Les Visiteurs 3 : la haine de la révolution française au cinéma

samedi 16 avril 2016.
 

Avertissement : la priorité politique et sociale est bien entendu la préparation des manifestations des 5 et 9 avril pour le retrait de la loi El Khomri. Ce billet rédigé il y a quelques jours, s’inscrit lui dans une bataille culturelle, mais qui, selon moi, n’a rien de contradictoire avec la lutte sociale.

Les Visiteurs 3 : essentiellement pour ceux qui ont la terreur de la Révolution !

Avouons-le d’emblée, l’auteur de ces lignes tient le premier film de la saga des Visiteurs (paru en 1993) comme un grand moment de bonheur et de rire salutaire dont il faut encore être collectivement reconnaissant à ces concepteurs. Gustave Flaubert, certes sans doute avec un brin de provocation, a même écrit à une amie sur un autre sujet : “Rien n’est sérieux en ce bas monde, que le rire.” Soyons donc un peu sérieux, pour parler d’une grosse farce cinématographique. Dans les Visiteurs 3, qui sort ce mercredi 6 avril, la toile de fond est la Révolution Française. On ne peut que se réjouir a priori de ce choix, je reviendrai plus loin pourquoi. Mais, à la lecture de quelques interviews participant à la « promo », j’ai cru comprendre aussi qu’il y avait de la part des auteurs, Jean-Marie Poiré et Christian Clavier, une volonté affichée de soigner l’écriture en menant préalablement une conséquente recherche historique. C’est dans cette prétention historique que se dissimule le hic à mes yeux. Interrogé par Paris Match, Christian Clavier est présenté comme un passionné d’histoire, ce qui est tout à son honneur, s’étant « replongé dans la vie de Robespierre pour écrire le scénario ». Sûr de lui, toujours à propos de Maximilien Robespierre, il affirme : « Je le déteste. Il a dévoyé les idées de la Révolution, ce moment de liberté, de mutations. Les puissants et les faibles, les pauvres et les riches, les femmes et les hommes, les blancs et les noirs, l’ordre était bouleversés. Mais il a conceptualisé le terme de Terreur sur ce terreau de libertés nouvelles. Un véritable ayatollah ! ». Je ne répondrai pas sur ce blog longuement à cette succession de grossiers clichés anti-robespierristes absurdes. C’est d’autant plus cocasse de la part d’un homme qui, dans d’autres interviews, trouve Napoléon 1er fascinant ! Cocasse, car ce dernier, quand il n’était encore que le jeune Général Bonaparte, jacobin convaincu, était un partisan de Robespierre, et très proche de son frère Augustin, ce qui faillit lui coûter sa tête. Mais surtout, c’est l’Empereur qui a rétabli l’esclavage dans les colonies que le même Robespierre avait aboli. C’est Robespierre qui s’est battu pour des libertés nouvelles, dont le suffrage universel, abrogé ensuite sous l’Empire. Il s’est aussi battu pour le partage, une loi égale pour tous, la promotion au mérite. Etc… Ses contemporains disaient de lui qu’il était « l’Incorruptible » et le "commentaire permanent de la Déclaration des Droits de l’homme", ce qui n’est pas la moindre des qualités au XVIIIe siècle comme aujourd’hui. L’ami notoire de Nicolas Sarkozy qu’est M. Clavier devrait méditer là dessus. Enfin, traiter Robespierre « d’ayatollah » ne manque pas de sel, alors qu’il fut, avec d’autres, celui qui permit enfin que notre pays garantisse la liberté de culte et que cesse toute répression pour des raisons religieuses. Il accorda enfin la pleine citoyenneté aux juifs longtemps persécutés et humiliés, ainsi qu’aux comédiens (et oui, M. Clavier ! Vous pourriez au moins être plus reconnaissant pour le bien qu’il fit à votre propre profession). Il brisa de ce fait le puissant lien entre le pouvoir politique (une monarchie réactionnaire de plusieurs siècles) et la religion catholique. Les calomnies pseudo-historiques de M. Clavier sont donc dénuées de tout fondement. Bref, j’arrête là mon plaidoyer. il y a 3 ans, avec mon ami Laurent Maffeis, nous avons déjà consacré un petit livre à ce sujet (Robespierre, reviens ! aux éditions Bruno Leprince) pour répondre plus longuement à cette propagande et notre ouvrage est toujours disponible. Je l’enverrai volontiers à M. Christian Clavier si il le désire. A bon entendeur...

