Fiscalisation des allocations familiales : une recette ancienne éloignée de toute réflexion politique d’ensemble sur la politique familiale

vendredi 1er mars 2013.
 

Le système français de prestations familiales constitue un pan majeur de la politique sociale de notre pays mais reste marqué par des caractéristiques fortes qui le rendent complexe et difficilement lisible.

La politique familiale relève en effet de l’action combinée des prestations familiales et la politique fiscale. Répondre à la question de la fiscalisation des allocations familiales implique préalablement de bien comprendre l’ensemble des enjeux qui caractérisent la politique familiale en France.

La politique familiale française repose tout d’abord sur l’ensemble très hétérogène des prestations familiales versées par les Caisses d’allocations familiales. Les prestations familiales tendent à couvrir de nombreuses situations liées à l’enfant de la grossesse à l’âge adulte. Il convient de noter que la plupart des prestations familiales sont placées sous conditions de ressources et constituent une aide financière orientée vers les familles les plus modestes. Toutefois, les allocations familiales constituent une exception fondamentale à ce principe puisqu’elles sont versées de manière universelle à l’ensemble des familles de plus de deux enfants. Elles constituent en ce sens un mode de prise en charge égalitaire des charges de famille axé sur l’enfant.

L’autre versant de la politique familiale est composé de règles liées à la familialisation de l’impôt sur le revenu. Les règles de quotient familial permettent en effet aux foyers de rapporter leur revenu imposable au nombre de parts calculées en fonction de la taille du foyer. L’effet du quotient familial en termes de diminution de l’impôt est donc d’autant plus important que la taille du foyer est importante et que le revenu fiscal du foyer est élevé.

Cependant, l’effet combiné du système de prestations familiales et de l’application des règles fiscales comporte des effets pervers. En effet, les familles aux revenus intermédiaires subissent à la fois la perte des prestations familiales/logements sous conditions de ressources au-delà d’un certain niveau de revenu sans pour autant pouvoir bénéficier des avantages fiscaux liés à l’application des quotients dans des ménages faiblement imposables. Cela entraîne, comme nous le voyons dans le schéma suivant, pour une même taille de famille un niveau d’inflexion de la politique familiale au niveau du revenu moyen avant de redevenir progressive : c’est ce que l’on appelle la courbe en U qui sanctionne les familles aux revenus moyens situés au-delà des seuils de prestations familiales et/ou de solidarité et ne bénéficiant pas ou peu des avantages fiscaux consentis aux familles.

Les familles modestes bénéficient certes de prestations versées sous conditions de ressources mais celles-ci sont minées par les effets de seuil et la non-prise en compte de la situation des travailleurs pauvres, notamment ceux situés dans la monoparentalité.

Par ailleurs, la faiblesse des politiques en matière d’accueil collectif des jeunes enfants implique la mise en place de solutions qui bénéficient surtout aux ménages aisés au travers d’ :

- aide à l’embauche de personnel de garde,

- aide à la réduction d’activité.

Fort de ce constat, nous pouvons affirmer que le système de politique familiale favorise certains types de ménages :

les familles nombreuses de plus de 2 enfants (au détriment des familles à enfant unique) avec un niveau optimal pour les familles de 3 enfants, les familles situées aux deux extrêmes de la distribution de revenus.

En revanche, les foyers situés à des niveaux de revenus intermédiaires sont une fois de plus laissés pour compte des politiques de revenus qui, de moins en moins placées sous un principe d’universalité, renforcent la stratification sociale.

Les propositions de Didier Migaud s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion étriquée initiée il y a déjà plus de 20 ans autour de la question la politique familiale.

La mise des allocations familiales sous conditions de ressources ou la fiscalisation des allocations sont la remise au goût du jour des solutions anciennes qui ne règlent en rien les faiblesses de notre système de politique familiale et risquent d’en aggraver les écueils. Il s’agit avant tout de mesures comptables très éloignées des finalités essentielles d’une politique familiale ambitieuse, nécessairement placée sous le principe d’universalité.

L’UFAL se doit de répondre en mettant en avant des réflexions nettement plus ambitieuses.

L’atténuation du caractère inégalitaire des quotients familiaux/conjugaux constitue à cet effet un autre point d’ancrage de la réflexion d’ensemble sur l’efficacité sociale des prélèvements sociaux tenant compte des situations familiales. Le quotient pourrait notamment faire l’objet :

- d’un abattement par enfant,

- d’une réduction d’impôt,

- d’un crédit d’impôt.

Une fois encore l’effet redistributif de ces mesures se ferait uniquement au bénéfice d’une catégorie particulière de la population au détriment d’une construction d’ensemble. Les classes moyennes seraient bénéficiaires dans les deux premières hypothèses (abattement ou réduction d’impôt), tandis que le crédit d’impôt bénéficierait principalement aux familles les plus modestes.

L’UFAL a par conséquent proposé depuis plusieurs années une solution de plus grande ambition : la création d’un dispositif de Revenu Social de l’Enfant et du Jeune au travers du redéploiement des prestations familiales (Allocations familiales, du complément, allocation de base de la PAJE, Allocation de Soutien Familial), et du coût annuel des quotients familiaux.

Cette prestation qui allierait financement fiscal et prestation de sécurité sociale serait versée pour chaque enfant de la naissance à l’autonomie du jeune adulte. Le RSEJ permettrait ainsi de rétablir l’égalité distributive fondamentale de la politique familiale en mettant l’accent sur le bien-être de l’enfant et des familles et ce quelle que soit la taille ou le revenu des foyers.

Au-delà du RSEJ, l’UFAL appelle en outre les pouvoirs publics à envisager une politique familiale qui participe réellement de l’amélioration des conditions de vie des familles au travers de mesures d’acception plus large autour :

- de la conciliation entre vie professionnelle/vie personnelle,

- de l’accueil collectif de la petite enfance,

- de la mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance,

- de l’incitation des entreprises à la négociation collective autour

- d’horaires de travail aménagés ou du temps partiel choisi : accords de responsabilité sociale de l’employeur.

Par ailleurs, le RSEJ que l’UFAL appelle de ses vœux doit favoriser, outre les conditions matérielles des familles, l’accès à l’autonomie du jeune adulte au travers d’un versement qui pourrait prendre la place d’un revenu d’autonomie du jeune adulte de 18 à 25 ans. Versé directement sous forme d’une allocation au jeune adulte, ce revenu d’autonomie permettrait de la sorte de limiter les inégalités liées aux transferts familiaux.

Par Olivier Nobile


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message