Les chemins oubliés du socialisme

mercredi 10 juin 2015.
 

L’économiste Guillaume Etievant, fort d’un constat implacable de « l’ordre des choses », interroge la tradition socialiste — et plus particulièrement française — pour y puiser matière à bouleverser, de façon concrète, les rapports de force dans le monde du travail. Socialiser l’ensemble des entreprises et mettre en place l’égalité entre les salariés ? Les leviers existent.

La réalité matérielle est plus complexe que la pensée humaine. Les évolutions du capitalisme ont toujours mis au défi les intellectuels et les militants de saisir la vérité de leur époque afin de trouver les moyens de s’en émanciper. Ce qu’il est coutume d’appeler la gauche radicale, ou antilibérale, est confrontée à cette perpétuelle remise en cause de ses logiciels d’analyse du réel. De nos jours, le capitalisme organise les territoires et leur échappe dans le même mouvement. De nombreux groupes internationaux ne se préoccupent plus des États. Ils peuvent désormais acheter les matières premières dans un pays, faire fabriquer les composants dans un second, les assembler dans un autre, vendre les produits finis dans un quatrième, émettre les factures dans un cinquième, et enfin faire remonter les bénéfices dans une holding située ailleurs. Ils sont détenus par des fonds d’investissement transnationaux, finançant leur politique de fusion-acquisition par des niveaux très élevés d’emprunts auprès des banques, qui seront remboursés en prélevant des dividendes sur le profit réalisé par leurs entreprises, en ponctionnant davantage de valeur sur le travail des salariés.

« Déjà exclus de la valeur qu’ils créent dans les entreprises, les salariés sont désormais exclus également de la valeur collective qu’ils ont créée. »

Dans le capitalisme d’aujourd’hui, les actionnaires font porter l’ensemble des risques sur les salariés et, plus globalement, sur les populations. Les lois nationales ne présentent plus de barrières réelles à leur soif d’argent. La fiscalité est inopérante pour les freiner. Les droits du travail nationaux ne se sont pas adaptés à cette évolution. Les représentants des salariés n’ont comme interlocuteurs que les dirigeants des entreprises, souvent des maillons interchangeables, surpayés pour se soumettre aux injonctions des actionnaires de l’entreprise qu’ils pilotent. En Europe, le processus d’intégration de l’Union européenne accélère ces évolutions en favorisant les échanges internationaux et la dérèglementation du travail. Les plans d’austérité étendent l’exploitation capitaliste à tous les domaines de la vie. Déjà exclus de la valeur qu’ils créent dans les entreprises, les salariés sont désormais exclus également de la valeur collective qu’ils ont créée — par la diminution des dépenses publiques et la libéralisation des services publics. Les capitalistes reconfigurent l’organisation des villes et façonnent le temps et l’espace¹. Les peuples d’Europe s’enfoncent dans la misère et dans le découragement. Nul ne sait plus par quel levier changer l’ordre des choses.

De la socialisation au « partage des richesses »

Que reste-t-il du socialisme dans ce marasme ? Dans l’esprit des populations européennes, il s’est peu à peu réduit à sa définition courante d’objectif de réductions des inégalités et de progrès social. Et cette modeste ambition est trahie par l’ensemble des partis se prétendant socialistes, qui ne font qu’appliquer les mêmes politiques d’austérité que les partis se réclamant de la droite. La gauche antilibérale se distingue des partis dits « socialistes » par sa constante volonté de s’opposer à l’austérité et de mieux « partager les richesses ». Mais la définition historique du socialisme, c’est-à-dire la refonte complète de l’ordre social (passant notamment par la propriété collective des moyens de production), est largement abandonnée. Cet abandon est lié aux évolutions récentes du capitalisme (dont les ravages sont tels qu’ils empêchent d’espérer davantage qu’une limitation des dégâts), mais aussi à l’idéologie des partis communistes tout au long du XXe siècle, qui, sous influence de l’URSS, ont imposé une vision particulière du socialisme, oubliant volontairement les écrits du jeune Marx (celui des Manuscrits de 1844) et ont jeté, en France, un voile d’ignorance sur les apports considérables des socialistes français du XIXe et du début du XXe siècle.

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