Mais cette interview donnée à Paris Match est néanmoins intéressante. On constate ainsi que derrière la farce qui se voudrait légère, innocente et bon enfant, il y a un discours idéologique assumé de l’auteur, et un regard bien particulier sur la Révolution Française et Maximilien Robespierre. S’appuyant sur un des plus gros budget du cinéma français avec 24 millions d’euros et ambitionnant les 15 millions d’entrées, ce film mérite donc qu’on en débatte puisqu’il est, de fait, un puissant objet culturel de masse qui façonnera les consciences et les mémoires de beaucoup de nos compatriotes. C’est l’objet de ce billet. Il faut prendre au sérieux les batailles culturelles. Elles sont la mère de toutes batailles politiques.

Je reviens à ce que j’ai écris plus haut. Cette première mise au point étant faite, on ne peut que se réjouir que la grande Révolution soit enfin le décor d’un grand film populaire. C’est assez rare pour être souligné. Pour moi, il est toujours étrange que malgré l’ampleur politique de l’événement, elle reste sous traitée par le cinéma hexagonal. La filmographie de cette page d’Histoire est bien maigre et pire, surtout bien peu républicaine et peu favorable à la Révolution. Qu’on en juge. A l’exception du savoureux Les Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau en 1971 (et sur un autre registre le délirant Liberté, égalité, choucroute de Jean Yanne en 1985), il est quasi impossible de trouver un grand film populaire présentant cette période et, plus difficile encore, ne la traitant pas sous une face sombre. Au premier rang de ces films contestables, je place le magnifique Danton de Andrei Wajda, passionnant mais ô combien caricatural. Une des premières scènes est un enfant nu que sa mère frappe pour qu’il apprenne la Déclaration des Droits de l’Homme. Effrayant ! Ou plus modestement le simpliste diptyque La Révolution Française (Les années lumières de Robert Enrico et Les années terribles de Richard T. Heffron) production internationale réalisée à l’occasion du bicentenaire que beaucoup d’enseignants utilisent en classe, faute de mieux.

Et puis, au delà du cas particulier de ces Visiteurs 3, il y a bien un problème plus général dans le cinéma mondial comme le souligne l’historien Marc Ferro dans son livre Cinéma, une vision de l’histoire (Editions du Chêne, 2003) « S’il n’y avait pas le cinéma soviétique des années 20, il serait difficile de comprendre pourquoi, dans l’histoire, il y a eu des révolutions. Certes, La Marseillaise de Renoir (1937) ou 1788 de Faillevic (1937) sont deux rares films favorables à la Révolution Française et qui rendent compte des causes ; mais voilà qui est bien limité comparé à la centaine de films certes consacrés à la Révolution, mais sans qu’en soit analysées les données. En revanche les films qui font comprendre pourquoi les gens se révoltent sont pléthore. C’est que le révolté ne met pas en cause l’ordre établi, mais seulement ses excès, ses abus, les injustices. ». Ainsi, beaucoup des films français, américains ou allemands insistent sur les effets tragiques de la Révolution de 1789 et jamais sur ses origines. Des romanciers avaient déjà donné l’exemple , et des historiens de tradition conservatrice tels Funck Brentano ou Lenôtre, Pierre Gaxotte ou Louis Madelin, sans parler de Charles Dickens ou Alexandre Dumas qui ont tous attaqués la Révolution Française dans leurs œuvres. Il est aussi de bon ton de présenter les milieux contre-révolutionnaires comme étant marqués d’un grand courage aristocratique, tel que nous le propose, en littérature comme au cinéma, la saga du Mouron rouge , films britanniques, par exemple qui eurent du succès dans les années 30.

