Trente ans plus tard : 1984, la crise du Parti communiste français

samedi 27 septembre 2014.
 

Roger Martelli publie L’Occasion manquée – Eté 1984, quand le PCF se referme, sur un épisode crucial de l’histoire de la gauche en général – et du Parti communiste en particulier. Laurent Lévy le commente au travers de sa propre lecture des événements.

On dira que chacun voit midi à sa porte ; et que si ce livre me semble si passionnant, c’est peut-être parce que l’époque dont il parle est précisément celle où j’ai quitté le PCF. C’est celle aussi où l’auteur, avec d’autres, s’est lancé dans la dissidence du courant que l’on a d’abord appelé les « rénovateurs », puis les « reconstructeurs », puis enfin les « refondateurs », la plus longue et sans doute la plus importante des dissidences internes qu’ait connu ce parti. Et peut-être que si je ne m’étais pas trouvé, en province, à l’écart de ce mouvement, je l’aurais rejoint. Mais je crois qu’il y a, bien au-delà de simples considérations biographiques, un grand intérêt à se retourner sur cette période cruciale. Et si Roger Martelli annonce dans son introduction que l’histoire ne livre pas de leçons, il administre par son ouvrage la preuve que ce n’est pas si vrai que ça.

Historien, Roger Martelli nous plonge dans les archives du Parti communiste – désormais ouvertes et publiques – et annexe à son travail plusieurs documents, dont certains inédits. Militant, il nous fait partager ses réflexions, celles de cette époque, qui sont celle d’un acteur de la période (il était alors un jeune membre du Comité central du PCF), et celles d’aujourd’hui qui sont celles d’un homme qui n’a pas renoncé, en rompant avec le PCF, à la perspective émancipatrice du communisme. Ce livre comporte ainsi dans ses annexes le témoignage vécu de l’auteur.

En creux, une actualité brûlante

Je ne reprocherai pas à Roger Martelli les choix qu’il a effectués dans la conception de ce livre. C’est toujours trop facile de dire « ceci n’est pas le livre que j’aurais aimé lire ». L’auteur est seul maître de ce dont il veut parler. Je n’en regrette pas moins que la période couverte soit si brève, dans la mesure où les piétinements stratégiques du PCF au cours de cette période (celle, en gros, du « tournant de la rigueur ») ne me semblent compréhensibles que si l’on remonte (au moins) à la rupture de l’union de la gauche à l’automne 1977 (date à partir de laquelle le PCF n’a plus jamais été capable, jusqu’à ce jour, d’une quelconque élaboration stratégique).

Je regrette aussi la focale (presque) strictement limitée aux questions de direction, aux débats qui ont agité la direction du PCF, sans l’élargir aux questions qui traversaient l’ensemble de la société ou même le mouvement syndical. Mais ces questions ne sont pas absentes des débats de direction. Au demeurant, comme Roger Martelli l’écrit lui-même dans son introduction, l’histoire du PCF (en ce incluse l’histoire de cette époque) reste à faire, et son propos, s’il y contribue d’une manière indiscutablement utile, n’est pas pour autant de combler cette lacune. Ces regrets n’enlèvent donc rien à l’intérêt de l’ouvrage. Un ouvrage d’autant plus passionnant aujourd’hui que l’on y retrouve en creux certaines questions qui demeurent d’une actualité brûlante dans toute réflexion stratégique sur la recherche d’une alternative.

Le déroulement et l’état de la réflexion interne à la direction du PCF est donc décrit dans une première partie du livre. Une seconde est constituée de réflexions d’ordre général sur la place du communisme dans la vie politique française et sur ses destinées. Roger Martelli y reprend inlassablement une question à laquelle il a déjà consacré de nombreuses pages – et quelques livres. Une saine obsession à comprendre, à analyser, et à critiquer au sens le plus général de ce mot ce qui se joue dans l’histoire du communisme politique. Les annexes proposées viennent éclairer l’ensemble du propos : témoignage, extraits de résolutions du bureau politique du PCF, d’interventions dans les débats du comité central, de réflexions publiées alors dans la presse du PCF.

