Réécritures de l’Histoire à l’occasion de la disparition de Vaclav Havel

dimanche 25 décembre 2011.
 

La disparition de l’ancien président tchèque et figure emblématique de la dissidence des pays de l’Est donne lieu à des réécritures de l’Histoire plutôt contestables. Havel est présenté aujourd’hui comme un « résistant anticommuniste », un combattant « contre le communisme », le libérateur de la Tchécoslovaquie « du joug communiste » contre lequel « se souleva » le peuple tchécoslovaque en 1968 lors du « Printemps de Prague » et en 1989 – lors de la « révolution de velours ».

Il n’était absolument pas question de tout cela avant 1989, ce vocabulaire a été inventé par la suite, de nos jours, c’est une réinterprétation de l’Histoire, dans l’esprit de « l’Histoire des Vainqueurs » (occidentaux) de la guerre froide telle qu’elle s’impose depuis vingt ans, interdisant toute « dissidence » de pensée.

De 1968 (écrasement par les chars du Pacte de Varsovie du mouvement de démocratisation) à 1989, les dissidents tchécoslovaques (et d’autres pays de l’Est) prenaient soin à ne pas se définir comme « anticommunistes ». Ils luttaient pour les droits civiques et les libertés, point. Beaucoup étaient communistes : partisans du « Printemps de Prague », exclus (500.000 !) du PC tchécoslovaque après 1968. De ce Printemps, certains avaient tiré des conclusions radicales, pour en finir avec le régime qui se disait « socialiste ». Mais une partie d’entre eux persistaient à vouloir un communisme démocratique, fondé sur les conseils de travailleurs, l’autogestion, une perspective qui certes ne plaisait pas aux « libéraux » … à qui l’histoire a finalement donné raison, admettons que libéralisme et capitalisme sont les grands vainqueurs de cette histoire, balayant non seulement les régimes de l’Est, mais les idées d’alternative, de « troisième voie ». La « fin de l’Histoire comme a dit Kukuyama…ou la « mondialisation heureuse » d’Alain Minc.

Havel lui-même était-il en son for intérieur anticommuniste ? C’est plus que probable et il s’est présenté comme tel par la suite. Mais beaucoup de ceux qu’il représentait (dans la Charte 77) ne l’étaient pas. L’ironie de l’histoire est qu’il se soit retrouvé, lors de la « révolution de velours » de 1989, main dans la main avec Alexandre Dubcek, ancien leader du Printemps 68 et secrétaire général du Parti Communiste tchécoslovaque… Mais Dubcek était déjà un homme du passé, et Havel un homme de l’avenir, non seulement du pays tchèque libéré d’un régime oppresseur, mais du Nouvel Ordre Mondial dont il fut un artisan, très proche des successives administrations américaines et, par exemple, participant à la guerre en Irak.

Soit dit en passant, les « évocateurs de l’Histoire » oublient de préciser que le principal artisan de la « révolution de velours », de la liquidation du bloc soviétique fut le dirigeant…communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Encore une vérité « encombrante » pour qui souhaite une rétrospective « lisse » de l’histoire.

Que l’on dise aujourd’hui que Vaclav Havel, enfant de la grande bourgeoisie praguoise, fut de tout temps adversaire du communisme, cela se défend. Et cela ne l’a pas empêché d’être un artiste et un homme d’un grand courage. Mais présenter toute dissidence d’autrefois comme « anticommuniste » porte un nom : c’est de la falsification de l’histoire. Le lavage de cerveaux n’est pas une exclusivité stalinienne !

Jean-Marie Chauvier 19 décembre 2011 (dissident du passé….et du présent)

2) Vaclav Havel : Du beau combat du dissident 
à l’alignement du chef d’État

Le dramaturge et ex-président tchèque s’est éteint à l’âge de soixante-quinze ans. Grande figure du théâtre anticonformiste et de la lutte pour les libertés, il se coula, 
à la fin de sa carrière politique, dans un moule atlantiste.

S’il est des personnages qui incarnent le destin de leur pays et l’histoire du continent européen, Vaclav 
Havel, qui vient de mourir hier à l’âge de soixante-quinze ans, est de cette trempe-là. C’est l’anticonformisme dont il a su faire preuve dans les années de plomb du régime prétendument communiste installé à Prague jusqu’à la chute du rideau de fer qui a fait du dramaturge tchèque cette figure morale incontestable de dimension autant nationale qu’internationale.

Né en 1936 au sein d’une richissime famille d’entrepreneurs, propriétaires de studios de cinéma et de nombreux immeubles, il ne tirera aucun privilège matériel de son origine sociale. Confisquant sans trop de discernement les biens de l’ex-classe dirigeante, dont de nombreux membres n’avaient pas hésité à collaborer avec les nazis, les nouvelles autorités obstruaient systématiquement la route de ses rejetons à une formation universitaire. Qu’à cela ne tienne, dit alors le jeune Havel, relevant qu’il ne désirait surtout pas être reconnu pour sa « position sociale favorable ».

Le jeune homme devient une sorte de self-made-man suivant, alors qu’il est apprenti technicien dans un laboratoire de chimie, des cours du soir pour passer son baccalauréat. Très tôt, il va s’intéresser au théâtre. Et il écrira sa première pièce, la Fête en plein air, produite en 1963 par un théâtre praguois où il exerce comme… stagiaire. Surtout cette pièce se fait l’écho de la révolte, des frustrations et de la formidable aspiration à davantage de libertés et de démocratie qui sourdent au sein de la jeune génération tchécoslovaque. Un état d’esprit qui allait avoir de l’écho jusqu’au sein même du Parti communiste tchécoslovaque où des personnalités comme Dubcek et Svoboda vont finir par s’imposer quelque temps plus tard, promouvant une série de réformes qui font naître d’immenses espoirs quand ils rétablissent la liberté comme valeur cruciale de la construction du socialisme. Jusqu’à cette incroyable effervescence du printemps de Prague, en 1968. Avant son écrasement l’été suivant par les chars de l’Union soviétique et des pays « alliés » de l’Est européen.