Les Visiteurs 3 s’inscrit hélas une nouvelle fois dans la continuité de cette longue et regrettable tradition qui présente la Révolution Française sous un visage glaçant, menée par des brutes assoiffées de sangs qui annoncent la dictature stalinienne. Sans passer immédiatement pour un rabat-joie, un débat d’ordre historique doit donc être utile autour de ce film. Je regrette que « La Terreur », (terme ô combien flou y compris pour les historiens puisqu’il n’existe aucun accord entre eux ni sur sa durée, son ampleur et ses auteurs), apparaisse aux spectateurs peu connaisseurs de la période comme la quintessence même de ce grand moment historique. Logiquement, la guillotine occupe une place de choix sur l’affiche du film et ce mot même de « Terreur » devait initialement être le premier sous-titre du film (mais à sans doute était retiré en fonction du contexte des attentats… c’est du moins une hypothèse). Au passage, qui aura un jour le courage de raconter dans un film que « la Terreur blanche » c’est à dire les massacres organisés par les royalistes qui suivirent l’exécution sommaire de Robespierre, et de cent de ses proches, firent autant de morts que ce que l’on nomme familièrement la Terreur (guerre civile de Vendée mise à part, évidemment) ?

La Révolution Française ne fut donc que moment absurde de violence et barbarie ? C’est ce que le film semble nous martèle à longueur de gags lourdauds. Pour nos deux héros, le premier contact avec la Révolution est un pauvre vieux curé décapité publiquement sous les hourras d’une foule hystérique. Puis, ils sont jetés dans un cachot sordide aux milieux de nobles innocents, femmes, enfants et vieillards qui vont être prochainement exécutés sans que l’on comprenne pourquoi, comme si leur seul statut de noble les condamnait à mort automatiquement. Ensuite, sans explication, un tribunal expéditif les condamnera à mort. Et les péripéties qui s’enchainent seront du même tonneau.

Chronologiquement, on perd souvent dans ce film. Si l’on devine confusément que l’action se déroule dès le lendemain du 21 janvier 1793, puisque la mort du roi Louis XVI est évoquée, on se retrouve par la suite, par des péripéties que le spectateur découvrira, au milieu d’un souper réunissant les principales figures du Grand Comité de Salut Public, tel Maxilimien Robespierre, Saint-Just, Couthon, Billaud-Varenne et enfin Collot-d’Herbois interprété par un Lorant Deustch pour ma plus grande jubilation personnelle. Voir l’auteur du Métronome, connu pour ses convictions monarchistes, jouer le rôle du conventionnel régicide et ex comédien Jean-Marie Collot-d’Herbois, c’est à dire celui qui organisa le complot contre Robespierre et présida la séance de la Convention où il fut lâchement condamné, m’amuse. Ensuite, déporté à Cayenne, Collot-d’Herbois mourut deux ans à peine après sa trahison. Comme quoi, le crime ne paye pas.

Je reviens au Grand Comité de Salut Public, mis en scène dans le film. Cette instance ne réunira pourtant les protagonistes montrés à l’écran qu’à partir du 27 juillet 1793, soit six mois après la mort de Louis XVI, temporalité supposée de l’action du film. Le détail, à priori minime dans une farce, n’est pas sans importance ici puisqu’on nous donne à penser que c’est cette équipe là, et elle seule, qui serait responsable de toutes les exécutions et actes de violences commis durant la Révolution. L’anachronisme comme le lapsus en psychanalyse est toujours révélateur de quelque chose, une intention ou un projet. De plus, ce Comité de Salut Public semble sous l’emprise totale de Robespierre, qui n’a qu’à lancer une consigne pour qu’elle soit approuvée séance tenante et sans discussion par l’ensemble. Tout cela est absolument faux et tous les historiens sérieux savent que le Comité de Salut Public étaient traversés de nombreux débats où Robespierre étaient souvent minoritaire. Alors certes, on pourra s’amuser de voir le personnage de ce même Robespierre lancer, durant le film, des tirades directement inspirées de ses authentiques discours « Nous sommes des gens de raison et de vertu », « Je hais la démagogie » « La femme est l’égale de l’homme et doit participer à la vie de la cité », etc… mais, on l’aura compris, il n’est présenté que comme un personnage lugubre particulièrement soucieux des détails des arrestations et exécutions dans le pays.