Le titre du livre, L’Occasion manquée, ne doit pas trop être pris au pied de la lettre : l’article défini n’est pas là pour cacher que, dans son histoire séculaire, le PCF a « manqué » d’autres « occasions » de se renouveler. Roger Martelli les évoque brièvement, mais avec insistance, depuis le « retard de 1956 », formule dont il est à l’origine et qui lui avait valu l’attention de la direction, et jusqu’à son accession au Comité central, jusqu’aux divers moments où, devant une bifurcation possible, la direction du PCF avait marqué le pas.

De l’union populaire à l’échec du programme commun

Sans prétendre se substituer aux nécessaires travaux historiques à venir, rappelons quelques données sur la période qui précède. En 1984, il y a déjà sept ans que la direction du PCF navigue à vue. Cela n’a pas cessé depuis. Sa dernière élaboration stratégique date de 1968, avec le Manifeste de Champigny, aboutissement d’une démarche initiée dès 1962, et qui trouve ses premiers linéaments dans les années qui précèdent : c’est la stratégie de l’union populaire, fondée sur un principe d’alliance avec un Parti socialiste alors minoritaire à gauche, pour la construction d’une « démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme ». Le point d’orgue de cette ligne stratégique est la signature en 1972 d’un programme commun de gouvernement avec le Parti socialiste, programme bientôt ratifié par le petit Parti radical de gauche. Georges Marchais explique alors, dans un texte qui ne sera rendu public que quelques années plus tard, que la réussite de cette stratégie suppose la multiplication des luttes de masse, et qu’un gouvernement d’union populaire ne pourra « réussir » que soutenu par un puissant mouvement populaire.

Cette stratégie a été précisée et prolongée jusqu’au XXIIe congrès de février 1976, qui en marque déjà les limites et les contradictions et à certains égards commence à s’en écarter. On se rappelle ce XXIIe congrès comme celui de « l’abandon » de la dictature du prolétariat (en réalité absente du discours du PCF depuis 1968, où le Manifeste précité ne lui consacrait qu’une phrase en peu contournée), mais on n’a guère remarqué qu’il est aussi celui où l’union populaire disparaît elle aussi du vocabulaire.

Elle est concrètement, mais sans le dire, abandonnée en septembre 1977 avec la rupture de l’union de la gauche, alors que le Parti socialiste a dépassé, en termes de rapports de forces électoraux, le PCF. Les élections législatives de 1978, qui devaient en toute logique conduire à la victoire de la gauche sur la base de ce qu’il restait du programme commun, sont un échec. Et le débat s’enflamme dans le Parti communiste sur la question des responsabilités de cet échec. La doxa alors adoptée est qu’il est inutile de trop en débattre. Quoi qu’en disent quelques « intellectuels assis derrière leurs bureaux » (dixit Georges Marchais), la responsabilité exclusive de cet échec incombe au Parti socialiste. Quiconque, dans le parti, parle de quoi que ce soit, fût-ce de la pluie et du beau temps, sans dire que « c’est la responsabilité du Parti socialiste » est immédiatement mis à l’index. Rien de ce qu’il pourra dire ultérieurement ne fera plus jamais l’objet de la moindre attention.

Les conditions du débat interne – qui n’avait jamais été d’une richesse extraordinaire – deviennent proprement intenables. Mais cette « crise » n’affecte que certains secteurs du Parti communiste, essentiellement parmi ses intellectuels. C’est l’époque où Louis Althusser publiera dans Le Monde deux séries d’articles qui feront la matière de ses deux petits livres, XXIIe congrès, et Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste. La direction, pour l’essentiel, y échappe.

Fuite en avant et « catastrophe » de 1981

Toute cette période avait parallèlement été celle l’eurocommunisme : une petite musique mal maitrisée au PCF, qui tâchait de donner cohérence à la « nouvelle » conception du socialisme démocratique et de la voie démocratique originale pour y parvenir, à travers un progressif mais réel détachement du communisme soviétique.

En 1979, se tient le XXIIIe congrès dans cette nouvelle configuration. Il y a bien là une tentative d’élaboration stratégique nouvelle, avec la mise en avant, pour la première fois, et pour une brève période, du thème de l’autogestion. Le « titre » du congrès est L’Avenir commence maintenant. D’une certaine façon, il s’agit de remplacer une stratégie essentiellement fondée sur les questions électorales, avec leur calendrier et leurs nécessaires alliances, par quelque chose de nouveau, mieux ancré dans les luttes quotidiennes. Mais l’absence d’un débat approfondi à la suite des élections de 1978 pèse lourd sur un congrès qui se tient dans l’immédiat après-coup. Et la tentative d’élaboration tourne court.

