90 ans après, faits, histoire et commémoration de la révolution russe (5)

vendredi 9 novembre 2007.
 

TF1, faisant un reportage pour les 90 ans de la plus importante révolution du monde avec la révolution française du 14 juillet 1789, a choisi de traiter la « prise du Palais d’hiver » du 7 novembre 1917 en enquêtant... sur l’Adn de la « princesse Anastasia » afin de savoir si elle avait bien été exécutée en 1918 avec tout le reste de sa famille, ou si la légende de sa survie (qui avait donné lieu à 5 ou 7 fausses princesses « Anastasia » au XX° siècle) avait un « gêne » de vérité.

C’est un peu comme si la commémoration de la prise de la Bastille donnait lieu à un reportage concentré sur les ossements de Louis XVII.

C’est une certaine façon de traiter l’histoire.

France inter le 6 novembre 2007 traite de la révolution russe qui a donné un « régime bureaucratique pendant 70 ans jusqu’à la chute du Mur de Berlin ». Un peu comme si Napoléon III était le continuateur des sans-culottes et comme si la Révolution française s’était achevée à Sedan en 1870 en étant responsable de la débâcle impériale.

Personne ne mentionne qu’il y a eu une Restauration en Russie, dés 1927-1937 comme il y en a eu une en France en 1800-1815.

Napoléon 1er était aussi éloigné des sans-culottes du 14 juillet que Staline était éloigné des bolcheviks d’octobre 17. À tel point que Staline a exécuté, fusillé, emprisonné 90 % de ceux qui avaient fait la révolution.

De même qu’il y a eu la Terreur, et Thermidor, il y a eu la dictature de Staline et les procès de Moscou. De même que Napoléon 1er a tyrannisé l’Europe, de Madrid à Rome, de Vienne à Moscou, Staline a tyrannisé l’Europe de Varsovie à Prague, de Bucarest à Budapest. Mais dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas l’héritage de la révolution : c’est l’héritage de la contre-révolution.

La contre-révolution, en France, a été longue, de Thermidor au Triumvirat, du Consulat à l’Empire et à sa « nouvelle noblesse ». La contre révolution, en Russie, a été longue, des répressions de 1927 au « congrès des vainqueurs » de 1935 et aux purges de 1937 à 1939, à sa nomenklatura.

Mais au terme de ces deux contre-révolutions, des guerres terribles avaient eu lieu, avec les « chouans » ou avec les « blancs », les « émigrés » ou les coalisés ( six troupes internationales ont attaqué les bolcheviks, troupes française, américaines, japonaises, anglaises, avant qu’Hitler ne les attaque aussi...) En Russie, la prise du Palais d’hiver ne sera pas moins pacifique que la prise de la Bastille. Ce sont les contre-révolutions qui feront des massacres, des malheurs, des ruines, des pandémies : les guerres napoléoniennes ou la guerre civile entretenue par les putschistes tsaristes, Kornilov, Koltchak, Denikine, Von Sternberg, et autres oiseaux de proie barbares.

En fait, la confusion vient de là : ce 7 novembre 1917, ils ne commémorent pas les révolutions, mais les contre-révolutions.

Sinon, cela resterait une fête de commémorer Octobre 17 autant que de commémorer le 14 juillet 1789.

D’autant qu’octobre 1917 venait du refus du peuple de continuer la terrible guerre conduite par le tsar et qui venait de produire 7 millions de morts du seul côté russe, autant de morts en un seul pays que du côté de tous les autres « alliés » français, anglais, américains, réunis.

Vous comprenez si c’était une fête que d’arrêter cette abomination qui conduisait le peuple russe à la famine et à la ruine totale ?

Vous comprenez si les mencheviks qui avaient pris le pouvoir en février, et qui n’avaient pas arrêté la guerre, ont été vite minorisés.

Vous comprenez pourquoi les bolcheviques sont passés de 40 000 à 400 000 membres en quelques mois et ont gagné toutes les élections fin août, septembre, avant de concrétiser par la prise du pouvoir en octobre : c’étaient eux ou Kornilov, eux ou la poursuite de la boucherie de 1914-1917.

