Il règne dorénavant au gouvernement un syndrome Jules Moch...

vendredi 1er janvier 2016.
 

Le syndrome Jules Moch

Que se passe-t-il ? Je crois que les chefs socialistes se font un drôle d’idée du moment politique. Ils pensent que la société « penche à droite ». Ils s’expliquent de cette façon le succès de Valls qui rend tout le petit monde des importants malade de jalousie. En fait, la société réclame de la décision et de l’action. Ne pas confondre. A moins de considérer que savoir ce que l’on veut et le faire est une attitude de droite ! Ce n’est pas notre façon de voir, en tous cas.

En attendant c’est surtout à la tête du dispositif gouvernemental que cette approche fait le plus de dégâts. Il y règne donc dorénavant un syndrome Jules Moch, du nom du ministre de l’intérieur socialiste qui, à la libération, se fit une réputation en réprimant avec cruauté les grèves ouvrières comme garantie de l’appartenance au bon camp de l’ancienne SFIO. Nous y voilà. Avec l’affaire Notre-Dame-des-Landes et avec l’extradition d’ Aurore Martin.

En témoigne l’incroyable déploiement de force contre les occupants de la zone réservée au prétendu futur aéroport Notre-Dame-des-Landes. Comment ont-ils pu croire que cela ne serait pas le point de départ d’un nouveau divorce à gauche ? D’abord au gouvernement. Le parti des Verts-Europe-Ecologie se met en mouvement. Qui peut croire que cela ne va pas ouvrir une contradiction dans le gouvernement d’autant plus crue que le responsable de tout ce gâchis est le premier ministre en personne. Ensuite sur le terrain. Pour des dizaines de milliers d’écologistes de toutes les organisations et associations, cette décision et sa mise en œuvre déclenche un haut le cœur. L’onde de choc de ce mouvement de menton totalement contre performant va parcourir tout le pays. Déjà l’annonce de la manifestation citoyenne du 17 novembre engage un processus de mobilisation générale dans nos rangs. Je vois bien comment les comités de base du parti de gauche se sont déjà mis à l’œuvre, alors même qu’ils étaient sous pression pour répondre à l’appel des syndicats pour la journée d’action du 14 novembre.

Mais le syndrome Jules Moch est dorénavant profondément engagé. En atteste l’expulsion honteuse d’Aurore Martin. Je sais que bien des lecteurs seront surpris de me voir en défense d’une militante du Parti indépendantiste basque Batasuna. Ceux-là vont apprendre à me connaitre autrement que sous le jour des caricatures qui circulent à mon sujet. En toute circonstance je défends le droit pour chacun d’être traité à égalité de droit. Je sais parfaitement que ce Parti est interdit en Espagne. Mais il est légal en France. Et cela me suffit pour défendre le droit à la liberté d’Aurore Martin, citoyenne française. Et ce n’est pas un détail à mes yeux qu’elle soit française. Totalement. Avec la totalité des droits qui s’attache a ce statut. Les républicains de mon acabit doivent donc mettre leur point d’honneur à défendre cette femme a qui d’aucuns nient ses droits d’une manière qui semble lui nier aussi sa carte d’identité. Pour le reste, toute indépendantiste basque qu’elle soit, je note qu’elle n’a jamais incité personne à la haine ethnique, ni fait aucune des mauvaises blagues sur Durafour ou les pains au chocolat volés. Elle n’a jamais menacé les porteurs de Kippas ni les femmes en foulards dans la rue. Tous ceux qui se sont abaissés à ces activités sont libres en France. Elle est poursuivie en Espagne pour avoir participé à des réunions publiques d’une organisation interdite. Ce qui provoque, en Espagne une inculpation de « faits de participation à une organisation terroriste, et terrorisme » ! L’Espagne fait bien ce qu’elle veut et je note que ce n’est pas toujours brillant. Tout cela à l’abri et sous le prétexte d’un mandat d’arrêt européen. Mais d’où vient qu’un mandat d’arrêt européen permette la déportation d’une citoyenne française qui n’est sous le coup d’aucun acte illégal dans son pays ni d’aucune activité que son pays condamne ? Elle vient d’être interpellée dans les Pyrénées Atlantiques à l’occasion d’un contrôle routier auquel elle n’a nullement cherché à se soustraire. Et la voilà immédiatement extradée en Espagne où elle est aujourd’hui passible d’une peine de 12 ans de prison. Elle sera traduite devant des juridictions d’exception, alors même que nous, Français, récusons les juridictions d’exception et les avons toutes supprimées, sous François Mitterrand ! Le plus choquant de cette affaire c’est de voir la différence de traitement du dossier entre hier et aujourd’hui.

En 2011, Guéant et Sarkozy avaient reculé devant la mobilisation des nombreux soutiens de gauche comme de droite en défense de la militante politique. Eux, Valls et Hollande n’ont pas hésité une seconde à livrer, sous couvert d’un mandat d’arrêt européen, une citoyenne française poursuivie pour des faits parfaitement légaux dans notre pays. C’est un nouveau seuil franchi contre l’identité traditionnelle du mouvement socialiste en France. Les désaccords politiques que nous avons avec Aurore Martin et son parti sont une chose bien connue. Mais ils ne constituent pas une raison pour accepter que le droit de tous soit bafoué à travers celui qui est dénié à Aurore Martin. Ni pour que nous acceptions maintenant la criminalisation des activités militantes, syndicales et associatives que nous combattions sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Autrefois le parti socialiste était sur ce sujet extrêmement pointilleux. Il a changé de camp. Les dirigeants français viennent de remettre une pièce dans la machine à taper sur les indépendantistes basques espagnols. Alors qu’il s’agit d’une citoyenne française, c’est d’Espagne dont il est question ici. Il faut en mesurer toute la signification. En exécutant sans discuter une extradition de cette sorte les responsables français viennent de faire le jeu de ceux qui n’acceptent pas la trêve proclamée par ETA en Espagne. Ils refusent de donner une chance à sa décision de renoncer à la lutte armée. Ils vont contre le sens du vote récent au pays basque espagnol qui a validé cette démarche. C’est donc davantage qu’une démonstration de force à bon marché qu’ils font.

Jean-Luc Mélenchon, 2 novembre 2012


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