L’ENJEU ... Jean-Luc Mélenchon a de sérieux atouts (Clémentine Autain)

samedi 12 février 2011.
 

1) Le « contre-choc » des civilisations

D’abord, le fond de l’air politique, c’est la révolution en Tunisie, ce sont les révoltes en Égypte, les mouvements au Maghreb. Je me prépare à aller voir de visu ce qui s’y passe. Nous avons à apprendre de ces soulèvements dans le monde arabe. Il n’y a pas de recettes magiques exportables mais l’irruption du peuple est toujours une leçon, un espoir, un levier puissant de transformation. Renverser un régime aussi autoritaire que celui de Ben Ali : chapeau ! Le fourmillement politique généré par l’ébullition révolutionnaire est un acquis pour les Tunisiens. Rien ne sera plus comme avant. Le mouvement est en-lui même porteur d’émancipation individuelle et collective. La perspective politique est évidemment posée, en des termes qui ne sont pas ceux de chez nous – songeons notamment à la chape de plomb qui a empêché les mouvements sociaux et politiques, humanistes et progressistes, de travailler, de s’organiser, de s’implanter. Il ne sert à rien de crier au loup en expliquant partout qu’il n’y a pas d’alternatives, que les islamistes radicaux vont prospérer sur le terreau du mécontentement. On ferait mieux d’appuyer l’exigence démocratique qui s’est exprimée, de tisser des liens avec les secteurs qui cherchent à cristalliser les révoltes vers un changement de système, institutionnel et économique. L’urgence, c’est la tenue d’un processus constituant qui permette de changer en profondeur les règles du jeu démocratique. Que la révolution soit contagieuse dans le monde arabe est une bonne nouvelle. Joli pied de nez à tous les amateurs de la théorie du « choc des civilisations ». Non, les Occidentaux ne sont pas les détenteurs de la revendication des valeurs de liberté, d’égalité et de démocratie. Nous assistons à une sorte de « contre-choc des civilisations ». Nous n’avons pas fini de prendre la mesure de l’impact géopolitique de ce qui se produit.

2) Et nous, et nous, et nous ?

Évidemment, à côté, la France paraît bien terne. A notre échelle, nous avons pourtant des raisons de souhaiter un changement de régime. 4 millions de chômeurs, apprenait-on hier matin dans les journaux. Délocalisations, précarité, services publics menacés par des suppressions massives de postes ou par l’introduction de normes de marché, lois restreignant nos libertés comme la LOPPSI, etc. Pendant ce temps là, les profits, la spéculation et l’oligarchie se portent bien, merci. La logique de restriction des budgets publics et de sauvetage du système, quoiqu’il en coûte, est à l’œuvre. FMI, normes de l’Union européenne, gouvernement Sarkozy/Fillon : même combat. Et le peuple, on s’en fout, on s’en moque. Quoiqu’il dise, quoiqu’il vote (ou ne vote plus), là n’est pas la question. Malheur…

Nous avons besoin de politique. L’exaspération, qui s’est notamment exprimée dans le grand mouvement sur les retraites, est là. La combattivité sociale est rendue difficile par les échecs, par des conditions de vie dégradée, par des formes d’organisation n’ayant pas opéré de mutation, et se retrouvent donc pour une part inadaptées aux aspirations contemporaines. La combattivité n’en est pas moins quotidienne et souvent radicalisée. L’actualité des conflits sociaux ne fait pas la Une des journaux - sauf L’Humanité ! - mais elle constitue un point d’appui politique considérable. Je ne suis pas du tout du genre à estimer que la révolution, c’est pour demain ou qu’au moindre indice, ça y est, ça va péter. Je dis juste qu’un climat de contestation s’ancre en France. Il est d’ailleurs symptomatique de voir qu’à droite, certains l’observent, le redoutent. Je pense notamment à Dominique de Villepin qui reproche en gros à Nicolas Sarkozy de favoriser un terreau révolutionnaire.

L’enjeu est donc la cristallisation politique de cette révolte, en partie exprimée, en partie latente. Je reste stupéfaite de ce paradoxe du moment : la crise du capitalisme se déploie sous nos yeux, et celles et ceux qui contestent ce système, qui réclament une alternative, ne polarisent pas la vie politique, ne font pas carton plein. Je sais, le XXe siècle est plombant. Les expériences à gauche ont douché les espoirs. Mais il faut remettre l’ouvrage sur l’établi. Et nous avons des biscuits. Encore faut-il faire de la politique… C’est-à-dire bâtir un projet, un imaginaire, une stratégie. Avec un objectif : l’unité du peuple. Car sans sa mise en mouvement, rien ne sera possible. Nous avons donc à chercher la voie d’une mobilisation politique des catégories populaires. Depuis longtemps, je pense que cela passe par un premier déclic : le rassemblement de toute l’autre gauche. Et par un profond travail d’innovation.