Vous comprenez pourquoi les bolcheviks devaient signer la paix à Brest-Litovsk à tout prix ? Et pourquoi cette révolution, c’était la paix ! La fête et la paix !

Alors pourquoi la guerre civile ? Jamais les pays riches en Europe et en Amérique, ne supportaient que des Communards (comme ceux de mars-mai 1971 à Paris) prennent le pouvoir à ... Moscou. Il fallait les écraser. Ils ont donc alimenté la guerre civile qui a suivie : elle aussi a fait 6 à 7 millions de morts dans une violence épouvantable (comme celle que Franco, Hitler et Mussolini ont alimenté un peu plus tard contre la République en Espagne entre 1936 et 1939).

Mais en Russie, ce ne sont pas les Versaillais, ni les Franco-Hitler-Mussolini qui ont gagné, ce sont les bolcheviks, les Communards, les sans culottes...

Mais cela a été une victoire à la Pyrrhus : pour gagner, seuls contre tous et de justesse, ils ont dû payer un tel prix que leur ruine était inscrite dans leur victoire ! Pays détruit, économie exsangue, analphabétisme, famines, pandémies (typhus et choléra), cadres bolcheviques anéantis, et ils ont été isolés, et rongés de l’intérieur, la défaite n’est pas venue du dehors, elle est venue du dedans, comme Lénine l’avait d’ailleurs pressenti, décrit, dénoncé avant de mourir...

Un des plus illustres inconnus d’octobre 17, Staline, a imposé peu à peu, de 1927 à 1937, sa dictature contre les révolutionnaires célèbres, Lénine, Trotski, Boukharine, Zinoviev, Kamenev et les autres...

1917-2007 : être historien en Russie ?

Il y a un Musée d’histoire à Moscou qui s’arrête au XIX° siècle... Ça doit être dur d’être professeur d’histoire en 2007. Raconter comme nos gandins parisiens que « Staline était dans Lénine » et la « contre-révolution dans la révolution » ? Comme lors de la contre-révolution blanche en France, refuser de prononcer les « r » pour manifester son regret de la mort du roi Louis XVI ? L’histoire n’est pas écrite par les seuls vainqueurs, contrairement à ce qu’on dit, et puis les « vainqueurs » changent avec le temps : l’humanité se souvient du nom de Spartakus, pas du nom du gouverneur romain qui a décidé de son exécution. L’histoire change donc : la Commune de Paris n’avait pas la même presse en 1881 (on se contentait, devant l’interdiction de l’évoquer, de chanter « le temps des cerises » - chanson préférée de ma mère), en 1891 (les héros survivants, d’abord envoyés au bagne, avaient été graciés en 1985) en 1901, (l’approche du « Bloc des gauches » était imminente) en 1911 (le nationalisme était reparti), en 1921, (le mouvement socialiste et communiste divisé ne l’appréhendait pas de la même façon) en 1931.. 1941 (n’en parlons pas...) ` en 1951...1961... en 1971 pour son centenaire où des centaines de milliers de manifestants, après mai 68, lui rendirent un immense hommage. On verra en 2011 selon qu’on aura réussi à battre Sarkozy avant ou non

Qu’en sera t il d’Octobre 1917 dans la Russie et dans le monde en 2017 ? En 2067 ?

Iékaterinbourg, c’est l’ancienne Sverdlosk... Une phrase banale du guide « Lonely Planet » présente Iekaterinbourg et évoque « le crime de Sverdlovsk » qui a ordonné l’exécution de la famille du Tsar... Mais il n’évoque pas les crimes commis par le tsar, avec 7,5 millions de morts, conséquence de son engagement dans la guerre de 1914-17. La Russie, à elle toute seule, a payé un tribut supérieur à celui de tous les « Alliés » réunis, entre 1914 et 1917.