Autre erreur, on croise un Jean-Paul Marat obsédé sexuel plutôt paillard, alors qu’il est lâchement assassiné par la royaliste Charlotte Corday le 13 juillet 1793, là aussi avant la mise en place du Grand Comité de Salut Public. Certes, c’est une erreur minime qu’une comédie peut supporter, mais dans la mesure où les auteurs ont des prétentions historiques, je la souligne. Le meurtre du député Marat, ainsi que celui de Louis-Michel le Pelletier de Saint Fargeau, lui aussi poignardé par un royaliste, furent pourtant des évènements considérables qui expliquèrent pourquoi les révolutionnaires durent prendre des mesures exceptionnelles pour rétablir l’ordre. Mais, il est plus aisé de dépendre la situation de l’époque comme une dictature, malmenant les « pôvres » royalistes, que de raconter la violence par laquelle les partisans du roi luttèrent jusqu’au bout pour garder leurs privilèges.

Une nouvelle fois, un grand spectacle populaire, bénéficiant d’une large campagne de promotion (les affiches sont nombreuses sur les murs de nos villes) y compris dans le service public audiovisuel, écrira donc une nouvelle page de la légende noire anti-Robespierre, hostiles aux Jacobins, au Grand Comité de Salut Public et surtout fera douter le spectateur de l’utilité de la Révolution qui sera identifiée à ce qui est confusément nommé la Terreur. C’est regrettable.

Qu’on me permette de qualifier ce spectacle de « révolutionophobe », c’est à dire la haine de la Révolution sur grand écran, hier comme aujourd’hui. Qui ne voit pas le danger contemporain de ces entreprises idéologiques à gros budgets ? Qui a intérêt à ce que nos enfants méprisent les révolutionnaires de 1793 en les assimilant à des criminels terroristes ? L’attaque vient de loin et n’a rien d’originale. Elle date du lendemain de la Révolution elle même et s’est poursuivi tout au long du XIXe et du XXe siècle. Dans le journal antisémite Je suis partout , qui deviendra ensuite collaborationniste, l’historien Pierre Gaxotte écrivait le 30 juin 1939 pour le 150e anniversaire de la Révolution : « La Terreur est l’essence de la Révolution.. Ce n’est ni un excès à blâmer, ni un expédient de défense, c’est la révolution elle-même, parce que la Révolution est, à son dernier stade, une entreprise d’expropriation et d’extermination ». Près de huit décennies plus tard, j’ai parfois le sentiment que c’est cette vision rance de la Révolution qui domine, particulièrement dans des émissions historiques diffusées pourtant sur le service public. Quelle tristesse.

Alors certes, nous souhaitons une bonne soirée à tous ceux qui iront éventuellement voir ces Visiteurs 3 pour prendre du bon temps. Je sais que l’on peut rire des pires âneries en gardant son cerveau en éveil et en conservant sa capacité de critique. Mais nous regrettons que ce film ne soit finalement qu’une oeuvre de son temps, d’un humour embourgeoisé et conformiste, où le discours contre-révolutionnaire transpire dans toutes les pitreries, et où à aucun moment, contrairement à la symbolique proposée par l’affiche, le représentant du peuple monte sur les épaules de l’aristocrate.

C’est l’inverse, seul le noble Godefroy de Montmirail semble rester digne dans cette période tourmentée où ses valeurs s’effondrent. Enfin, après un nouveau voyage dans le temps, la dernière scène du film nous montre que ceux qui ont remplacésla noblesse sont pires que les précédents (même si je ne la livre pas, par respect pour ceux qui iront voir le film). Même pétris de bouses jetées dans les flammes, d’haleine fétide, de « Okayyy » retentissants, de « couille » et de « Jacquouille » et de mimiques grimaçantes, à l’arrivée ce film n’est qu’une lourde farce thermidorienne où ceux qui permirent à la Grande Révolution de 1789 de ne pas être balayée par les armes prussiennes, sont présentés comme des salauds et des criminels. A qui profite vraiment de transmettre cette terreur de la Révolution ? Certainement pas à notre Peuple, qui a besoin de se moquer des puissants, mais surtout de changer de système politique. Pour une vraie révolution. Okay ?


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