Après l’invasion, Havel décide de faire face et de rester en dépit du danger qui assaille durant cette période de glaciation tous ceux qui osent arborer une posture critique. Il s’engage de plus en plus dans le combat de la dissidence au sein d’associations comme le Cercle des écrivains indépendants. Il le paye au prix fort. Ses pièces sont systématiquement censurées et il est obligé de vivre d’un travail de garçon de café dans une brasserie praguoise.

Le bras de fer s’intensifie encore avec le pouvoir quand il écrit, en 1975, une lettre ouverte adressée au président, Gustav Husak, dans laquelle il dénonce la « normalisation à coups de mesures répressives », intervenue après l’invasion des troupes du pacte de Varsovie. Mais c’est l’initiative qu’il lance en 1977 qui va le propulser comme figure charismatique de la résistance aux atteintes aux libertés, non seulement en Tchécoslovaquie mais aussi dans le reste du « bloc de l’Est". Il est l’un des fondateurs, et le porte-parole le plus en vue, de la Charte 77, une organisation de défense des droits de l’homme qui structure le mouvement de lutte contre cette oppression qui coupe les ailes de la pensée et étouffe la société.

Cette action-là va le mener tout droit en prison à trois reprises. Entre 1977 et 1989, il passera cinq ans au total derrière les barreaux. Depuis le fond d’une cellule, il écrit, en 1978, un essai intitulé le Pouvoir des sans pouvoirs, dans lequel il se livre à une analyse fine des mécanismes de la mauvaise raison d’État socialiste qui prive les citoyens ordinaires de toute capacité d’influer sur le cours réel de leur vie. Ce qui n’est pas sans contredire les objectifs même affichés par l’État socialiste. Il décrit ces mécanismes –observés dans toutes les sociétés de l’Est à l’époque– qui conduisent à la résignation massive des individus, à leur passivité et aussi à leur démission morale, stérilisant en fait la dynamique sociale. Une impasse dont les régimes de l’Est ne se remettront pas. Jusqu’à leur implosion à l’automne 1989.

Durant la « révolution de velours », Vaclav Havel, plébiscité par les manifestants, prend la tête du « forum civique » qui fédère les initiatives d’organisations dissidentes. Après la démission de Gustav Husak, en décembre 1989, il est élu presque naturellement président intérimaire de la Tchécoslovaquie par l’Assemblée fédérale qui comporte encore une majorité de députés communistes, en attendant les élections parlementaires. Il se fait tirer l’oreille mais accepte finalement quand on lui dit que son mandat ne durera pas plus de quarante jours. En fin de compte « l’intérim a duré treize ans » (jusqu’en 2003), soulignera avec humour l’ancien président qui s’inquiétait que sa fonction n’anesthésie quelque peu sa créativité et son sens de la critique.

Un trait de lucidité, si l’on s’en tient au bilan de l’homme d’État. Hormis un dernier acte de rébellion en juillet 1992 quand il démissionnera de son poste de président pour marquer son désaveu de la partition du pays entre Tchèques et Slovaques, il fera preuve d’un conformisme grandissant sur les scènes locale et internationale. Dès janvier 1993, après avoir été associé à l’écriture d’une Constitution, il devenait le premier président d’une nouvelle République tchèque, en pointe dans l’endossement de la camisole de force néolibérale européenne. En 2003, il est, avec José Maria Aznar et Tony Blair, l’un des grands dirigeants européens qui justifient bec et ongles la guerre états-unienne en Irak. Et en 2008, en pleine polémique sur le déploiement du fameux bouclier antimissile sur le territoire tchèque, il faisait preuve là encore d’un atlantisme à toute épreuve. « Je crois qu’en l’occurrence on peut se comporter comme de vrais alliés et aider les États-Unis dans leur projet », déclarait-il, alors que la contestation et le refus d’un retour à la guerre froide grondaient parmi ses concitoyens. Des contestataires qui n’ont pas perdu le sens de la réflexion critique qui anima si longtemps le dissident Vaclav Havel. Un legs de l’immense personnage qui n’est pas près de s’éteindre.

Bruno Odent, L’Humanité

3) Décès de Vaclav Havel : réaction de Pierre Laurent, PCF

À l’annonce de la disparition de Vaclav Havel, je veux saluer la mémoire du co-fondateur de la Charte 77 qui aspirait à ce que « l’amour et la vérité [vainquent] la haine et le mensonge ».Sa vie aura incarné le drame tchécoslovaque et au-delà, celui du socialisme dans les pays de l’est européen.

Ecrivain, philosophe, il n’a cessé de porter ce combat : sans démocratie réelle, aucun pouvoir ne peut s’exercer légitimement.Hier dissident du régime communiste, puis premier président de la Tchécoslovaquie post-socialiste, monsieur Havel ne ménageait pas aujourd’hui ses critiques à l’égard du libéralisme.

Son humanisme ne se satisfaisait d’aucun dogme politique quel qu’en soit le nom. La vie de Vaclav Havel restera pour les communistes français le témoignage de ce dont leur idéal de combat ne peut être privé : la liberté et l’émancipation humaine.


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