"La Lucidité" face à la crise de la représentation politique (lettre de René Revol, porte parole national des collectifs unitaires)

samedi 9 décembre 2006.
 

Il arrive que des oeuvres de fiction, romans ou films, vous fassent mieux comprendre le mouvement du réel, alors que le poids du quotidien vous l’obscurcit. Gérard Perrier, un ami marseillais, a attiré mon attention sur le dernier roman traduit en français du grand écrivain portugais, José Saramago, Prix Nobel de littérature en 1998.

« La Lucidité » - puisque c’est son titre - claque comme avertissement à toute l’Europe. Ce roman raconte une histoire singulière : dans un pays imaginaire, lors d’une élection municipale dans la capitale, la classe politique découvre avec effroi le soir du dépouillement que 70% des électeurs ont voté blanc. Affolées, les autorités politiques annulent dans la panique les résultats et convoquent à nouveau les électeurs le dimanche suivant ; et c’est 80% des électeurs qui votent blanc ! Je vous laisse le soin de lire la suite mais Saramago met ici le doigt sur l’état d’urgence politique que nous connaissons déjà quasiment partout en Europe.

La crise de la représentation politique et le décalage croissant entre les aspirations populaires et la réponse des parlements et gouvernements en place nourrissent une aspiration à un changement radical. On le sait : cette crise politique se croise avec une crise sociale de grande ampleur, le capitalisme contemporain marqué par la tyrannie des marchés financiers entraînant chaque jour un peu plus de populations dans la spirale des fins de mois difficiles.

Cet état d’urgence politique et social finit toujours par s’exprimer d’une manière ou d’une autre dans les urnes. Si la gauche ne lui offre pas une perspective de transformation sociale la radicalité de la situation risque bien de ne pas s’exprimer par des votes blancs mais par des expressions électorales radicales d’une toute autre nature. La place grandissante des partis d’extrême droite dans les pays d’Europe de l’Est, l’irruption des néo-nazis dans un Parlement régional allemand, un tiers de l’électorat flamand qui vote aux municipales pour un parti xénophobe et raciste, la présence constante d’un Le Pen dans les sondages proche des 20 %, toute cela ne semble pas émouvoir nos élites.

Une autre voie existe. Par exemple aux élections législatives hollandaises une gauche authentiquement socialiste et populaire a fait irruption en obtenant 17 % des suffrages et talonnant un parti travailliste compromis dans le social libéralisme. Quand on sait que la Hollande a voté massivement Non au TCE, et notamment l’électorat de gauche, cette nouvelle devrait interpeller la gauche française. Maintenant que le Parti Socialiste a fait le choix de suivre les sondages et d’investir une candidate qui cède à l’idéologie dominante libérale et sécuritaire, il est d’une importance capitale que la gauche de transformation sociale s’unisse et présente un front commun aux prochaines élections.

Depuis plus de deux mois je parcours le pays en tant qu’un des porte- paroles provisoires du rassemblement antilibéral et je peux vous affirmer que ce besoin d’unité de la gauche et que cette gauche soit en rupture avec le libéralisme est partagé par un public populaire de plus en plus nombreux. Aux responsables de l’entendre et d’y répondre comme Jean-Luc Mélenchon nous y appelle dans son entretien dans Politis de cette semaine, qui relance l’espoir de « l’union dans l’union ».

Pour terminer je reviendrai à José Saramago qui répond à un journaliste qui lui demande ce qu’il pense du vote Non de la France (Le Monde 24 novembre) : « Je ne sais pas quelle France a voté cela, mais j’ai beaucoup aimé ce sursaut. D’un point de vue culturel, la France est pour moi d’une importance fondamentale, même si je pense qu’elle a laissé tomber son rôle de phare. Si vous réussissez à le récupérer, ce serait formidable pour l’Europe et le monde. »

René Revol


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