Penser la France

jeudi 12 juin 2014.
 

Je crois que l’Histoire de France n’était pas enseignée, ni sa connaissance vérifiée, pour la promotion Voltaire à laquelle appartiennent ceux qui commandent dans notre pays à cette heure. C’est pourquoi l’équipe de bons amis qui tient tous les leviers de l’État pense qu’il est possible de traiter la carte de France comme un plan de table dans le beau monde. Pris dans leurs jeux, absorbés par leurs bonnes et mauvaises raisons, obsédés par leurs complots ou leurs projets de pantouflage, les importants ont consterné tout le pays. Même les pires dévots du régionalisme ne se retrouvent pas dans le pâté confus qui leur est servi. Tous les autres, ceux qui aiment notre pays, quel que soit leur bord politique, tous ceux qui connaissent son Histoire, tous ceux qui savent comment les structures de l’État et de la République sont un vin longuement muri venu d’une vigne bien longtemps travaillée, tous ceux-là commencent par tourner le regard de honte et de peine.

Comment avons-nous pu élire une telle bande de bons à rien ! Depuis Charles VI, a-t-on jamais vu un monarque aussi absent de sa tête ? Le premier était un fou que l’on plaignait quand « le mal » lui revenait. Il admit ce que l’occupant voulait : que le roi de France était dorénavant Anglais. L’actuel veut faire l’Allemand. La France des Länder ! Qui lui apprendra que les Länder sont le résultat de l’impuissance séculaire des élites politiques allemandes à se construire en Nation ? Qu’ils restent un casse-tête institutionnel pour la gestion du pays dans les domaines aussi sensibles que l’éducation par exemple ? Que ces Länder furent récréés après-guerre, sur la base de la carte d’ancien régime, pour mieux contrôler les tentations hégémonistes qui pourraient resurgir ? Qui explique à ces petits marquis désinvoltes que le sud de l’Europe, c’est-à-dire l’intérieur des frontières de l’Empire romain, est fait de cités et de citoyens quand l’au-delà des « limes » est fait de hordes et de tribus ? Qui va leur expliquer pourquoi nous notons sur nos bâtiments publics « Liberté-Égalité-Fraternité », message universaliste ouvert à tout être humain, et que les réunificateurs de l’Allemagne contemporaines firent graver sur le Bundestag : « au peuple allemand » ?

Supprimer les communes, c’est araser la base de la démocratie réelle et historique, celle du temps long où se construisit la conscience collective de nos peuples. C’est de l’addition des cités qu’est venue l’idée d’un ensemble plus vaste qui nécessite des droits égaux pour être viable. L’édit de Caracala étendant la citoyenneté romaine à tout l’Empire a mille ans d’avance sur la sauvagerie confuse des hordes qui n’avait pas l’ombre d’une idée sur ce que le mot « universel » veut dire. L’État démocratique est l’enfant de la cité civique. De là au département, il n’y a qu’un pas de logique politique. La nécessité d’ensemble plus vaste que la cité ne se discute pas sérieusement. La réponse révolutionnaire des républicains est le département. C’est la proximité et l’anomie ethnique qui rend possible cet échelon en le rendant acceptable par tous. Je ne rappelle tout cela que comme introduction à des débats qui vont dorénavant structurer l’esprit public. Bien sûr : ce qu’ils ont entrepris est odieux. Bien sûr que c’est dans toute l’Europe que les froids bureaucrates de la Commission exigent cette destruction des échelons de base de la démocratie. Bien sûr que tout va de mal en pis avec ces élites politiques et sociales du type « promotion Voltaire » sans conscience historique ni même nationale.

Pour autant, la lutte est nécessaire et elle est aussi une opportunité. Ne vous en désolez pas, vous qui me lisez. La cohérence du projet libéral exige de briser tout ce qui unit pour mettre en scène une compétition généralisée. Cette compréhension, à mesure qu’elle avancera, nous permettra de construire une conscience collective affinée et argumentée. Jamais nous ne pourrions avoir ce débat « à froid ». L’odieux projet de Hollande est une occasion de rétablir dans le grand nombre l’idéal universaliste de la République une et indivisible. Nous allons pouvoir transformer en un ridicule archaïsme la sale petite musique des néo-modernes pour qui la différence prime sur l’universel, le local prime sur le global, la racine tournée dans l’ombre confuse des humus prime sur le feuillage tourné vers la lumière de la lune et du soleil. Le débat ne sera nullement abstrait. Pour l’instant, ce qui se voit se discute entre gens qui comprennent ce qui est en jeu. Mais cette compréhension va s’étendre et percoler en profondeur quand les citoyens vont réaliser que la structure des administrations et de l’État va devoir se disloquer pour correspondre à ce bricolage. Ce n’est pas seulement la mise en compétition des territoires mais la destruction de l’État qui est engagée. Dès lors, la nature de nos tâches et de notre programme en est modifiée. C’est à l’échelle du problème politique, constitutionnel, républicain et national posé que doivent être formulées les questions en débat et les réponses proposées.

Pourquoi 14 régions et non plus 22 ? Et pourquoi pas 13 ? Ou 15 ? Peu importe. C’est d’avoir l’air allemand qui compte. François Hollande explique dans sa tribune que les régions « seront ainsi de taille européenne et capables de bâtir des stratégies territoriales ». Des stratégies territoriales ! Quel jargon pour habiller le féodalisme ! Mais les 22 régions françaises sont déjà plus grandes que les Länder allemands idéalisés par les perroquets médiatiques ! Elles font en moyenne 25 000 km² contre 21 000 km² pour les Länder d’Outre Rhin. Mais pour finir, que valent ces prétendus arguments quand on les compare aux faits qui sont censés en être déduits ? Si François Hollande considère la taille d’une région comme déterminante, pourquoi va-t-il laisser le Nord Pas-de-Calais dans ses limites actuelles ? C’est pourtant, par la taille, l’une des régions les plus petites du pays. Elle s’étend sur 14 000 km², près de 7 fois moins que la nouvelle méga-région Poitou-Charente–Limousin– Centre ! De même, pourquoi laisser la Bretagne d’un côté et les Pays-de-la-Loire de l’autre au lieu de créer une de ces prétendues « région de taille européenne » en fusionnant les deux ? Et que dire des péroraisons sur le « mille-feuille » français ! Où est l’aberration sinon dans les ajouts baroques et post féodaux de l’aménagement du territoire à la sauce néolibérale qui organisent le désert français avec ses métropoles, et autres bidouillages féodaux ? Communes, départements et régions peuvent former une construction harmonieuse si l’on ne s’acharne pas à y ajouter des structures qui les neutralisent, les doublonnent, les enchevêtrent !


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