Très vite, c’est la fuite en avant. Entretemps – c’est un détail qui a son importance – Jean Kanapa, qui était le grand maître d’œuvre de l’eurocommunisme en France, le principal collaborateur de Georges Marchais, est prématurément disparu. Pour la direction du PCF, l’échec de la gauche en 1978 marque une fin de cycle. Elle n’imagine pas de rebondissement rapide. La configuration de l’élection de 1981 la prend un peu de cours sur ses deux volets essentiels, lorsqu’il s’avère, à l’issue du premiers tour que le PCF connait un relatif effondrement de son électorat (Georges Marchais « tombe » à 15,7 %... catastrophe tellurique tout à fait imprévisible, dont les militant-e-s du PCF ne se consolent qu’en se disant que le fond est atteint, et qu’on ne pourra jamais tomber plus bas) et que François Mitterrand apparaît comme un vainqueur possible pour le second tour. Cette dernière hypothèse, dans les rapports de forces à gauche ainsi reconfigurés, semble catastrophique pour la direction du PCF, dont l’essentiel de l’activité depuis quatre ans consiste à dénoncer le « virage à droite » du Parti socialiste.

Ici prend place la misérable opération de cette direction ayant consisté, tout en appelant à voter Mitterrand au second tour, à tenter de faire en sous-main une campagne « interne » pour faire voter Giscard afin d’éviter la catastrophe. Cette opération, dont les contours sont aujourd’hui bien connus, fait naturellement long feu. Non seulement la totalité des électeurs de Georges Marchais, mais la quasi-totalité des militant-e-s du PCF, reportent massivement, avec ou sans enthousiasme, leurs voix sur François Mitterrand, élu le 10 mai 1981. Retour de bâton. Pendant plus d’un mois, le PCF mènera campagne pour que des ministres communistes entrent au gouvernement. Au terme des négociations qui suivent les élections législatives, ils seront quatre : Charles Fiterman, Anicet Le Pors, Marcel Rigout, et Jack Ralite.

Vers le « tournant de la rigueur »

On fera semblant de croire que la victoire de François Mitterrand est celle du « programme commun », pourtant mort et enterré depuis quatre ans. C’est méconnaitre l’ensemble de l’évolution politique des années qui précèdent. Mitterrand a été élu sur un certain nombre de propositions qui sont très en retrait de ce programme (que l’on pourrait relire aujourd’hui en s’étonnant de son caractère réellement avancé). Il a surtout été élu pour « battre Giscard », pour mettre fin au règne ininterrompu de la droite depuis le commencement de la Ve République en 1958. Dans la mémoire collective, la gauche n’a jamais gouverné depuis la Libération. 1936 et 1945 restent des références politiques parlantes. Cela suscite de très grands espoirs : qu’il soit mis fin à la crise, permanente depuis 1973, que le sort des gens s’améliore. Et pour les plus avancés, qu’une issue non capitaliste soit dessinée.

Cela dit, force est de constater que le nouveau gouvernement mènera, pour un peu plus d’un an, une véritable politique « de gauche ». Ce sont d’abord les nationalisations qui, si leur ampleur et leur configuration sont assez éloignées de ce pourquoi militait le parti communiste, portent un coup réel à la domination du grand capital sur l’économie et sur la société. Ce sont les lois Auroux, qui accroissent considérablement les droits des salariés dans les entreprises. C’est la réforme territoriale et la décentralisation du pouvoir. C’est la semaine de 39 heures. Georges Marchais déclarera même, sans que cela soit ridicule, que les réformes de 1981-1982 auront apporté plus aux travailleurs que celles de 1936 et de 1945. Le tout dans une atonie préoccupante de ce que l’on n’appelle pas encore le « mouvement social », atonie favorisée, à rebours de la stratégie affirmée en 1972, par l’attitude des ministres communistes – Charles Fiterman, par exemple, alors ministre d’État, ministre des Transports, dissuadant en permanence la CGT d’engager des luttes significatives à la SNCF. Des grèves éclateront bien, en particulier dans l’industrie automobile, mais aucun mouvement d’ampleur ne verra le jour.

