Au cinéma ce soir... sous le signe de l’horreur 1914 1918

mardi 6 juin 2023.
 

C’est en lisant les articles de Jacques Serieys sur les causes de la Grande Guerre que j’ai pensé à ce retour à la case ciné.

Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats

Le sujet est vaste, et on n’aurait pas assez d’une année à raison d’un avis quotidien pour en faire le tour. Il faut donc choisir, et tout choix est bien évidemment subjectif. Alors assumons la subjectivité !...

Dans mon petit panthéon des salles obscures, trois morceaux de bravoure, par ordre chronologique de sortie, c’est un choix là aussi.

D’abord, un film de Joseph Losey, « Pour l’exemple » (King and Country 1964). On est en 1917, une drôle d’année pour la guerre, l’année des mutins, des désertions, des morts injustes (mais pour ce qui est de la justice en terme de morts au champ d’honneur, il y a de toute façon beaucoup à dire...), une année sur laquelle Kubrick s’était déjà exprimé dans ses « Sentiers de la Gloire ». Nous suivons un jeune soldat anglais pris dans la machine implacable de la discipline, militaire et imbécile. Rien n’est édulcoré, ni la peur au ventre, au sens propre du terme, ni le sang, ni les rats, la vermine, ni les lâchetés, ni la panique devant le peloton d’exécution aux ordres, ni la colique, ni même l’honneur, c’est pour vous dire... Donc, on l’aura compris, ce garçon va y rester, broyé par le règlement, par la hiérarchie, par la machine à écrire les victoires, la machine à fabriquer les légendes, les héros... Le soldat déserteur, le seul soldat britannique fusillé pour mutinerie pendant cette guerre, c’est Tom Courtenay,(Prix d’interprétation à Venise cette année-là, on l’a retrouvé un peu plus tard, bien englué encore dans une histoire à l’écho similaire dans « la Nuit des Généraux », coincé entre l’horreur et le devoir), un type épatant, sobre, mais néanmoins pathétique dans cette souricière infâme, et qui est loin d’avoir eu le succès qui lui revenait, dommage.

Ensuite, une merveille de Bertrand Tavernier. Vous me direz, il y a du pléonasme dans l’air à parler de merveille dès qu’il s’agit de Tavernier. Oui, et celui-là, on ne pouvait pas le louper : « la Vie et rien d’autre », qui se place dans le peloton de tête des films dénonçant avec le plus de force l’aberration de la guerre et ses horreurs. 1920, le conflit a laissé ses ruines, dans le pays, dans les âmes, dans les cœurs, dans les corps, aussi. Mais il faut dresser un tableau bien en ordre d’une France unie et paisible. Le commandant Dellaplane dirige un bureau d’identification des disparus, mais surtout, il va devoir donner à la Nation son symbole, son emblème suprême : le Soldat Inconnu. L’homme est un humaniste, même si officier et humaniste, ça ne fait pas toujours bon ménage... Le voilà donc en quête d’un cadavre présentable, vous voyez bien : si possible Français de souche (on se marrerait bien si ce type, sous l’Arc de Triomphe, c’était un de nos « indigènes », non ?). Sa route va croiser celles de deux femmes. L’une, grande bourgeoise, recherchant son mari porté disparu, l’autre bien plus jeune, un amoureux fugace du « temps d’avant ». Il va bien vite comprendre que les deux hommes n’en font qu’un. Cruauté de l’évidence, de la trahison, cruauté de la passion, fatalement. Quelque chose va se nouer entre cet homme et cette femme blessée dans son amour disparu. Et lui, ce soldat magnifique, il reculera devant ce cadeau de la vie, il va refuser cet avenir possible, pour le regretter ensuite, mais c’est une autre histoire... un autre espoir, peut-être pour un jour, après... Que nous raconte Tavernier, finalement, sinon la vie qui continue, au-delà des souffrances, et il n’est pas innocent d’avoir situé son film en 19210, deux ans après la fin, justement, loin de l’horreur-spectacle, pour plonger dans une horreur rétroactive, et si réelle, si obsédante pourtant. Ici, ce sont bien les personnages qui nous concernent, leur cheminement, leurs sentiments. Ce sont eux qui nous apprennent l’absurdité de la boucherie légale. Et leur « petite » histoire épouse la grande, sans jamais lui céder la vedette. Tout est magistral, depuis les images, jusqu’aux interprètes, fabuleux. Philippe Noiret, impeccable d’émotion et de rigueur pourtant ébranlable, Sabine Azéma, parfaite comme toujours, embarquée dans une aventure de douleur et d’amour à laquelle elle refuse de croire, avant de s’accepter prête pour une nouvelle traversée. Un très grand moment de cinéma, si vous le pouvez, ne le ratez pas.

Le petit dernier date de l’année dernière : « les Fragments d’Antonin », de Gabriel Le Bonin, revient sur ces blessés de 14-18, ceux qui en sont rentrés apparemment indemnes, mais qui jour après jour vont revivre les images, les tranchées, la mort. Antonin est à jamais hanté par les fantômes de ces années. Il tourne en rond dans son désarroi d’homme traqué par le souvenir du cauchemar, du combat, de l’ennemi vu en face, de l’horreur, en un mot. Nous assistons aussi aux balbutiements de la psychiatrie du traumatisme, à travers un médecin qui tente d’aider Antonin à résister à ses angoisses. Tant de désespoir, de détresse, et pour finir, des êtres humains, simplement. Une infirmière toute de douceur, Anouk Grinberg, décidément extraordinaire, avec ce phrasé qui n’appartient qu’à elle, presque une musique, ces mots susurrés, si joliment. Aurélien Recoing, psychiatre hors du commun, imposant dans sa force d’émotion sanglée dans un uniforme. Et puis le héros, Antonin, fou prodigieux, dramatique, Gregori Derangère, étonnant dans ce registre douloureux, lui qu’on avait aimé léger et futile dans d’autres registres. On a dit de son personnage, au moment de la sortie du film, qu’il campait ici « une gueule cassée de l’intérieur ». C’est tout à fait ça.

Voilà. Merci à Jacques (PRS 12) de m’avoir donné l’idée de cette guerre. Il y aurait bien sûr beaucoup encore à dire, et Capitaine Conan, et la Grande Illusion, et le Paradis perdu, et tant d’autres. Une autre fois peut-être et même sûrement.

brigitte blang prs 57

Article original : http://prs57.over-blog.com/


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