Femme orientale voilée : la dernière esclave (par Alexandra Kollontaï, 17 mars 1921)

lundi 6 août 2018.
 

Depuis des siècles, la femme orientale était silencieuse ; il a fallu le puissant tocsin de la révolution prolétarienne en Russie pour la faire sortir de sa torpeur séculaire. L’annonce du communisme, du travail et de la camaraderie universels, de l’égalité des sexes et de la solidarité générale, a pénétré comme un appel irrésistible l’Orient lointain, a réveillé les masses aux couleurs vives et bigarrées. L’Orient a bougé. Les pauvres, avec toute la haine accumulée dans leur cœur contre les satrapes et les riches, ont commencé leur ascension vers le drapeau rouge, symbole de liberté, d’égalité et de travail pour tous. Pour la première fois dans l’histoire, la femme de l’Orient a entendu l’appel adressé à elle, la plus opprimée entre les opprimées. Elle qui n’était presque qu’une chose, qu’un accessoire de ménage, un instrument humble et sans voix, le drapeau rouge du communisme l’appelle à l’égalité et à la possession de toutes les conquêtes de la Révolution.

La femme de l’Orient, pour la première fois depuis bien des siècles, a rejeté le voile et s’est mêlé à la foule révolutionnaire en marche vers le symbole de l’affranchissement, vers le drapeau rouge du communisme.

Chaque mois d’existence de la République soviétique, en asseyant davantage le fondement du communisme, augmente la fermentation parmi les femmes d’Orient. Pour la première fois, la femme orientale apparaît dans l’histoire au Congrès des Peuples de l’Orient à Bakou. Dans toutes les régions de la Russie soviétiste où domine une population musulmane, dans les Républiques orientales, un profond travail d’idées se poursuit dans les masses féminines. L’idée soviétiste est comme une baguette magique qui entraîne tous les déshérités, qui fait écrouler les barrières séparant les races orientales des autres, et qui unit les forces dispersées. Les femmes réclament leur droit à l’instruction. Autour des sections d’instruction publique se groupent les femmes orientales, débarrassées du voile. Les tartares, les Persanes, les Sartes, luttent contre cet attribut anti-hygiénique. A Téhéran, où le capital a déjà préparé le sol pour une semence future de communisme, une conférence de femmes s’est tenue avec ce mot de ralliement : « A bas le voile ! »

Le Turkestan, avec sa petite industrie ménagère, voit grandir chaque jour le mouvement qui entraîne les femmes des artisans. Le nombre de cas de divorces venant devant les tribunaux augmente chaque jour ; la femme, forte de son commencement d’émancipation économique, réclame de plus en plus catégoriquement son droit à l’existence indépendante.

Dans l’Azerbeidjan, les femmes musulmanes guidées par la section communiste, ont organisé un club, un jardin d’enfants, un atelier de couture, un réfectoire et une école.

Dans la Transcaspie se tiennent des réunions régulières de femmes comme les assemblées de délégués en Russie. Il y a un syndicat de l’aiguille, groupant les musulmanes et les Russes.

A Samarcande, la section féminine du Comité communiste possède un groupement de musulmanes. Des sections féminines existent à Boukhara. Le Comité Exécutif du Turkestan compte quatre femmes, mais toutes n’ont pas encore enlevé leur voile.

En Bachkirie, parmi les femmes kalmouckes et kirghizes, dans la République Tartare et même dans les contrées lointaines du Nord, à Tioumen, le mouvement s’étend parmi les musulmanes, les sections féminines de notre parti poussent des racines profondes.

La femme orientale, surtout la fraction qui vit sur le territoire de la fédération Soviétiste, s’est éveillée et s’élance vers son complet affranchissement. Il suffit de savoir l’aider pour gagner des défenseurs nouveaux à la grande idée communiste.

La troisième conférence panrusse des Sections Féminines était assistée d’une section spéciale des femmes orientales. Elle a décidé non seulement d’intensifier cette partie de notre travail, mais encore de convoquer pour le 1er février, date ensuite reculée au 1er avril, un premier congrès panrusse des femmes de l’Orient. Dans toutes les provinces seront créées des commissions d’organisation pour préparer le congrès. Ces commissions seront composées de représentants des bureaux musulmans, des sections ouvrières et des comités de la jeunesse communiste. La même action sera faite dans les districts. On prépare des tracts, des affiches, des proclamations, on utilise les instituteurs, les médecins, les groupements communistes, toutes les associations éducatives musulmanes.

Dans les républiques autonomes, la préparation du congrès incombe également aux sections féminines. Des conférences préalables sont convoquées dans les provinces et les districts. Une large propagande est faite. L’ordre du jour du Congrès est le suivant :

1° questions actuelles ;

2° le pouvoir des Soviets et les femmes d’Orient ;

3° la situation juridique de la femme orientale autrefois et maintenant ;

4° la petite industrie et la femme en orient ;

5° la protection de la maternité et de l’enfance ;

6° l’instruction publique et la femme orientale.

Ce Congrès sera général, sans considérations de parti : son but est de mettre en branle une masse encore vierge, d’intéresser à l’action soviétiste les populations féminines, d’éduquer les femmes orientales dans l’esprit communiste et de les affermir pour la lutte contre les ennemis des travailleurs. Mais comme il faut compter avec toutes les particularités économiques et traditionnelles de l’Orient il a été décidé de réunir après le congrès une conférence de femmes communistes musulmanes pour examiner diverses questions d’organisation et de programme concernant l’affranchissement de la femme orientale.

Nos efforts devront être concentrés sur deux points principaux : grouper et rassembler les forces éparses des femmes-artisans dans les localités où le capital industriel a déjà mis sa lourde patte sur la prolétaire orientale, grouper les éléments agricoles, semi-nomades ou nomades autour de coopératives agricoles, et d’autre part entraîner les masses féminines dans l’action éducative, puis politique de nos sections d’instruction publique. Plus que partout ailleurs, la science et l’instruction seront en orient le plus sûr instrument d’affranchissement. Une liaison étroite entre les femmes et les organes éducateurs est une nécessité dictée par la vie même.

Plus s’étendra l’action de nos sections féminines, parmi les femmes orientales, plus le communisme s’établira rapidement en Orient et plus décisif sera le coup porté à l’impérialisme occidental par les forces réunies du prolétariat oriental arraché à son séculaire sommeil.

Article paru dans le Bulletin communiste n°11 du 17 mars 1921.


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