Quoi qu’il en soit, dès 1983, c’est ce que l’on appellera le « tournant de la rigueur ». Le poids pris dans l’entourage de François Mitterrand par des responsables socialistes qui n’ont jamais approuvé le programme commun, comme Michel Rocard ou surtout Jacques Delors, se fait de plus en plus pressant et devient irrésistible. La fameuse « pause dans les réformes » imposée par Blum en 1937 connait une répétition. C’est Jacques Delors qui l’exige. Le contexte international, l’inflation persistante, la vague montante du néolibéralisme dans tout le monde capitaliste, tout cela fait céder les maigres digues « de gauche » du gouvernement.

La direction communiste est manifestement désorientée par cette situation nouvelle. Elle critique le « tournant » tout en restant fermement à la fois au gouvernement et dans la majorité parlementaire. Aux sarcasmes de Mitterrand qui affirme qu’on ne peut pas avoir « un pied dedans et un pied dehors », Georges Marchais répond avec constance que le PCF a bien les deux pieds dans le gouvernement. Le PCF va jusqu’à lui voter la confiance au Parlement – alors que la confiance est, depuis un moment déjà, à tout le moins bien entamée. Les ministres communistes ne contribuent pas peu à ce choix. Mais lorsque, en 1984, intervient la formation d’un nouveau gouvernement, dirigé par Laurent Fabius, et dont la feuille de route est de mettre en musique, à marche forcée, le cours nouveau de la politique gouvernementale, le PCF, après avoir tenté d’obtenir un grand ministère économique dans ce gouvernement, opte devant le refus ferme de François Mitterrand pour ne pas y entrer. Au grand soulagement des militant-e-s, profondément remonté-e-s contre le pouvoir en place et qui, depuis le « tournant », sont très nombreux-ses à ne pas comprendre le maintien de leur parti dans ce gouvernement.

J’ouvre ici une parenthèse personnelle. C’est précisément à cette époque que j’ai su que j’allais quitter ce parti, où je militais depuis dix ans, depuis l’âge de dix-huit ans. La position – parfaitement inaudible – que je défendais depuis 1983, depuis l’injonction de Mitterrand à faire dire au PCF s’il était « dedans » ou « dehors » (de la majorité), son affirmation qu’on ne pouvait pas avoir « un pied dedans, un pied dehors » appelait pour moi une réponse différente de celle donnée par la direction du parti. Une réponse plus dialectique : nous devions justement assumer cette position, « un pied dedans, un pied dehors », rester dans le gouvernement sans en rabattre sur nos critiques et en développant les actions de masse, quitte à nous faire virer. Nous ne devions pas prendre l’initiative de la rupture, mais l’assumer en cas de besoin. À trente ans de distance, je ne suis pas convaincu que j’avais tort. Mais toute discussion était assimilée à la critique sous la pression de l’adversaire, et devenait impossible. Fin de parenthèse.

1984, la tempête

Entretemps étaient survenues les élections européennes de 1984. Une lourde défaite pour la gauche dans son ensemble, mais plus encore pour le PCF, dont la chute spectaculaire, avec seulement 11% des suffrages, n’avait une nouvelle fois pas été anticipée. C’est ce résultat électoral qui déclenche la tempête, tempête au cours de laquelle de nombreuses questions en suspens ressortent dans le débat.

L’une des caractéristiques de ce scrutin, pour la première fois dans l’histoire électorale de ce pays, est le très fort taux d’abstentions, surtout dans l’électorat populaire, dans celui de la gauche, dans celui du Parti communiste. Avec des hauts et des bas, c’est l’amorce d’une tendance qui ne se démentira plus. L’adhésion populaire aux thèmes de la gauche marque le pas. Deux ans plus tard, ce sera la défaite de la gauche aux élections législatives, la première « cohabitation », et le début d’un cycle infernal où les « alternances » se succèdent sans qu’aucune alternative véritable ne parvienne à émerger.

L’analyse de ce résultat et le choix de ce qui doit être fait dans cette conjoncture s’avère très difficile pour la direction, profondément désorientée, du PCF. C’est là le cœur du livre de Roger Martelli. Claude Poperen, membre du Bureau politique, dirigeant du parti dans la « forteresse ouvrière » de Renault-Billancourt, est chargé de préparer le rapport qui sera présenté au Comité central. Mais ce projet – fait sans doute unique dans les annales – est rejeté par le Bureau politique. Poperen doit revoir sa copie, ce qu’il fait sans enthousiasme. Et pour la direction, la réunion du Comité central tourne à la catastrophe. Le premier intervenant après le rapport « révisé » de Claude Poperen n’a jamais rien eu d’un oppositionnel. Il a la confiance et l’admiration de tout le parti. Il est considéré (même si Roger Martelli précise que c’est « à tort ») comme le « philosophe officiel » du PCF. C’est Lucien Sève. Il ne mâche pas ses mots. Pour lui, la situation exige la « refondation » du communisme.