3) Mélenchon, le Front de Gauche, le NPA, la Fase et les autres

C’est à l’aune de ces partis pris que j’observe avec attention ce que propose Jean-Luc Mélenchon avec le Front de Gauche et ce que fabrique le NPA pour son Congrès, qui a lieu début février.

Nous avons à agir dès maintenant, dans la confrontation idéologique, dans les batailles sociales ou encore en vue des cantonales de mars prochain. Mais au fond, ce qui paralyse ou peut déployer notre capacité d’intervention immédiate, c’est la mise en ordre de marche pour les élections présidentielles et législatives de 2012 Parce que ce rendez-vous est politiquement structurant. On peut regretter amèrement ce piège de la présidentielle qui privilégie la personnalisation à outrance de la politique au lieu de mettre l’accent sur les projets portés par des démarches collectives. Mais nous en sommes là. Une bonne révolution citoyenne permettrait de bouleverser cette donne. Mettons-nous donc en situation de la préparer, à partir du réel d’aujourd’hui…

A gros traits, comment se présentent les choses ?

Mon impression générale : d’un côté (autour de Jean-Luc Mélenchon et du Front de Gauche), l’affichage sans détour d’un objectif de rupture avec l’ordre dominant, d’affrontement à gauche avec la ligne sociale-libérale, et pour ce faire, d’une stratégie d’unité de la gauche de transformation ; de l’autre (NPA), le repli, le procès d’intention, la panne stratégique. Ce n’est évidemment pas aussi simple mais l’essentiel peut à mon sens être résumé ainsi.

Nuançons, précisons.

Côté Front de Gauche, il reste notamment en suspens l’interpellation bien menée par la Fase sur sa nature et ses formes.

Pour une dynamique digne de ce nom, il faut dépasser le cartel d’organisations. Une coopération nouvelle est à inventer pour permettre l’inclusion d’individus et de collectifs militants, intellectuels, sociaux, politiques, culturels, qui pourraient garder leur identité tout en participant au cadre commun

Un texte de personnalités circule d’ailleurs pour demander une adhésion directe au Front de Gauche.

Créer une dynamique du Front de gauche Au-delà du soutien, être partie prenante (APPEL)

J’y souscris. En outre, les partis pris stratégiques essentiels sont là – alliant radicalité et quête de majorités – mais, entre le PCF et le PG notamment, les interprétations peuvent être différentes, ce qui n’est pas sans poser question. Le curseur final dépendra des polarités à l’intérieur du cadre qui sera élaboré.

La transformation du Front de Gauche doit permettre d’élaborer les clarifications. Enfin, la novation n’est pas encore pleinement au rendez-vous… Reste au Front de Gauche à porter cette exigence de quête de renouveau et de modernité – forme, fond, stratégie. Face à ces défis, l’espoir est permis. Car le Front de Gauche est un espace de rassemblement, fut-il partiel, présent dans les luttes sociales et ayant pour projet de construire une gauche digne de ce nom.

Côté NPA, le texte présenté par la majorité sortante en vue du Congrès m’a fait un peu froid dans le dos. C’est fermé à double tour. Un classique : en situation difficile, externe et interne, la direction du NPA choisit la voie du repli. La distinction avec les autres courants de la gauche d’alternative apparaît très marquée comparativement à des textes antérieurs, plus ronds, plus enrobant sur les objectifs unitaires. Le texte fige des incompatibilités, qui apparaissent uniquement d’ordre stratégique. Il est essentiel de noter que les divergences de fond ne sont pas au cœur de la mésentente avec le reste de la gauche radicale.

Quand j’entends Olivier Besancenot dire partout qu’il faut y aller « step by step » en commençant par le programme, je reste perplexe.

D’autant qu’en 2007, on avait commencé par le programme, en se mettant d’accord sur une centaine de propositions pour aboutir à… trois candidatures.

Ce qui me frappe dans le texte de la majorité sortante du NPA, c’est le déficit de perspective stratégique. En tout cas, je ne la perçois pas, je ne la comprends pas.

Le Front de Gauche et ses alliés potentiels sont interpellés en ces termes : « La question de l’indépendance vis à vis du PS est une question décisive. Oui ou non les socialistes sont-ils un rempart face à la politique de la droite et des capitalistes ? Oui ou non, le programme du PS est il compatible avec la défense des intérêts des classes populaires ? Oui ou non, ceux qui votent pour et ceux qui votent contre le plan « d’aide » à la Grèce peuvent-ils cohabiter dans un même gouvernement ? Oui ou non est-il possible de rompre avec le capitalisme sans rompre avec ses institutions ? L’unité sur le terrain électoral exige des réponses claires à ces questions. »

Pour ma part, et sans doute pour une large majorité de celles et ceux qui se reconnaissent dans le Front de Gauche, à toutes ces questions je réponds clairement « non ».

