Amérique latine : une solidarité raisonnée

vendredi 9 août 2013.
 

Le nouvel ordre transnational

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Les passions de l’Amérique du sud se diffusent souvent en Europe par les canaux les plus divers. Pour les médias, entre royal baby et dédiabolisation de madame Le Pen, le sujet ne peut, s’il est traité, que se résumer au noir et blanc à la sauce néo-coloniale du reporter Tintin dans ses démêlés avec le général Alcazar. Mais à gauche aussi les simplifications sont souvent allé bon train. « Bon Brésil contre méchant Venezuela » et ainsi de suite, selon les fixations locales du débat. Ces catégorisations nous aveuglent plutôt qu’elles nous éclairent. Je crois donc utile de revenir sur la nature du regard à porter.

Ce que l’on a appelé la vague démocratique en Amérique latine est un ensemble d’événements politiques qui ont résulté partout du rejet insurrectionnel des politiques néolibérales qui avaient été appliquées avec une main de fer par le FMI et la banque mondiale à tous les pays du cône Sud et du centre. Naturellement ces événements ont été d’une forme d’un contenu très divers d’un pays à l’autre. Mais les traits généraux communs du passé d’une part, et d’autre part l’agressivité des classes possédantes, de leur système médiatique, et des États-Unis d’Amérique ont donné à chacun de ces peuples des occasions d’agir de façon similaire. La diversité des situations et la communauté des répliques constituent un tableau d’ensemble et une source d’inspiration. Notre manière de comprendre et d’analyser doit être à l’image de son objet. Il n’y a pas une grille de partage du monde entre les bons et les méchants, ceux qui aurait raison en tous points et ceux qui ont tort en tout.

Cette arrogance des juges de l’extérieur est elle-même rarement désintéressée. L’Amérique du Sud est devenue depuis quelque temps la figure allégorique des combats politiques de la gauche en Europe, je ne le perds jamais de vue. Mon parti pris est celui d’une observation aussi libérée que possible d’a priori, une prise en compte sérieuse et argumentée des divergences et des convergences, une solidarité complète face à nos adversaires mutuels. Cela ne me fait perdre de vue aucune des différences qui s’observent assez facilement dans la conduite de l’action gouvernementale de ces différents pays. Au demeurant eux-mêmes ne s’en cachent pas. L’ensemble politique que forment les pays de l’Alba, alliance politique gouvernementale, se distingue de celui que constituent, chacun pour soi, ou dans le cadre de « l’alliance pour le Pacifique » d’autres pays de l’Amérique du Sud. Pour autant tous participent dorénavant à l’UNASUR qu’ils président à tour de rôle. Tous, Cuba y siégeant avec la Colombie. Et elle s’est constituée en dehors de la présence des nord-américains ce qui aura été le grand événement de la décennie.

À chaque moment il faut donc savoir observer en situant politiquement ce qui se fait. D’un autre côté aucune solidarité ne peut valoir approbation en tout et pour tout. D’ailleurs personne ne la demande. Il est vain de venir ici où là pour y découvrir un paradis. D’ailleurs, les stigmates du passé sont tellement profonds ! Ainsi aurais-je pu, quand j’ai faits ma note sur le Pérou, rappeler que ce pays n’est pas débarrassé des cultures de violence, des conséquences du démembrement de l’État, et de tous les préjugés de l’ancien monde auquel nous participons nous-mêmes. La police, l’armée montrent en de nombreuses occasions qu’elles n’ont pas finies de tourner la page des années de méthodes féroces répressions. La question minière dans la région de Cajamarca par exemple est un sujet douloureux depuis une vingtaine d’années. L’épicentre en est la société Ayacocha, unanimement détestée, qui est née d’une association entre la société américaine Newmont et un partenaire minoritaire péruvien (Buenaventura). Certes, tout cela est bien antérieur à l’arrivée d’Humala. Mais ce dernier a eu bien du mal à changer le cours des choses à son arrivée en 2011. Il m’avait dit à Strasbourg : « je ne peux pas renier la signature de mon pays sur les accords d’investissement à peine arrivé au pouvoir ». Il se sentait d’autant plus ficelé qu’il se savait confronté à l’ensemble des pouvoirs économiques qui l’attendaient au tournant sur le thème : "Humala au pouvoir, c’est la fuite des investissements étrangers et la fin des ressources minières". Ceux-là ne se contentent pas de tenir sous leur coupe une bonne partie des moyens d’information comme partout ailleurs. Ils tirent aussi les ficelles localement, notamment celles des forces de police dans la région de Cajamarca. Les jeux d’influence mortels dans le gouvernement, l’incapacité à fixer un cap clair ont débouché sur une situation intenable, avec des affrontements très violents, où les forces de police ont fini par « tirer dans le tas », à l’ancienne. Au total, cette politique a fait plus de vingt morts dans le pays, principalement à Cajamarca. Un désastre ! Humala a donc à nouveau changé de gouvernement en juillet 2012 avec deux mots d’ordre : "ce n’est pas l’or ou l’eau, il faut que ce soit l’eau et l’or !". C’est le cœur de la doctrine développementiste. Certes, ce n’est pas rien qu’il ajoute "pas un mort de plus !". Depuis, effectivement, le projet de Conga, une extension gigantesque du projet déjà exploité par Yanacocha, a été quasiment arrêté. Des solutions techniques et sociales nouvelles sont annoncées. Les tensions se sont apaisées sur le terrain. Et il n’y a plus de morts. Mais on peut considérer que cela ne change rien au fond du problème. Dans ce cas il s’agit de la confrontation de deux logiques, d’une part celle d’une partie des indiens présents sur place et faisant valoir leurs droits et la protection de l’écosystème, de l’autre celle de l’État qui protège des concessions minières pour en tirer des recettes avec l’appui des concessionnaires haïs et des populations intéressées à l’activité minière qui ne sont pas forcément de droite.

