Aubry : coup au but !

mardi 28 octobre 2014.
 

C’est elle l’évènement. Elle déclenche par sa seule parole une cascade de remises en cause qui bouleverse le paysage du PS. Ni la femme politique qu’elle est, ni le contenu de ce qu’elle dit, ni l’ancrage historique, ni la portée de ce qu’elle fait n’est de même nature que le petit potage des « gauches » du PS préparant au Boucau, à Méréville où ailleurs à travers des grandes phrases les bons arrangements pour les prochaines élections, le petit bout de pain pour finir le petit bout de fromage des cantonales et le petit bout de fromage pour terminer le petit bout de pain des régionales. J’ai regardé de près, et apprécié de même, ce que je lisais d’elle dans le JDD. Sans l’exaspération que m’inspirent les autres, ceux de qui j’attendais tant autrefois et qui ont manqué tous les coches alors même que la justesse et la valeur du raisonnement qui m’a conduit à quitter à temps le PS est à présent confirmée en tous points. Je présente à présent loyalement ce que je crois être quelques aspects essentiels du débat que pose ce que dit Martine Aubry. Si les socialistes peuvent se réorganiser sur un axe socialiste, ce sera bon. Mais ne comptons pas dessus. Comptons sur nous, sur l’action.

Martine Aubry a parlé. C’était dans le Journal du Dimanche. Sa parole aussitôt libérée de nombreux secteurs du PS. Grâce à sa mise en garde, le nombre des refus de vote pour le budget de Manuel Valls a pu battre un record. Une situation inouïe dans une démocratie parlementaire est ainsi créée : la première partie du budget, celle des recettes de l’État est adoptée sans majorité absolue à la chambre des députés. C’est pourquoi la prise de position de Martine Aubry doit être examinée avec sérieux, compte tenu de son impact et de son potentiel. Certes, il faut rester sans illusion devant un parti qui est devenu extrêmement politicien jusque dans ses comportements internes. On a bien noté que le principal lieutenant de Martine Aubry, l’ancien ministre François Lamy, a voté le budget qu’elle dénonçait. Mais il ne faut pas pour autant passer à la suite sans examiner avec soin ce qui est dit à chaque étape.

D’autant que Martine Aubry, au moins dans la forme, nous donne raison sur plusieurs points et non des moindres. Je propose de le vérifier, et de l’acter, en comparant les déclarations sur les sujets essentiels. De mon côté j’avais dit : « La politique d’austérité de François Hollande a créé une spirale dépressive, un cercle vicieux qui fait que plus l’activité ralentit, plus le déficit naturellement se creuse puisque les entrées fiscales ne sont pas suffisantes (…) il est responsable de l’anémie et d’une poussée du chômage ». Dès lors je suis en écho quand j’entends Martine Aubry affirmer que la politique d’austérité aggrave la crise au lieu de la résorber : « La politique menée depuis deux ans, en France comme presque partout ailleurs en Europe, s’est faite au détriment de la croissance. Les efforts fiscaux et les économies réalisées sur les budgets publics ont engendré des pertes de recettes liées à la moindre croissance qu’ils ont provoquée. Les déficits ne se sont pas résorbés et le chômage augmente ».

Nos propos sont interchangeables. Martine Aubry gronde contre le pacte de responsabilité. « Le Medef n’a pas négocié les contreparties promises ; dès lors, plus de la moitié de ces moyens ne vont pas aux entreprises qui en ont besoin, se perdent dans les dividendes et les hautes rémunérations ». J’avais dit : « Gattaz sait qu’il a gagné la partie. C’est pourquoi il franchi une étape supplémentaire. Non seulement il ne s’engage sur rien “en contrepartie” mais, au contraire, il autorise la distribution du cadeau directement aux actionnaires eux-mêmes. ».

Comme moi, Martine Aubry clame que la politique de l’offre n’est pas de nature à relancer l’activité. Lisez : « face aux entreprises, il faut une demande, celle des clients et des collectivités locales. En France, 50% des entreprises disent aujourd’hui faire face d’abord à des problèmes de demande ». C’est ce que je répète depuis des mois en insistant sur le besoin d’une relance de l’activité par la consommation populaire et par l’investissement public. Martine Aubry valide ainsi ce que j’avais publié sur ce blog !

