Psychiatrie ou flichiatrie ? (Dossier PG)

lundi 6 juin 2011.
 

L’adoption définitive par le Parlement du projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » devrait avoir lieu fin juin ou début juillet. Au Sénat, ce texte a suivi un parcours chaotique, la majorité étant divisée à son sujet.

Voici, telles que résumées par le sénateur Jean Desessard, les questions auxquelles doivent répondre les parlementaires lors de l’examen de ce texte : « Faut il avoir peur des fous ? Faut-il punir ou guérir ? Et comment guérir, par la parole ou par la seringue ? »

1- Des « fous dangereux »

La différence entre le « fou » et le non fou ne réside pas dans une différence de nature mais dans une différence de degré. En outre, la folie n’est pas une maladie incurable, mais un état, qui peut se déclarer tardivement et, dans de nombreux cas, peut se soigner ! On ne nait pas « fou »/psychotique, et le fait de le devenir à un moment de sa vie ne signifie pas qu’on le reste ad vitam aeternam. Ces idées humanistes, avancées lors de la révolution psychanalytique du début du 20ème siècle, la droite semble les ignorer superbement. Le projet de loi part du présupposé qu’il existe deux catégories d’individus, les fous et les non-fous, et désigne le malade psychiatrique comme un « autre » absolu. Pourtant, on estime qu’un quart à un tiers de la population française souffre de troubles psychiques. Comme l’a dit le sénateur Jack Ralite, du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, dans le débat sénatorial : « La folie est fragilité et composante incontournable de l’être humain ».

Plus inquiétant encore, dans le contexte sécuritaire actuel, le projet de loi procède à un amalgame ahurissant entre délinquance et maladie mentale : ses dispositions sous-entendent que le fou est un être dangereux dont la société doit se protéger. Pourtant, seuls 2,7 % des actes de violence sont commis par des personnes atteintes de troubles psychiatriques (alors qu’elles sont victimes d’actes délictuels quinze fois plus que la moyenne). Le projet de loi n’envisage la folie que sous l’angle du trouble à l’ordre public. Les médecins souhaitaient pourtant en finir avec cette notion en matière de psychiatrie, pour la remplacer par la notion plus restrictive de mise en danger d’autrui. On peut en effet troubler l’ordre public sans menacer personne. Leur demande est loin d’avoir été entendue !

2- Une obligation de guérir

Actuellement, les hospitalisations sous contraintes, c’est-à-dire sans le consentement du malade, représentent moins de 20 % des enfermements psychiatriques. Si elles sont parfois nécessaires, elles concernent tout de même 70 000 personnes chaque année, soit deux fois plus qu’en Italie ou au Royaume-Uni. Citant Dostoïevski, Jack Ralite a souligné que « ce n’est pas en enfermant son voisin qu’on se convainc de son propre bons sens ».

L’hospitalisation sous contrainte a été créée par la loi Esquirol de 1838 et modifiée par la loi Evin de 1990. On en distingue deux sortes. D’une part, l’hospitalisation à la demande d’un tiers. D’autre part, l’hospitalisation d’office qui peut intervenir à la demande du Préfet en cas de trouble à l’ordre public.

Le projet de loi crée une nouvelle forme : l’hospitalisation pour péril imminent, qui pourra être demandée par un médecin.

Le projet de loi devait répondre à une décision du Conseil constitutionnel de novembre dernier, qui obligeait le législateur à faire intervenir le juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cas d’une hospitalisation sous contrainte, cette dernière étant considérée comme une mesure privative de liberté. Le JLD devra statuer quinze jours après l’hospitalisation. Cette mesure parait néanmoins inapplicable tant les JLD croulent sous le travail. On estime que quatre-vingt juges à temps plein devraient être embauchés pour répondre à cette nouvelle mission de la justice. Pour pallier à l’engorgement, le législateur a sorti une botte secrète : la vidéo conférence entre malade, juge et médecin. Une farce quand on connaît le peu de moyens informatiques dont dispose la justice.

Un autre aspect important du texte de loi réside dans les « soins ambulatoires sans consentement ». Quèsaco ? Durant une hospitalisation sous contrainte, le patient peut recevoir un traitement contre son gré. Cette obligation de prendre des médicaments pourra désormais s’appliquer alors même que le patient ne se trouve plus à l’hôpital. Ces soins ambulatoires sans consentement seront obligatoirement précédés d’une hospitalisation de 72 heures, que certains assimilent à une véritable « garde à vue psychiatrique ».

Cette absence de consentement à la prise de médicament pose véritablement problème eu égard aux libertés publiques. Ils rappellent l’obligation de soins dont peuvent être assorties les sanctions pénales, par exemple pour un violeur. Est-ce à dire que les malades psychiatriques sont des délinquants qui doivent être soumis, au même titre que des criminels, à l’obligation de se soigner ? En outre, l’essentiel du traitement des psychotiques consiste à établir une relation de confiance entre soignant et soigné pour faire en sorte que le traitement médicamenteux, éventuellement imposé au départ, soit pris de manière volontaire par la suite. Cela exige un véritable dialogue entre les médecins et le malade, et la prise de conscience par le psychotique, de sa maladie.

Quel est dès lors l’intérêt d’un traitement médicamenteux imposé ? Le gouvernement fait de l’affichage sécuritaire. Juges et médecins se transforment en contrôleurs sociaux d’individus considérés non plus comme en détresse, mais comme dangereux.

3- Des moyens pour la psychiatrie !

Le but des soins ambulatoires sans consentement semble aussi de faire de la place dans les hôpitaux psychiatriques. 40 000 places en hôpital psychiatrique ont été supprimées ces vingt dernières années. La valorisation de l’activité en psychiatrie (VAP), l’équivalent de la tarification à l’activité pour la psychiatrie, fait des ravages. Le Dr Paul Machto, psychiatre signataire de la pétition du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, dénonce un « Hôpital-entreprise » entré dans l’ère de la gestion.

Le concept de prévention, s’il se réfère à une notion de normalité, et celui de guérison, s’il se réfère à une normalisation, vont à l’encontre de toute démarche thérapeutique dans le champ de la psychiatrie. Avec cette loi, les fous sont condamnés à devenir « normaux », à coup de médicaments. La manière dont une société traite ses « fous » en dit long sur l’humanité dont elle fait preuve. En matière de soins psychiatriques, et une fois de plus, la droite a fait le choix de la répression et du « moins-disant humaniste ». Le chantier était pourtant énorme, puisque la loi de révision de la loi de 1990 aurait du intervenir depuis plus de vingt ans ; elle n’a jamais été adoptée. Pendant ce temps, les malades et leurs proches souffrent du manque de moyens alloués à la psychiatrie.


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