« Si affirmer sa culture est un crime, je suis un criminel » (Osman Baydemir, maire de Diyarbakir, Kurdistan)

dimanche 14 novembre 2010.
 

Élu maire de la grande ville de Diyarbakir au Kurdistan, Osman Baydemir est poursuivi, avec 150 autres prévenus, 
par le gouvernement turc. Leur crime, défendre la reconnaissance du peuple kurde. Entretien.

Bien que maire démocratiquement élu, vous êtes poursuivi pour « atteinte à la sécurité de l’État ». Quelle est votre réaction ?

Osman Baydemir. Je suis avocat depuis 1995 et, depuis cette date, les inculpations et les condamnations à mon encontre sont quatre fois supérieures à celles de mes clients ! On peut dire que l’AKP (le Parti de la justice et du développement, formation du premier ministre turc, Recep Erdogan – NDLR) est très compétent pour maquiller les choses, pour transformer le noir en blanc. En 2006, les lois ont été changées en Turquie, permettant de mettre des enfants en prison. À douze ans, treize ans ou quatorze ans, des centaines de gosses ont été condamnés, certains à trente ans d’emprisonnement. Personne n’a rien dit. Mais, quand il y trois mois, ce même pouvoir a allégé le dispositif, les représentants de l’UE s’en sont félicités en oubliant qui était à l’origine de cette loi.

La question kurde n’a rien à voir avec le terrorisme, contrairement à ce que l’on voudrait faire croire. C’est une lutte pour la justice, la liberté, l’égalité. L’Europe doit savoir cela. Malheureusement elle se contente d’une information unilatérale, venant de l’État turc. Depuis plusieurs années, les représentants ne viennent plus, de façon officielle, dans la région du Kurdistan. Ils se contentent de rencontres à Istanbul et Ankara. Ils acceptent tout ce que dit le gouvernement turc concernant la question kurde. Il faudrait au contraire que les gouvernements européens, les institutions de l’Union européenne, vérifient les informations et rencontrent les représentants kurdes, notamment le BDP (Parti pour la paix et la démocratie dont est membre Osman Baydemir – NDLR). Mais pour que les États européens changent leur politique il faut une pression de l’opinion publique. Le rôle des médias est particulièrement important. Que votre journal, l’Humanité, soit le seul média international présent au procès, à Diyarbakir, est important et un signe de l’attitude des autres grands médias qui préfèrent rester à Istanbul. Il y aura des libérations de prisonniers pour satisfaire l’UE mais dans le même temps beaucoup d’arrestations. Devant le tribunal, nous n’obtiendrons rien. Tout dépendra de la mobilisation de l’opinion publique, en France et en Europe.

Que répondez-vous aux accusations de terrorisme ?

Osman Baydemir. Si défendre les droits de l’homme et la démocratie est un crime, alors, oui, je commets un crime. Si revendiquer le droit à ma culture, à mon identité, à ma langue, est un crime alors, oui, je suis un criminel. Nous continuerons à lutter et à commettre ce crime jusqu’à la reconnaissance de nos droits. Nous ne revendiquons pas grand-chose. Nous voulons une Turquie démocratique et un Kurdistan décentralisé, autonome. Nous ne sommes pas contre une grande Assemblée nationale en Turquie. Mais nous voulons aussi un parlement au niveau régional. Nous ne sommes pas contre le fait que le turc soit la langue officielle mais nous voulons que dans le cadre d’une décentralisation, au Kurdistan, le kurde soit aussi une langue officielle. Comme la Catalogne en Espagne, par exemple. C’est la 29e révolte kurde. Nous continuerons jusqu’à la reconnaissance de notre réalité.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey


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