Octobre 17 : « Dix jours qui ébranlèrent le monde » (relire John Reed). Qui peut les effacer ? Pas Hachette, ni Lagardère, ni Dassault, en tout cas, en dépit de leur main mise sur nos médias, notre « culture » ! Les médias français, 90 ans après, ne trouvent qu’à présenter un livre de gribouillis dessinés sur les « notes » des dirigeants bolcheviques et retrouvés dans des fonds d’archives. Mais nul ne souligne que finalement la révolution d’Octobre fut une révolution pacifique : la thèse à la mode à Paris et dans l’univers libéral, c’est que « c’était un putsch ». Mais allez donc défendre que la révolution de 1905 était un « putsch » et que la révolution de 1917 était étrangère à la tentative qui l’avait précédé 12 ans plus tôt ? Allez donc prouver que les masses n’y ont pas joué de rôle ou défendre qu’il eût été préférable de maintenir le tsar en place (il y en a qui s’y exercent). Le mouvement - avec la journée des femmes - qui a chassé le tsar en février 17 avait commencé par lui demander respectueusement du « pain » et la « paix ». À manger ! Stop à cette guerre infâme ! Au début, pas plus irrespectueusement que le peuple de Paris vis-à-vis de la boulangère et de son petit mirliton... Le tsar, embringué dans sa sale guerre et dominé par ses courtisans, a refusé : ni pain, ni paix. Louis XVI était parti à Varenne, rejoindre ses amis émigrés qu’il aimait davantage que son peuple... Ils ont connu un sort commun. La prise de la Bastille, c’était un « putsch » ? Il y a eu de nombreux épisodes de la Révolution Française entre le 14 juillet 1989, la Constitution de 1993, les clubs, les jacobins, des coups de force, des soulèvements de masse, les enragés, la conjuration des émigrés, Valmy, la Terreur, le Mouvement des égaux, et Thermidor, le triumvirat, l’Empire...Il y a aussi de multiples épisodes, de façon condensée, entre février et octobre 17 : le gouvernement provisoire, les journées de juillet, le putsch de Kornilov, les élections à la douma d’août septembre... Les bolcheviks archi-minoritaires en février. Lénine exilé estimait en janvier 17 qu’il ne verrait sans doute jamais la Révolution - lorsqu’il rentre en avril et dit que le pouvoir peut être pris - thèses dites d’avril - il passe pour fou, Trotski rentre en juin 17. Ils sont devenus majoritaires en août, septembre, octobre. Ils gagnaient en influence, ils sont passés de plusieurs milliers à plusieurs centaines de milliers, tout simplement parce qu’ils continuaient à exiger la paix, le pain, la terre, alors que le gouvernement mencheviks cadets continuait la guerre et faiblissait devant les candidats dictateurs qui fomentaient déjà la contre-révolution.... Qui allait gagner ? Le putsch de Kornilov ? Non, c’est la résistance vive, massive, ouvrière, paysanne, de ceux d’en bas qui souffraient de la guerre infâme menée par le tsar puis par Kerenski : Kerenski tomba tout simplement parce qu’il ne voulait pas donner satisfaction au peuple, pour les mêmes raisons qu’était tombé le tsar, (et Louis XVI) Pas besoin d’invoquer un « putsch » pour comprendre.

(Lire « l’histoire de la révolution russe » de Trotski où celui-ci fait litière, preuves, chiffres, arguments à l’appui de l’argument misérable du « putsch », ou relire encore et encore John Reed, ce journaliste américain et voir « Red » de Warren Beatty pour ne pas parler des films d’Eiseinstein ). Les bolcheviks, faut-il le rappeler aux ignorants involontaires, gagnent la majorité à toutes les élections qui se tiennent fin août, courant septembre 17, dans les grandes villes. Mais évidemment, ils ne s’appuient que sur 2,5 millions d’ouvriers, et il y a 150 millions de paysans. Ce n’était pas en Russie que la situation était “mûre” pour une révolution socialiste, mais en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France... (Les bolcheviks n’ont jamais cessé de le répéter, c’était leur obsession, jusqu’à ce que Staline dise le contraire avec son « socialisme dans un seul pays »). Pour autant fallait-il « laisser » gagner les « blancs » réactionnaires et autres ignobles forbans ? Le choix n’était pas entre révolution et nouvelle société réformée, il était entre la prise du Palais d’hiver, et les dictatures des Kornilov, Dénikine, Wrangel, Koltchak, le "Baron fou" Urgern Von Sternberg en Mongolie, à Ulan-Baatar et autres barbares. Qui a idée aujourd’hui de ce qu’étaient ces barbares ?

