1678 L’Histoire critique du Vieux Testament de Richard Simon est brûlé par la police

lundi 3 juin 2013.
 

Richard Simon, un savant génial contre le fondamentalisme

À l’heure où le fondamentalisme fait des ravages, il est utile de se rappeler l’œuvre de Richard Simon, ce parfait contemporain de Louis XIV qui a en quelque sorte réconcilié la raison et la foi. À l’époque, il était admis que les cinq premiers livres de la Bible avaient été écrits par Moïse comme sous la dictée directe de Dieu  ! Richard Simon démontra qu’il n’était pas possible qu’un seul homme, Moïse, ait écrit cette œuvre car ces livres comportaient plusieurs formes littéraires, divers courants de pensée, des redites, des vocabulaires différents. De plus, ces livres racontent la mort de Moïse, ce qu’il n’avait pas pu raconter lui-même  ! Il en conclut que la Bible n’est pas tombée du ciel en quelque sorte, mais qu’elle est le fruit d’un travail littéraire de croyants, de scribes, qui ont écrit et relu au long des siècles l’histoire de leur foi marquée par l’histoire de ce peuple.

C’est l’approche du contexte historique qui marque le départ de l’exégèse biblique, c’est-à-dire de cette science qui consiste à établir, selon les lois de la critique scientifique, le sens d’un texte. Bossuet, évêque de Meaux, mais aussi précepteur du dauphin à Versailles, fit brûler ses écrits. La seule idée que l’on puisse étudier la Bible comme n’importe quel autre texte le révulse.

En 1993, la commission biblique pontificale a reconnu que Richard Simon a été un précurseur du travail d’exégèse moderne, réhabilitant ainsi l’homme et son œuvre. Le document romain affirme que «  le fondamentalisme est comme une sorte de suicide de la pensée  ». En effet, le fondamentalisme se définit par le fait de lire la Bible d’une manière littérale, au pied de la lettre, sans avoir recours à la raison pour le comprendre.

Paolo Freire, le célèbre pédagogue brésilien, auteur de la Pédagogie de l’opprimé et qui a œuvré avec la théologie de la libération en Amérique latine, disait  : «  Il n’y a pas de texte sans contexte.  »

Richard Simon donne toute sa place aux sciences humaines pour interpréter correctement l’écriture. Ce faisant, il œuvre à une lecture progressiste de la Bible. Ce n’est pas pour rien que Ronald Reagan a réintroduit dans des écoles des États-Unis le créationnisme. Il signifie que l’ordre des choses serait déterminé une fois pour toutes et qu’on n’y pourrait rien changer. Or, il est impossible d’interpréter le texte de la Bible en ce sens car la notion de libération y est centrale. C’est ce qu’affirme la théologie de la libération en mettant en avant l’option préférentielle du Dieu de la Bible pour la libération des opprimés.

Le travail de Richard Simon s’avère important pour les milieux populaires car ils ont parfois été trahis par des interprétations qui ont servi à leur exploitation. Ainsi les Béatitudes (Matthieu 5)  : Dieu veut les humains heureux délivrés de leur misère. Or, par un contresens tragique, elles ont souvent servi malgré elles à maintenir un ordre social injuste comme si Jésus déclarait  : «  Les pauvres, vous avez de la chance, restez-y  ! Plus tard, au ciel, Dieu vous récompensera.  »

Napoléon disait  : «  Quant à moi, je ne vois pas dans la religion le mystère de l’incarnation, mais le mystère de l’ordre social, elle rattache au ciel une idée d’égalité qui empêche que le riche soit massacré par le pauvre… Quand un homme meurt de faim à côté d’un autre qui regorge, il est impossible d’accéder à cette différence s’il n’y a pas là une autorité qui lui dise  : Dieu le veut ainsi, il faut qu’il y ait des pauvres et des riches dans le monde mais ensuite, pendant l’éternité, le partage se fera autrement.  »

L’institution religieuse a longtemps tenu ce discours. Léon XIII, en 1882, écrivait  : «  La question des rapports du riche et du pauvre qui préoccupe tant les économistes sera parfaitement réglée par cela même qu’il sera bien établi que la pauvreté ne manque pas de dignité, que le riche doit être miséricordieux et généreux, le pauvre content de son sort et de son travail, puisque ni l’un ni l’autre n’est né pour les biens périssables, et que celui-ci doit aller au ciel par la patience, celui-là par la libéralité.  »

À la même époque, un chant du mouvement ouvrier dit  : «  Leur Dieu nous tient les mains pendant qu’on nous fait les poches.  » D’autres en concluaient que la religion est un opium  ! Or, il est impossible, si l’on resitue ce texte dans le contexte sociohistorique et dans le courant prophétique, de l’interpréter uniquement pour l’au-delà.

Si l’actualité de la lutte contre le fondamentalisme retient notre attention, c’est que nous sommes témoins de ses effets pervers sur les populations, que ce soit les groupes armés se réclamant de la religion, les sectarismes de tous bords, les discriminations faites aux femmes au nom de principes archaïques, etc. Le fondamentalisme n’est pas une option religieuse, mais une atteinte à la raison en même temps qu’une perversion de la religion. Il porte gravement préjudice à la vie des femmes et des hommes parce que c’est un outil du conservatisme qui s’oppose à l’avancée progressiste de l’humanité. Il ne faudrait pas oublier que le Christ n’est pas mort d’une mort ordinaire mais du supplice des esclaves révoltés. C’est significatif du message qu’il a porté, car croire en Dieu n’a pas de sens sans l’engagement pour la libération humaine. On ne peut comprendre les textes sacrés qu’en les resituant dans l’histoire et la culture qui les ont vus naître.

Jean-Marie Héricher

Tribune dans L’Humanité


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