Comme moi, Martine Aubry dénonce l’archaïsme de la politique libérale du gouvernement. Elle tonne : « Il faut en finir avec les vieilles recettes libérales. Ne perdons pas notre temps dans des débats du passé sans cesse remis sur la table par le Medef : le repos dominical, c’était il y a un siècle, l’assurance chômage, soixante ans, les lois Auroux et les seuils sociaux, trente ans, les 35 heures, seize ans. Les remettre en question aujourd’hui, ne nous leurrons pas, ne créera pas d’emplois. Va-t-on passer le XXIe siècle à défaire ce que l’on a fait au XXe ? ». Sur RTL, dès le 15 janvier dernier j’avais expliqué : « Nous avons eu la stupeur d’entendre le président de la République dire des choses qui sont des propos économiques de droite comme “c’est l’offre qui crée la demande”. Nous l’avons entendu parler de “charges sociales” là où autrefois nous parlions de “cotisations”. C’est tout le vocabulaire de la droite, c’est tout le point de vue des néolibéraux que François Hollande a repris. Il est sur une théorie économique qui est usée, qui appartient au passé ».

Après moi, Martine Aubry exige une grande réforme fiscale. Elle déclare ce dimanche qu’une telle réforme est « plus que jamais nécessaire pour réconcilier les Français avec l’impôt ». C’est exactement ce que je disais il y a un an quand nous appelions à une marche pour la Révolution fiscale le 1er décembre 2013. Que ne nous a-t-elle aidés alors !

De façon plus surprenante, Martine Aubry dénonce aussi Blair et Schröder. Lisez plutôt : « Il serait assez curieux, avec la crise, de s’amouracher à contretemps d’illusions des années 1980-1990, qui démoralisent notre pays. Il est temps d’ouvrir les yeux sur une réalité nouvelle : ce modèle n’existe plus. Il a été balayé par la crise. Tony Blair et Gerhard Schröder ont essayé. La mise en concurrence des salariés et des modèles sociaux de par le monde, l’impossible ambition sociale, l’abdication sur le front du plein-emploi font sans doute un choix de société, mais ce n’est pas le mien ». Je dis que c’est plus surprenant dans la mesure où elle avait rédigé la préface du programme de Blair lors de sa traduction en français. Mais cela ne fait que rajouter à la valeur de sa remise en cause de ce « modèle ».

Martine Aubry valide donc notre point de vue sur les axes essentiels de la critique du moment actuel. Tant mieux ! Cela ne signifie pas que nous soyons pour autant en phase sur la vision d’ensemble. C’est bien normal. A mon sens, elle reste enfermée dans les vieux schémas. Valls a bien senti cette faiblesse quand il dénonce l’archaïsme des critiques qu’elle lui a adressé même si, à l’évidence, sa remarque ne vise pas le même objet que nous. Martine Aubry propose ainsi de construire « une nouvelle social-démocratie ». C’est le retour du vieux logiciel social-démocrate où la croissance est une fin en soi où l’on se propose de « partager les fruits de la croissance » pour corriger les inégalités. Erreur stratégique car si le capital accumulé n’est pas mis en cause, il garde toute sa puissance d’action pour empêcher la redistribution correctrice. Surtout à l’âge du capitalisme financier transnational. Erreur de fond car ce modèle suppose la possibilité d’une croissance sans fin, donc de ressources infinies. Dans les trois pages d’interviews, elle n’a pas un mot sur la catastrophe écologique. Tous les travaux théoriques sur l’écosocialisme ne l’ont pas atteint. Croire qu’il est encore possible de faire vivre un programme social-démocrate dans le monde d’aujourd’hui, c’est se condamner à de sévères désillusions. Et à manquer de répondre aux urgences réelles de notre époque