(« Une statue de plus de cinq mètres représentant l’amiral Alexandre Koltchak, grand chef des forces armées “blanches” durant la guerre civile russe, a été inaugurée fin décembre 2004, le jour du 130° anniversaire de sa naissance, à Irkoutsk (Sibérie, à côté du lac Baïkal). La statue réalisée par Viacheslav Klykov a été érigée dans l’enceinte de la cathédrale de Znamensk où sont enterrés de nombreuses personnalités de l’histoire russe. Le monument se situe non loin de l’endroit où l’amiral Koltchak avait été fusillé et son corps jeté en février 1920 dans la rivière Angara. Une plaque à la mémoire de l’amiral a aussi été inaugurée à Omsk sur ce qui fut le bâtiment de l’état-major des “blancs” lors de la guerre civile russe. L’amiral Alexandre Koltchak, né en 1874 fut un acteur de la guerre perdue russo-japonaise. Lorsque la révolution éclata en 1917, il démissionna du commandement de la flotte de la mer Noire, puis il gagna la Sibérie où il instaura un gouvernement militaire il commit de nombreux crimes de guerre avec son armée jusqu’à la Volga avant d’être isolé et vaincu par les bolcheviques et d’être fusillé. La guerre civile, en Russie, commença après la victoire des bolcheviks. La première armée blanche (anti-bolchevique), que l’on appela l’"Armée des volontaires", fut formée durant l’hiver 1917-1918, dans le pays cosaque au sud, sous le commandement du général Denikine. Une autre armée se créa en Sibérie occidentale autour d’un contingent de 45 000 anciens prisonniers de guerre tchèques, armés par le gouvernement tsariste pour combattre l’Allemagne. En novembre 1918, l’amiral Alexandre Koltchak prit le commandement de cette armée, s’auto proclama "chef suprême de toutes les Russies" et installa sa capitale à Omsk.)

D’autres armées, plus modestes, se formèrent au nord-ouest, au nord et en Sibérie orientale. À peine signé, le traité de Brest-Litovsk fut violé par l’Allemagne qui envahit l’Ukraine, la Géorgie et la Crimée, en avril 1918. Les Britanniques, hostiles au régime bolchevique depuis le traité de paix qu’ils considéraient comme une trahison, apportèrent leur soutien militaire aux armées blanches. Ils occupèrent Mourmansk (mars 1918) puis Arkhangelsk (août 1918), à l’extrême nord de la Russie, dans le but prétendu de contrer l’avancée allemande sur Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) ! ; ils décidèrent les Japonais, aidés d’un corps expéditionnaire américain, à occuper Vladivostok en Sibérie orientale (avril 1918), avec pour objectif prétendu de réactiver le front oriental. Les contingents français et américains déployés sur le territoire russe se retirèrent après l’armistice. Les Britanniques restèrent jusqu’à l’automne 1919. Leur soutien aux forces anti-bolcheviques fut surtout une aide financière et en matériel militaire. Devant ces assauts, l’Armée rouge fut créée début 1918 Au plus fort du conflit, elle devait compter près de cinq millions d’hommes. Les batailles décisives de la guerre civile eurent lieu en 1919. Koltchak lança au printemps 1919 une offensive contre Moscou ; il atteignit les rives de la Volga, où il fut arrêté par l’Armée rouge et contraint de se replier. Son armée se désintégra peu de temps après et il fut fait prisonnier et exécuté “ (le 6 février 1920).(lire Corto Maltese d’Hugo Pratt)

Le peuple, qui accueille parfois avec joie les soldats de l’ancien régime, se plaint bientôt des rapines et du retour des gros propriétaires. Ce sont des révoltes à l’arrière qui gênent souvent les offensives blanches. Koltchak et Denikine s’aliènent les paysans en abolissant le décret sur la terre, par leurs mesures autoritaires, les exactions, les pogroms. Leur seul programme est l’ordre ancien. Koltchak était avide de l’or russe, c’était l’un de ces aventuriers, assassins sans scrupules, tortionnaires, mercenaires, comme la majorité de ces « blancs » qui essayèrent de défendre en Sibérie, et fort heureusement en vain, l’affreux monde décadent des tsars.