Alors pourquoi bâtir des murs à partir de procès d’intention entre nous au lieu de contribuer à bâtir un cadre large pour être efficace, tout simplement utile ?

Le NPA pourrait tenter cette voie sans risque, alors que l’isolement est assurément sans issue, si ce n’est pour le contentement de soi d’être resté pur et dur. In fine, quelque pourrait être le choix de certains partenaires, personne n’obligera le NPA à soutenir ou à participer à un gouvernement dans lequel il ne se reconnaîtrait pas.

Car je renvoie une question au NPA : est-il possible, oui ou non, de peser sur le cours des choses et de transformer la vie des gens sans l’unité de tous ceux qui combattent la logique capitaliste ? A part ressasser en boucle que l’on ne peut rien faire avec le PS, ce qui ne résout absolument pas la question de l’alternative politique, quelle est la stratégie du NPA ? L’accent est mis sur le soutien et l’investissement dans les luttes. Or il me semble que, ce qui a beaucoup manqué au mouvement social sur les retraites, c’est la perspective proprement politique. Pour reprendre la main, imposer nos thèmes, nos urgences, pour faire reculer le gouvernement et conquérir des avancées sociales, il est indispensable qu’émerge une grande force politique de transformation. Si le PS mène des politiques inadmissibles, l’enjeu est de savoir comment ceux qui veulent une autre gauche, d’affrontement avec le capitalisme, peuvent être majoritaires sur le terrain des idées, du social et des élections. Le NPA compte-t-il y parvenir seul ? Qu’il soit alors permis d’exprimer de sérieux doutes sur les chances d’aboutir à quelque chose, vu l’état des forces – non négligeables mais largement insuffisantes. Ou le NPA a-t-il abdiqué sur le terrain proprement politique, en estimant qu’il y a juste à attendre, avec conviction et activisme, le soulèvement populaire qui règlera la question ? Si c’est ça, disons que les amis de Julien Coupat ont sans doute une longueur d’avance en matière de cohérence politique…

Bref ! Je ne m’y résous pas. Ne pas faire avec le NPA serait un immense gâchis. Pour une bonne et simple raison : ce qui nous rassemble est supérieur à ce qui nous divise. Parfois, j’ai l’impression que la direction du NPA n’accepterait de s’allier qu’avec des gens qui pensent comme eux. Or, si nous n’avons pas cette conception du rassemblement, exigeant et ouvert, du nécessaire compromis avec ceux qui vont dans la même direction mais qui ne sont pas tout à fait comme nous, l’unité est une impasse. Rien ne sert alors de brandir l’objectif unitaire à tout va puisque la multiplication des conditions empêche sa réalisation concrète. Je veux croire que dans les mois qui viennent, un dialogue sera renoué. Je veux croire, à terme, que tout l’arc des forces de la gauche digne de ce nom parviendra à faire cause commune. Il le faut.

Venons-en à ce qui nourrit la friction.

Le profil de Jean-Luc Mélenchon, par sa culture socialiste, son histoire au PS, ou par son style politique, n’est pas sans poser questions, notamment s’il s’agit d’incarner la gauche issue du courant révolutionnaire, de représenter les traditions communistes nées de la Révolution de 1917. J’entends l’objection. Elle n’est pas sans fondement. J’entends aussi qu’il n’incarne pas d’évidence le renouveau. Mais il ne faudrait pas en oublier l’essentiel pour l’heure : l’unité comme perspective incontournable si l’on veut peser sur le cours des choses et ne pas recommencer le concours de nains politiques de 2007 ; et le pragmatisme qui consiste à choisir la candidature susceptible de rassembler le plus largement et d’être audible et percutante dans le grand public. De ce point de vue, Jean-Luc Mélenchon a de sérieux atouts. Il m’apparaît le mieux placé. Il ne ménage pas ses efforts pour essayer de rassembler tout l’arc des forces et sa voix porte, ce qui est fondamental dans une élection comme celle-ci. Si quelqu’un a une candidature alternative crédible à opposer à ce choix, je ne doute pas qu’elle sera regardée avec attention. A ce stade, il faut entrer dans le vif du sujet. Et se mettre en situation de construire la campagne la plus collective et la plus dynamique possible.

Mon obsession, c’est l’unité et la novation. C’est écrit, c’est posé.

Clémentine Autain


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