Martine Aubry se contente pour l’essentiel de rappeler le projet qu’elle portait à la primaire du PS en 2011 : « je défends l’idée d’une société bienveillante, attentive à chacun, mais demande à chacun d’être attentif aux autres et de respecter les règles. C’est ce qu’on appelle “le care, le share et le dare” : le lien social renouvelé, le partage et le goût du commun comme alternative aux simplismes du marché, l’audace et l’imagination pour oser produire du progrès face au déclin ». Soit. Mais il reste à dire comment et par quelles mesures ces ruptures culturelles sont possibles, à supposer qu’elles soient souhaitables dans cette forme. Je dis franchement que je ne crois pas à cette définition du modèle de société à construire. L’essentiel n’est pas comportemental. La sauvagerie de la compétition généralisée est le cœur de la dégradation des relations humaines. Mais au-delà, pour moi, la société à inventer est d’abord celle de la sobriété énergétique, du zéro déchets, de la règle verte, du personnalisme républicain et de la vertu. Ce serait un magnifique débat à organiser.

Politiquement, tout serait plus clair si Martine Aubry allait au bout de son propos. Ainsi, elle ne dit pas un mot sur les votes qui doivent intervenir au Parlement sur le budget de l’État ou de la Sécurité sociale dans les semaines qui viennent. Qu’en pense-t-elle ? Ce mardi, les frondeurs se sont à nouveau abstenus sur la première partie du budget de l’État. Or, en s’abstenant, ils laissent Valls gouverner. Comment concilier l’idée qu’une politique est mauvaise, si mauvaise qu’un proche historique d’Aubry comme Hamon a pu parler de « mise en danger de la démocratie », et laisser cette politique s’appliquer ? De qui un député l’est-il ? Du peuple et de l’intérêt général ou de son parti. Des deux ? Soit. Mais quand il y a conflit en conscience entre ces deux appartenances, la morale civique, le « le care », le « share » et le « dare » si j’ose le dire pour plaisanter sans méchanceté, ne commandent-ils pas d’écouter la voix de sa conviction intime ?

Je crois que l’angle mort de la critique de Martine Aubry est le refus de s’opposer aux commandements européens qui sont à l’origine de la politique de Valls. Elle soutient même François Hollande sur ce point. Elle affirme sans rire que « le président de la République défend au niveau européen la nécessité » de « réguler la mondialisation ». Sérieusement : le croit-elle réellement ? Martine Aubry sait bien que François Hollande a accepté le principe d’une déréglementation encore plus grande avec le projet de Grand marché transatlantique ! Pourquoi ne dit-elle rien sur la politique d’austérité contenue dans les textes approuvés par François Hollande comme le traité budgétaire ?

Au chapitre de la critique de ses propos, je veux pointer un autre désaccord important avec elle. Ainsi quand elle propose de garantir la moitié des cadeaux aux actionnaires décidés par François Hollande. C’est-à-dire de leur laisser 20 milliards d’euros chaque année. Pourquoi ce cadeau ? Enfin, je m’interroge sur la timidité de la démarche sur une question aussi essentielle que le changement de Constitution. C’est elle qui évoque une « nouvelle république ». Dès lors pourquoi ne dire ni comment ni contre quoi ? Sa contribution aux Etats-généraux du PS évoque bien « un nouvel âge démocratique fondé sur de nouvelles institutions ». La prochaine République doit rééquilibrer les pouvoirs de l’exécutif et du législatif, conforter encore l’indépendance de la justice, inventer de nouvelles voies d’implication des citoyens, et garantir la pérennité des services publics et de régimes sociaux, et la protection de l’environnement ». Là encore, elle parle avec nos mots. Mais, comme la contribution des « frondeurs », elle ne parle pas de passer à la 6e République ! Ni comment organiser un bouleversement de cette importance. Pour quelqu’un qui est seulement « candidate au débat d’idées », c’est une timidité incompréhensible. Pourquoi n’ose-t-elle pas ?

Au total, son aide argumentaire contre la politique du gouvernement ne doit pas être sous-estimée. Elle est la bienvenue. On y sent le haut-le-cœur que soulève la politique au pouvoir dans les rangs du socialisme traditionnel de la région nordiste qui en a été le berceau. De toute évidence, il ne peut être question de faire dire à Martine Aubry ce qu’elle ne veut pas dire. Donc, pour mener la bataille à venir, nous ne pouvons encore compter que sur nous-mêmes. Mais je crois que c’est une situation provisoire. Une lourde déflagration semble mûrir dans le gouffre solférinien où se sont accumulés des gaz très inflammables.


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