Avertis par le massacre de la Commune de Paris, et par les massacres répressifs semblables de décembre 1905, les bolcheviks (et les mencheviks) savaient à quoi s’en tenir en cas de contre-révolution... Les Versaillais sont les mêmes partout, les russes blancs les valaient bien !

Les épisodes suivant la prise du pouvoir l’ont prouvé : la guerre contre-révolutionnaire a été organisée en provenance du monde entier avec une violence inouïe et le maximum de moyens pour écraser les bolcheviks isolés (et qui « attendaient » la révolution allemande, persuadés que, sans elle, ils périraient - ce qui fut le cas). C’est cette guerre civile alimentée de l’extérieur (il y a eu six corps expéditionnaires étrangers contre la jeune révolution, dont ceux de France, du Japon et des Usa !) Ce n’est pas le prétendu « putsch » qui a ruiné le pays, mais cette guerre civile qui a provoqué plus de 6 millions de morts, de 1918 à 1921, auxquels il faut ajouter dans les années suivantes, 7 millions de morts de famine, de pandémies (typhus, choléra).

Les révolutionnaires russes gagnèrent et périrent à la fois. Pas comme les Communards, directement sous les chassepots des mercenaires de la classe dominante. Car la classe dominante était exsangue : c’est donc de l’intérieur de leurs rangs épuisés, isolés, que la contre-révolution gagna. Comme les conquérants de Cinggis Xan, ils furent assimilés par les survivances de l’appareil d’état tsariste, s’y intégrèrent, s’y transformèrent, la nouvelle bureaucratie poussée sur l’ancienne, s’érigea en détruisant ce qui restait de tradition bolchevique. La bureaucratie stalinienne a autant de rapport avec la révolution d’Octobre, que l’empire napoléonien avec les sans-culottes de la Bastille. Staline et Napoléon 1er ne sont pas dans la continuité de Robespierre, Saint-Just, Babœuf, Lénine ou Trotski. Staline était un intrigant chauvin et malsain, un « brutal argousin grand-russe », (selon l’expression de Lénine dans son « Testament »). Napoléon un intriguant ambitieux, violent, sans scrupule. Il est enfin normal que Staline (comme le traître français Adolphe Thiers) soit aujourd’hui chassé des places, des statues, des hommages de tout genre : il représente la barbarie, pas Octobre. On préférera aussi Varlin, Delescluzes, Rossel, Louise Michel à Adolphe Thiers. C’est pour cela qu’à ce jour, la Russie actuelle n’a pas osé, ni pu, ni voulu chasser Lénine : il est partout, en statue, en rues, en images, en édifices de toutes sortes... Après avoir cessé dans les années 90, les longues files d’attente ont repris sur la place Rouge pour visiter ce désastreux Mausolée où il est embaumé. L’enlever aujourd’hui n’a plus le même sens. Staline n’est pas, quoiqu’en disent nos nombreux thuriféraires réducteurs de révolution, « dans la continuité » de la révolution russe, il en est au contraire l’agent exterminateur. Il a fallu qu’il tue la quasi-totalité des révolutionnaires d’Octobre, qu’il extermine non seulement les racines, la culture, les idéaux des bolcheviques, mais l’immense majorité des bolcheviques eux-mêmes pour imposer son pouvoir. De 1927 à 1937, la contre-révolution triomphe, et ce qui en reste, la barbarie stalinienne n’a plus rien à voir avec les tentatives socialistes du début, encore moins à voir avec le communisme, bien sûr. Les capitalistes du monde entier ne seront pas rassurés pour autant par la victoire de Staline (même s’ils applaudiront aux procès de Moscou) et les grands trusts allemands conféreront à Hitler, le pouvoir et la tâche d’en finir vraiment avec le spectre, même dégénéré du bolchevisme. S’ensuit la 2° guerre mondiale qui fera 20 millions de morts en Urss. Une deuxième tragédie, qui épuise le peuple lequel lutte de toutes ses forces contre l’envahisseur nazi (en dépit de toutes les crimes et erreurs militaires de Staline, en dépit du fait qu’il avait décapité l’Armée rouge, en dépit de son refus jusqu’au dernier jour de croire à l’agression d’Hitler). (lire « Vie et destin » de Vassilii Grosman, remarquable grand roman, sur la résistance populaire anti-nazi, en dépit du régime stalinien).

