’affaires en un minimum de temps. La comparution immédiate permet de dégager rapidement les dossiers  : tout se fait dans l’immédiateté.

Pourquoi continue-t-on à penser 
que la justice est trop lente  ?

Corinne Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas se tromper. Si on regarde les délais entre la commission des faits et le moment où la personne comparaît devant le tribunal, les délais, en effet, peuvent être longs. Cela tient a à un manque de moyens  : s’il y avait plus de greffiers, plus de juges, la justice serait moins longue. Mais je pense aussi que le temps est important. Dans les petites infractions, surtout pour les mineurs, c’est bien que l’auteur soit jugé assez rapidement pour qu’il comprenne le sens de la peine et pour son aspect pédagogique. Mais pour les affaires graves comme les affaires criminelles du temps est nécessaire pour la prise de conscience de la personne qui a commis les faits, des événements se passent, des témoins parlent… La rapidité n’est pas toujours synonyme d’efficacité dans la justice. Il faut savoir adapter le temps en fonction du type d’affaire à traiter.

Où le décalage est-il le plus important  ?

Corinne Dreyfus-Schmidt. Pour les délits financiers. Dans ce domaine, il y a des dossiers qui mettent 
dix ans, quinze ans 
avant d’arriver devant une commission de jugement. Certes, il peut y avoir des commissions rogatoires internationales, les investigations sont parfois compliquées, mais juger les gens dix ans après les faits, ça n’a pas vraiment de sens. Parce qu’il s’agit de finance, on considère que le trouble à l’ordre public n’est pas aussi grave. Donc, les moyens ne sont pas là.

Entretien réalisé par Anne Roy


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