Education : L’illusion de l’égalité des chances

jeudi 7 juin 2012.
 

Au-delà des rituelles déclarations de (bonnes) intentions, peu de propositions réellement novatrices sur l’éducation ont émergé à l’occasion de la campagne de la présidentielle. La situation est paradoxale alors même que les enquêtes d’opinion placent l’éducation au premier rang des préoccupations des Français et que le nouveau gouvernement entend engager la refondation républicaine de l’école. La nécessité est pourtant grande de faire preuve d’audace et de courage pour en finir avec un quinquennat d’airain. Sans être paralysé par la crainte de cliver, des paradigmes faisant jusqu’alors consensus doivent être remis en cause. C’est le cas de celui d’égalité des chances.

Son essence est fondamentalement libérale, bien que se prévalant indûment d’oripeaux progressistes. Il stipule que tous les élèves pourraient se retrouver à égalité sur la ligne de départ de la grande compétition scolaire. La puissance publique aurait la seule responsabilité d’en créer les conditions pour s’en rapprocher. Cette création ex nihilo permet sans coup férir d’imposer pour la suite à tous les étages la concurrence (libre et non faussée…) comme mode d’organisation du système éducatif.

Cette vision procède d’un angélisme pour le moins déconcertant. Elle justifie le désengagement croissant de la puissance publique dans le domaine de la lutte contre les inégalités. Elle vise à faire culpabiliser les acteurs du système éducatif, élèves et familles renvoyés à leur seule responsabilité de leur éventuel échec, enseignants accusés de n’avoir pas été capables de trouver les bonnes stratégies de remédiation. Elle traduit l’enfermement dans des solutions individuelles, sanctionnant de fait le renoncement à toute ambition collective constitutive de l’école de la République.

À droite et à l’extrême droite, l’égalité des chances est récupérée pour promouvoir une école individualiste à plusieurs vitesses dans laquelle le chèque éducation permettrait à chacun de faire ses courses dans un grand marché. Une partie de la gauche s’y est ralliée en la présentant comme un vernis d’honorabilité d’une ambition sociale maintenue. Tous alors se gargarisent de la réussite de quelques-uns pour au final justifier l’abandon des autres à leur triste sort parce que jugés insuffisamment méritants. C’est à la fois un contresens idéologique et un renoncement politique. Car les outils pour l’instituer sont bien connus  : assouplissement ou abandon de la carte scolaire, autonomie des établissements, fragmentation des savoirs dans le cadre d’un socle commun minimaliste et utilitariste renforçant leur marchandisation. 
Il convient d’en finir avec cette imposture libérale de la supposée égalité des chances. La seule égalité qui nous importe est celle que l’on constate à l’arrivée, pas un ersatz d’égalité proclamée sur la ligne de départ qui, en fait, ne vise qu’à faire oublier que nous nous trouvons dans une société de classes. Les rangs de la gauche sont ceux d’un humanisme radical qui croit en la perfectibilité constante de l’être humain, considérant que tous les enfants sont capables d’apprendre pour peu qu’on s’en donne les moyens.

À l’instar de la laïcité, l’égalité n’a nul besoin de substantifs et encore moins d’adjectifs pour faire pleinement sens. Bien au contraire, ce subterfuge conduit à la dénaturer en la détournant de ses valeurs initiales. Nous récusons le paradigme de l’égalité des chances, le situant aux antipodes d’un véritable projet de justice et de transformation sociales. Cette inflexion exigeante que nous entendons appliquer à l’école de la République représente sans aucun doute une véritable révolution copernicienne. C’est aussi la condition pour que l’étendard de l’égalité ne soit pas abandonné.

Par Francis Daspe, président de la commission nationale éducation du Parti de Gauche, Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message