Le problème est politique. Il concerne la stratégie économique qui est impulsée par les révolutions démocratiques de l’Amérique du sud. Cela fait partie des sujets sur lequel il n’est pas aussi facile qu’on peut croire au premier coup d’œil d’avoir un jugement raisonnable. D’autant que, dans le cas du Pérou, la question est souvent polluée par la continuation de la guerre que mènent sur le terrain des organisations militarisée comme le « Sentier Lumineux » ou le « Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru » qui ont également leurs relais en Europe où se règlent aussi des comptes politiques.

Pour autant mon angle de réflexion ne se résume pas non plus à juger d’après les protagonistes d’une cause. Le fond politique est que la vague démocratique de l’Amérique latine n’a pas tranché net entre post libéralisme et post capitalisme. L’affaire parait extraordinairement compliqué dans la mesure où partout, nous n’avions ici aucun des points d’appui dont nous disposons dans la vieille Europe pour ce qui concerne les infrastructures de base où le niveau de qualification professionnelle de la population active. Changer de matrice productive demande des bases de départ. Comment les réunir sans recettes fiscale tirées de l’activité de marché ? Dans le cas du Pérou, Verónika Mendoza Frisch, député à l’assemblée nationale et l’une des fondatrices du mouvement « Gana Peru » qui a porté Ollanta Humala au pouvoir a pris ses distances en montrant comment la logique néo libérale forme un tout dont on ne peut prendre qu’un morceau sans se trouver pris dans la mécanique générale qui est la sienne. « On nous a vendu que ce modèle était la panacée, écrit-elle, que la croissance économique tôt ou tard résoudrait tout. Ce qui est certain c’est que nous sortons de vingt ans de croissance économique soutenue, mais nous nous rendons compte que cela reste totalement insuffisant si cela doit passer en même temps par l’extractivisme, la dérégulation, la faiblesse institutionnelle, et la fragilité de la démocratie. Pour finir, nous devons nous demander jusqu’où nous sommes prêts à assumer de tels couts. » De son côté, l’historienne Carmen Mecevoy, a publié récemment une tribune sous le titre : « en quête de la République » où elle estime que le « théâtre de l’absurde » dans lequel est plongée la vie politique péruvienne aujourd’hui découle d’un décalage entre les développements économique et politique du pays. Elle regrette que la récente « réinvention » du Pérou soit bien plus passée par de l’audace entrepreneuriale que par de l’audace politique. Et les récentes manifestations spontanées d’indignation de la population mettent en exergue, à son avis, le besoin de construire une démocratie non seulement représentative mais encore participative, laquelle ne saurait s’enraciner que dans une nouvelle vision du pays, portée par un projet politique clair et attaché aux valeurs républicaines que sont la justice et le bien commun. On ne peut passer à côté de cette analyse ni à côté de la dissidence des secteurs de gauche du Pérou. Ce qui est exprimé correspond de trop près aux questions que nous nous posons pour nous même. Le triptyque « République, écologie et socialisme » qui est la devise du Parti de gauche ne se laisse pas convertir en une série d’étapes. C’est un tout.

Pour autant il y a loin de la coupe aux lèvres. La ligne qui est appelée ici « développementiste » est loin de se résumer à une servile allégeance au système néolibéral comme je l’ai dit du fait des mutations très profonde qu’elle implique dans la vie quotidienne des gens quand un bus est désormais disponible, une route remplace une piste et ainsi de suite. Elle recoupe un nationalisme spontané du grand nombre également excédé par l’arrogance des puissances. Et de toute façon quelle doit être la raison d’être de nos avis ? Ils n’en ont que pour nous même et la conduite de notre propre action, selon moi.

En toute circonstance la règle demeure donc pour moi la même où que j’aille. Observer et en tirer de leçons pour nous, pour ce que nous aurons à faire le moment venu. S’il est vrai que mes sympathies raisonnées me tournent très profondément vers les pays de l’Alba, je n’entre pas dans les logiques d’opposition frontale qui sont suggérées depuis l’Europe contre les pays qui n’en sont pas membres ni contre leurs gouvernements c’est-à-dire l’Argentine le Brésil et ainsi de suite. J’invite à considérer chacune de ces politiques sous le double aspect de l’apprentissage critique pour nous-mêmes et de la solidarité face à l’ennemi commun, l’empire, les oligarchies et leur bras armé médiatique là-bas et chez nous. Cela exclut la distribution de bons et de mauvais points et davantage encore, la référence à un catéchisme de la bonne pensée qui se découvrirait au fur et à mesure de la promulgation de décrets d’excommunication. Je m’en tiens pour ma part à une solidarité active mais raisonnée.


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