Mitterrand disait en 1989 qu’il fallait prendre la Révolution française comme « un tout, dans ses différentes phases ». François Furet et autres interprètes libéraux comme Michaël Winnock, se sont surtout employés à déconsidérer les mouvements populaires, et à valoriser, disons, « les restaurations ». 1789 et 1871, 1917, c’étaient d’autres temps, d’autres mœurs, mais les leçons sont toujours là, sur la rapacité, l’avidité, la férocité des classes dominantes dès que leurs pouvoirs et leurs fortunes sont en jeu (Chili 1973, Indonésie 1965, Nicaragua 1980, Grenade...). Elles préfèrent non pas une « démocratie » mais n’importe quelle dictature à leur solde. La réaction capitaliste d’aujourd’hui en Russie, c’est Attila, après cinquante ans de bureaucratie stalinienne, ils essaient d’éradiquer jusqu’au souvenir d’un secteur public, d’une économie mixte, d’un intérêt général... Mais Attila, on ne sait pas d’où il venait, et on ne sait plus rien de lui et il fut éphémère.

Encart

« La place Rouge était vide » encadrée de barrières empêchant d’y marcher librement en ce 5 juillet 2006. J’ai voulu voir Lénine dans son mausolée. La file d’attente a duré près de deux heures. On y accède ensuite péniblement en descendant à tâtons un grand escalier dans le noir, on tourne et on remonte un peu, vers une lumière : on entrevoit le cercueil, seul éclairé, le derrière de la tête d’abord, puis le reste du corps côté droit, on fait le tour sans pouvoir s’arrêter, vite, pressé par les gardes. Avant de redescendre et de remonter vers le soleil cette fois. Ce n’est même pas un « teint » cireux, qu’à ce cadavre, mais un visage blême composé de cire comme au Musée Grévin. Il apparaît en pleine lumière, petites mains, petites oreilles, front blanc livide, petite moustache marronnée claire, petit corps.

Petite dépouille pour un grand homme. Nadejda Kroupskaïa, la femme de Lénine, avait raison, dès le début, de hurler contre la construction d’un tel mausolée. « Faites donc des écoles, des crèches, à la place » expliquait-elle contre le projet de Staline, « c’est ce que Lénine lui-même, aurait voulu, et jamais il n’aurait accepté d’être ainsi embaumé ». En effet, s’il y avait bien quelque chose de contre-révolutionnaire, de contraire aux idéaux bolcheviques, les « communards » de l’époque, c’était bien de bâtir un « mausolée » pour une révolution ! C’était tout le contraire de la faire vivre, mais Staline voulait sans doute l’enterrer déjà. (Lire Démocratie & socialisme, qui, dans son n°3 en février 1993, peu après, donc, le coup d’état manqué des bureaucrates staliniens, contre Gorbatchev et la prise de pouvoir par Eltsine, titrait en dernière page : « A bas le mausolée de Lénine », reprenant les arguments de Kroupskaïa.)

Derrière le Mausolée, dans le désordre historique le plus complet, au pied du Mur du Kremlin, les tombes des grands bolcheviques historiques et de leurs assassins, dont Staline. Bourreaux et victimes rassemblées. J’irai cracher sur ta tombe en la choisissant bien. GF

De : Gérard Filoche


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