Le maréchal  Joukov, un héros soviétique

vendredi 20 septembre 2013.
 

JOUKOV, l’homme qui a vaincu Hitler, de Jean Lopez et Lasha Otkmezuri. Éditions Perrin, 2013,
736 pages, 28 euros.

Petit, doué d’une grande force physique, ne buvant pas une goutte d’alcool, donc phénomène parmi les généraux soviétiques, non fumeur, le maréchal Gueorgui Joukov a su encaisser les effroyables conséquences de l’attaque nazie sur l’Union soviétique maintenue l’arme au pied, puis, de concert avec Staline, il a refoulé et battu les armées d’Hitler.

Illustration des ravages de l’idéologie dominante, fort peu de biographies lui sont pourtant consacrées, alors que les auteurs soulignent à raison qu’innombrables sont celles qui s’attachent aux chefs militaires de l’Occident. Pourtant, il y avait neuf fois moins d’hommes et cinq fois moins de chars engagés à El Alamein qu’à la réduction du saillant de Koursk. Et quel passionnant itinéraire que de suivre ce fils de moujik, ouvrier fourreur, peu instruit, d’une volonté de fer, au coup d’œil napoléonien, devenant sous-officier dans la cavalerie du tsar, puis modeste officier bolchevik lors de la guerre civile, jusqu’à s’imposer, survivant aux années de terreur staliniennes qui décimèrent les cadres de l’Armée rouge, comme le stratège principal de la victoire sur les nazis.

Les auteurs, spécialistes de la guerre à l’Est et animateurs de la revue Guerres et Histoire, avaient déjà donné en 2011, au Seuil, un ouvrage remarqué, Grandeurs et Misères de l’Armée rouge, témoignages inédits 1941-1945. Aujourd’hui, sous un titre certes exagéré, L’homme qui a vaincu Hitler, l’ouvrage, dense, documenté, constitue une somme qui fait date dans la connaissance tant de la période soviétique que dans l’histoire militaire de la Deuxième Guerre mondiale.

Si écrire la vie d’un homme signifie l’inscrire dans son milieu, dans son temps, en perspective avec l’histoire, alors l’ouvrage est une réussite, ne masquant ni les qualités exceptionnelles ni les défauts, les faiblesses et les mensonges de Joukov dans la traversée d’un siècle soviétique tout à la fois porteur d’un immense espoir d’émancipation et d’une terrible trace sanguinaire. Sachant aussi se repérer dans le maquis des archives et des témoignages.

On y décrit la vie dans la Russie de 1900, l’incroyable gabegie de l’armée impériale en campagne, jusqu’à l’effondrement, la sauvagerie de la guerre civile – laboratoire de la brutalité de Joukov – dont les victimes, terreur, famines et épidémies incluses sont estimées à dix millions de morts, les faiblesses «  sociologiques  »
de l’armée et le grand effort industriel, 
facteur de la victoire. L’apport de l’ouvrage dans l’historiographie française est aussi
de démontrer que la «  grande tactique  »
du haut état-major allemand, héritier de deux siècles de remarquables traditions militaires, a été surclassée par le moderne «  art opératif  » des opérations combinées, conçu par des stratèges dont la plupart seront
éliminés par Staline, mais dont l’enseignement sera mis en œuvre par Joukov et les autres chefs militaires.

Nicolas Devers-Dreyfus


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