La pratique sportive est le seul moyen de l’émancipation physique de l’homme

samedi 31 mars 2012.
 

La « tribune libre » de Jean-Philippe Acensi, « Le sport ne sert pas qu’à faire des champions », publiée dans l’Humanité du 4 janvier, m’incite à engager un débat. Au risque de choquer, je considère que le sport en soi ne remplit aucune mission sociale, comme il n’a aucune valeur. Le sport a une fonction, une utilité, une nécessité. De ce point de vue, le sport est neutre. En revanche, la façon dont sont organisés les sports, les lois et règlements régissant ces organisations dépendent des objectifs que l’on veut assigner à la pratique sportive, à la façon de pratiquer le sport, des « valeurs » qu’on veut lui attribuer, qui peuvent être positives ou négatives. La pratique sportive, l’organisation sportive ne sont pas neutres.

Le sport en soi assume deux fonctions essentielles  : il est le principal moyen actuel permettant le maintien de l’activité physique pour laquelle le corps animal, donc le corps humain, s’est construit. Il est le seul moyen de l’émancipation physique de l’homme. L’homme réellement émancipé l’est tant d’un point de vue intellectuel que physique. De ce point de vue, le sport doit être une des matières de base de l’école publique. Les fondamentaux de l’émancipation intellectuelle sont savoir lire, écrire, compter. Les fondamentaux de l’émancipation physique sont savoir courir, sauter, lancer. Ces deux fondamentaux ont autant d’importance l’un que l’autre. S’il en manque un, l’homme ne sera jamais réellement émancipé.

La grande spécificité de l’organisation de la pratique sportive en France est qu’elle s’est développée selon la logique associative. Il a été ainsi possible de mettre en activité concrète près de 16 millions de personnes, ce qu’aucune autre forme d’organisation n’a jamais pu atteindre, ni rivaliser. Le sport, fait unique, s’est organisé et développé à partir d’associations, qui sont des structures de droit privé, mais non lucratives, qui ont constitué « un service public citoyen » et cela sans aucune intervention de l’État. Ce « service public citoyen » s’est fait par la seule volonté des gens qui se sont engagés dans la pratique sportive, avec la seule, mais décisive, aide des collectivités locales, qui ont construit les installations sportives et subventionné les associations. Incontestablement, cette organisation originelle de la pratique sportive avait une mission sociale.

En même temps, la pratique sportive a toujours été, depuis son origine, fortement instrumentalisée, d’abord par les États. Le sens de cette instrumentalisation (les objectifs extrasportifs qu’on lui assigne, les règles et règlements qu’on élabore en fonction de ces objectifs) fait que le sport peut remplir une mission sociale ou une mission antisociale.

L’intervention de l’État, à compter des années 1960, a essentiellement contribué à dévoyer ce mouvement « citoyen ». En même temps, le mouvement sportif associatif est resté figé dans ses formes d’organisation primitives et s’est, de ce fait, transformé à « l’insu de son plein gré ». Ce double mouvement a des conséquences graves. Tous les règles et règlements sont édictés en fonction des problèmes posés par le sport marchand, médiatisé et nationaliste, qui n’a plus rien d’associatif. Ce sport étatique échappe de plus en plus, inéluctablement, aux fédérations sportives. La plupart des pratiquants pratiquent aujourd’hui en dehors du monde associatif qui a permis l’existence et le développement massif de cette pratique.

Aujourd’hui, tout à la fois, la pratique sportive est une véritable arme de guerre de l’État, des États dans la lutte farouche à laquelle se livrent les capitalismes nationaux pour avoir le leadership du capitalisme mondialisé  ; un marché comme un autre pour les capitalistes financiers  ; indispensable pour la survie de l’espèce humaine et pour l’émancipation de l’homme.

L’enjeu actuel ne peut que consister à reconstruire un « service public citoyen associatif du sport », qui me semble toujours la seule manière pour massifier une pratique et la rendre émancipatrice.

(*) Auteur du livre Pourquoi le sport  ? En vente uniquement en ligne aux éditions « The bookedition ».

ALAIN MALEYRAN


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