Au cinéma ce soir : « M le Maudit » de Fritz Lang

samedi 16 février 2008.
 

À l’origine de ce grand, très grand film, un fait divers des plus lourds, celui du « Vampire de Düsseldorf » : un assassin de petites filles, un psychopathe en liberté dans une Allemagne déjà en crise, sème la terreur dans une ville. Le chômage, la misère, rien ne manque au tableau qui fera le lit des années suivantes, des années brunes. La police a beau faire, et elle fait, elle quadrille, elle rafle, elle inspecte, elle interroge, elle est impuissante à arrêter le meurtrier. L’omniprésence des policiers, et de leur chef le commissaire Lohmann n’empêche pas les crimes de se multiplier.

Cette guerre ouverte va en gêner beaucoup, à commencer par la pègre locale, bien sûr. Pègre qui va lancer la chasse à l’homme à son tour. Pour être tranquille, simplement, et continuer ses petites affaires en toute quiétude. Ceux-ci sont à l’évidence plus efficaces que ceux-là... Ils détiennent les moyens, l’organisation, la discipline, la puissance. La police sera dépassée, elle trouvera ses maîtres. Un aveugle reconnait le meurtrier, par l’air qu’il sifflote avant ses crimes (un air de Peer Gynt). Il le marquera d’un « M » à la craie, et les truands lancent sur sa trace mendiants et clochards, le traquent, le capturent, le jugent.

Tout le film tient en ce symbole : les malheureux pourchassent plus malheureux qu’eux, la pègre se substitue à la justice légitime, sa loi fera Loi, son jugement implacable prendra le pas sur celui que l’État aurait pu prononcer. Que lire ici ? Comment ne pas voir la prémonition de ce que deviendra l’Allemagne à son tour, les dénonciations, les chasses à l’homme, et aux malades, et simplement à ceux qui sont différents ? Tout est là déjà de ce qui fera l’Europe des 20 années suivantes : la montée du nazisme, mais surtout la défaite de la démocratie, ici la République de Weimar qui s’était affaiblie en écrasant la révolution spartakiste et se retrouvait à la merci de la gangrène national-socialiste. Et comme le gang du film finit par dicter et imposer (mine de rien...) sa dictature, avec la bénédiction du peuple qui élimine le malade sexuel comme l’Allemagne éliminera les misères qui l’accablent, comme la pègre, les nazis gagneront, « démocratiquement ». Des nazis qui interdiront le film, c’est un signe...

On hésite largement à ranger ce chef d’œuvre : symbolisme, expressionnisme, réalisme, naturalisme ? Un peu de tout cela, à vrai dire. « M » est aussi le premier film parlant de Lang. L’air sifflé, les essoufflements du Maudit scandent l’action, ils le conduiront au supplice, à l’expiation terrible. Qu’ajouter d’autre, sinon qu’on y découvrit un acteur extraordinaire, Peter Lorre, pathétique, en bourreau devenu victime à son tour. Victime, réellement oui, victime de son instinct de meurtre. Son regard halluciné, affolé, resteront pour toujours au palmarès des images inoubliables de ce cinéma-là, d’un cinéma qui se propose de nous raconter l’Histoire autrement, mais l’Histoire, toute l’Histoire, et de nous donner à penser, à réfléchir. Revoyez « M le maudit » ou plutôt, comme son titre original le dit beaucoup mieux, revoyez « Dein Mörder sieht dich an » (en français : "Ton meurtrier t’observe". Et le meurtrier n’est peut-être pas celui qu’on croit... Tout est dit...)

brigitte blang prs 57


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