Les vannes sont ouvertes. De nombreuses voix « critiques » s’expriment. Roger Martelli donne une description de ce débat au plus haut niveau de la direction du PCF. Il montre aussi le trouble de la hiérarchie. Georges Marchais, encore assommé par le coup reçu aux européennes (il conduisait la liste du PCF), ne sait pas saisir la balle au bond. Roger Martelli esquisse en quelques touches éparses le portrait contradictoire du secrétaire général, à mille lieues de la caricature dans laquelle il s’est laissé enfermer, très significatif, justement dans ses contradictions, de ce qu’était alors la réalité de l’état-major central du PCF. Mais ce qui va dominer est la fermeture. Le sous-titre du livre de Roger Martelli, « quand le PCF se referme », illustre parfaitement la chose.

Le débat stratégique évacué

Tout en appelant formellement au débat le plus large et le plus ouvert, le Bureau politique fait tout pour enfermer cette discussion dans les limites de l’acceptable. Il craint les « pressions » de l’extérieur sur les discussions internes du parti. Il se persuade de l’existence d’un « complot » liquidateur. Il dénonce des « fuites » relatives aux discussions des organismes de direction (Comité central et Bureau politique). Il se refuse à assumer le caractère public de la discussion en cours. Il insiste sur la fonction « pédagogique » des dirigeants, chargés de « faire partager » aux militant-e-s la « ligne », pourtant bien peu claire, de la direction. Mais cette direction est désormais divisée. Au congrès suivant, si l’on maintiendra au Comité central les plus emblématiques des voix critiques, on éliminera tout ce qui peut l’être sans faire trop de bruit. Roger Martelli explique qu’il ne devra sans doute quant à lui sa réélection au Comité central qu’au fait qu’il n’a pas eu le temps matériel, lors de cette fameuse réunion, de prononcer l’intervention qu’il avait préparée…

Parmi les questions posées se trouve, pour la direction du Parti communiste, les plus lancinantes et les plus taboues : à quoi sert le Parti communiste ? Y a-t-il une place pour le communisme politique dans la société française ? Les structures du parti sont-elles adaptées à son projet politique ? La disparition du parti est-elle inexorablement inscrite dans le mouvement de l’époque ? À toutes ces questions, il est en définitive répondu avec une fermeté qui ne supporte pas la contradiction.

En 1984, le spectre de la « liquidation » inquiète au premier chef la direction du parti. On réaffirme la nécessité de faire bloc contre un adversaire à deux têtes : la réaction et le Parti socialiste. On réaffirme la pertinence du « centralisme démocratique » (quoi que l’on puisse ironiser sur le caractère démocratique du centralisme en cause). On dénonce toute mise en cause de l’autorité du secrétaire général. L’identité « révolutionnaire » du parti doit être maintenue et réaffirmée. C’est dans ce contexte que le nécessaire débat stratégique est évacué. Sur un de ces points l’évolution ultérieure du Parti communiste démentira les choix d’alors. Initiée par Georges Marchais, la disparition effective du « centralisme démocratique » n’attendra pas dix ans. Et la question de la survie ou de l’agonie – une agonie qui peut durer longtemps – du Parti communiste reste posée.

L’histoire ne se répète jamais, même s’il peut lui arriver de bégayer. Mais cette incapacité à réagir en présence d’une forte abstention et d’un effondrement de la gauche alors qu’elle est au pouvoir n’est pas sans rapport avec bien des débats contemporains. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le paysage politique d’aujourd’hui est tellement différent de ce qu’il était alors que les rapprochements et comparaisons peuvent avoir quelque chose d’hasardeux. Pourtant, ces débats nous parlent, quels que soient nos parcours personnels et la façon dont on a pu, pour les plus anciens (comme le temps passe !), les aborder, ou pas, à l’époque. Ne serait-ce que pour ça, le travail de Roger Martelli doit être lu. Et discuté.

Laurent Lévy


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