La Commission européenne veut privatiser totalement le secteur ferroviaire ?

vendredi 9 décembre 2011.
 

1) Le double langage, ça suffit !

Comment contrer la volonté européenne de privatiser totalement le secteur ferroviaire ?

Par Didier le Reste, ancien Secrétaire Général de la Fédération CGT des cheminots (2000-2010),

Animateur du Front des luttes du Front de Gauche.

Le 16 novembre dernier, le Parlement européen, réuni en séance plénière, était consulté sur la « refonte du premier paquet ferroviaire » (ensemble de directives et de textes…). Malgré les diverses mobilisations des cheminots, avec ETF (Fédération européenne de syndicats des transports), il s’est trouvé une majorité de députés pour pousser plus loin les feux de la libéralisation du rail.

Seul le groupe GUE-NGL (Gauche unitaire européenne…), dont les députés PCF-PG français, a voté contre. Les députés français de droite et du Parti socialiste ont voté pour, les députés Verts se sont abstenus. Le résultat de ce vote suscite, et pour cause, incompréhension, déception et colère chez les cheminots et leurs représentants syndicaux.

Le Parlement européen accentue donc son choix dogmatique en matière de modèle de développement par le renforcement de la concurrence, le démantèlement des entreprises historiques de chemin de fer, en offrant aux opérateurs privés la possibilité de venir faire du business, du fric, sur le réseau ferré national au détriment de l’intérêt général.

Certains, pour tenter d’expliquer leur vote, parlent d’un compromis mais de quoi parlent-ils lorsque l’on mandate la Commission européenne pour qu’elle prépare pour 2012 un texte législatif sur la libéralisation totale du trafic national de voyageurs et la séparation (désimbrication…) complète de la gestion de l’infrastructure de celle de l’exploitation ? N’aurait-on tiré aucune leçon de ce qui s’est passé en Angleterre avec la privatisation de British Rail et ses conséquences dramatiques ?

Comment peut-on en France s’opposer à l’ouverture à la concurrence des TER, comme le font, avec d’autres élus, et c’est tout à leur honneur, des responsables socialistes au travers d’instances comme l’ARF, le Gart et, dans le même temps, voter avec la droite réactionnaire au Parlement européen pour plus de libéralisation, conduisant à terme à des privatisations ?

Il n’est pas surprenant qu’avec de tels positionnements le monde du travail se méfie du politique en s’abstenant majoritairement lors des consultations électorales. Quand on est de gauche, attaché au service public et à son développement, conscient des dégâts qu’ont déjà causés les politiques de libéralisation-privatisation (exemple : casse de Fret SNCF), on vote contre et on se bat pour construire un autre avenir !

Le vote intervenu au Parlement européen est d’autant plus dangereux qu’il va renforcer en France les velléités des « pilotes », à forte tendance libérale, des commissions de travail des assises du ferroviaire initiées par le gouvernement depuis mi-septembre 2011. Ce n’est pas le débat public attendu, la pertinence de l’ouverture à la concurrence n’est jamais posée et l’enjeu du service public n’est pas abordé.

Les conclusions semblent écrites d’avance, la concurrence est présentée comme inévitable tout comme la casse du statut des cheminots, qui est « clairement un sujet de discussion » comme l’a déclaré à la presse la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, confiant en ce sens une mission au Conseil d’État !

À ce stade de mon propos, je veux exprimer mon profond désaccord avec Gilles Savary, ancien député socialiste européen qui, dans le cadre du groupe de travail qu’il anime, veut faire dater l’ouverture à la concurrence des TER, celle des trains Corail, et propose que l’on s’engage sur la généralisation de cette concurrence.

La veille de l’arrivée sur le rail français du premier train privé de voyageurs entre la France et l’Italie, que la direction de la SNCF a d’ailleurs favorisée, le Front de gauche, à l’initiative de la commission transports du PCF, organise un débat à Paris le 10décembre 2011. Celui-ci, réunissant élus, syndicats, associations d’usagers…, réaffirmera l’opposition résolue à la privatisation des chemins de fer et fournira l’occasion de décliner les axes d’une véritable politique alternative de gauche.

À l’instar de la proposition de loi portant sur le financement des infrastructures de transport déposée par les sénateurs PCF-PG le 18 octobre 2011, seront mis en avant : la réunification du système (suppression de RFF…), la maîtrise publique des choix d’investissements et de financements, le développement du fret, la tarification accessible, le renforcement des moyens humains et matériels, le report modal, la multimodalité, la coopération.

2) Première phase du démantèlement du service public du chemin de fer (par Jean-Luc Mélenchon)

Le Parlement européen se penchait il y a quinze jours sur la « refonte du premier paquet ferroviaire ». Moi, j’étais au lit du fait d’une grippe. Pour autant je n’en ai pas perdu une miette. Car derrière la « refonte », cette formulation abstraite, se cache la première phase du démantèlement du service public du chemin de fer. Il s’agit en fait de déstructurer les entreprises ferroviaires en commençant par séparer la gestion des différentes activités de l’entreprise. Puis de les ouvrir à la concurrence.

Cette façon de faire montre bien comment la naissance d’un marché ne résulte nullement d’un mécanisme spontané. C’est le résultat d’une organisation voulue, mise en place et protégée par un arsenal de lois et règlements. Et bien sûr le mécanisme de création est perfectionné à mesure qu’il s’implante. C’est le cas ici. En vérité ce n’est pas tant du perfectionnement qu’une tactique. Le plus dur pour les libéraux est d’abord de faire passer l’idée la première fois. Puis dès le premier cap franchi, le reste suit rapidement en comptant sur l’habitude prise et la résignation.

Le premier « paquet » de directive adoptée dans ce sens date de 2001. Il sépare la gestion des infrastructures de chemin de fer de la gestion du service de transport et ouvre le service à la concurrence. Mais la Commission européenne estime qu’il n’est pas appliqué de façon satisfaisante. C’est pourquoi elle propose de le « refondre ». Un nouveau texte a été présenté. Il renforce les obligations de séparations des activités. Il interdit toute limitation à la concurrence. Il interdit même aux Etats d’aider les entreprises ferroviaires publiques endettées. Les amendements de la commission des transports du Parlement européen ne valent pas mieux. S’ils ont mis un terme aux prétentions de la Commission d’imposer un service minimum en cas de grève, ils n’ont rien remis en cause de la logique de liquidation du service public du chemin de fer. Pire, ils demandent aux Etats-membres de "garantir le développement de la concurrence" dans ce secteur et demande à la Commission de présenter avant la fin 2012 une proposition visant à « ouvrir le marché intérieur du transport ferroviaire de voyageurs".

Le texte a été adopté à une très large majorité. Sourds aux mises en gardes des cheminots européens, la droite, les libéraux et les sociaux-démocrates n’ont eu aucun scrupule à l’adopter. Inclus les socialistes français. Les Verts, eux, étaient partagés entre le pour et l’abstention. Bové s’est abstenu avec Besset, Cohn Bendit et Jadot. Dans le contexte, c’est un bon point pour eux.


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