Gaël Brustier : «  Le projet d’Emmanuel Macron, un populisme version CAC 40  »

samedi 11 mars 2017.
 

Le candidat a dévoilé jeudi son projet ultralibéral, qui s’inscrit dans la continuité du quinquennat Hollande. Derrière le vernis de la modernité, il représente une véritable roue de secours pour le capitalisme, comme l’explique le politologue Gaël Brustier.

Après des mois de storytelling durant lesquels Emmanuel Macron a louvoyé sur son programme, il s’est enfin résolu à livrer, jeudi, l’ensemble de ses propositions. Comment caractérisez-vous le programme d’En marche  !  ?

Gaël Brustier Emmanuel Macron a au moins raison sur un point quand il affirme que la politique est affaire de symboles, plus que de programme. Sa fonction, et son succès, dans le paysage politique actuel tient à ce récit conçu pour faire adhérer les Français au capitalisme en devenir, en mutation sous l’effet du numérique, de la conversion écologique du marché et d’une glorification de l’individu… Chez Macron, la fonction discursive est essentielle. Son programme est ultralibéral mais il raconte une histoire séduisante pour un grand nombre de nos concitoyens, celle de l’optimisme face à la mondialisation et l’évolution du capitalisme. Ce récit mêle dénonciation des «  blocages  » et confiance devant les opportunités que procurerait un libéralisme total. Contrairement à Manuel Valls, il a compris qu’on ne dirige pas une société par l’état d’urgence et la coercition. Donc, la «  révolution  » d’Emmanuel Macron est celle qui vise à permettre au capitalisme de surmonter ses propres difficultés et à faire adhérer des groupes sociaux aux intérêts très divergents à une même vision de l’avenir.

Alors que la droite «  traditionnelle  » est fragilisée par la candidature de François Fillon, Emmanuel Macron représente-t-il la roue de secours du capitalisme  ?

Gaël Brustier Il est l’intellectuel organique du prochain capitalisme, de la soumission du politique à l’économique, un populisme version CAC 40. Celui-ci a compris qu’on ne pouvait pas gouverner en envoyant des camions de CRS place de la République et qu’il fallait susciter l’adhésion. Les puissances financières veulent donc un candidat qui apaise. Dès le début de sa campagne, il a bénéficié du soutien d’une grande partie des forces de l’argent, qui estiment que François Fillon n’est pas le plus à même de les défendre. D’autant qu’il est aujourd’hui très affaibli, même s’il ne faut pas l’enterrer trop vite, car il bénéficie d’un socle électoral loin d’être ridicule.

Son projet s’inscrit-il, selon vous, dans le prolongement naturel du quinquennat Hollande  ?

Gaël Brustier Bien sûr, car non seulement il en a été l’artisan, mais aussi le symbole du virage idéologique qui a consisté à gouverner sur le socle de 6 % d’électeurs sociaux-libéraux en France. Aujourd’hui, il récupère ces morceaux et tente de les allier à d’autres groupes sociaux pour construire une majorité. Et ça fonctionne apparemment, mais la politique économique reste la même que celle du quinquennat Hollande. Le candidat d’En marche  ! est le pur produit de la crise de la social-démocratie. Il l’est aussi de ceux qui n’ont rien trouvé à redire ni au TSCG, ni au consensus économique européen. Pour la première fois, les élites technocratiques du Parti socialiste, adeptes du pantouflage et acquises à la mondialisation néolibérale, se présentent devant les électeurs. Et le grand paradoxe de cette affaire, c’est que Macron s’affiche comme le contestataire en chef d’une ligne politique qui a marié la Ve République au néolibéralisme.

Que dit selon vous «  le phénomène Macron  » de la crise démocratique profonde que traverse la France  ?

Gaël Brustier Cette posture est assez typique dans des périodes de crise de régime, comme cela s’est réalisé par exemple en Italie avec Berlusconi  : une contestation des élites par les élites, au bénéfice des élites, qui parvient à susciter le consentement d’une société pourtant rétive dans sa majorité aux solutions proposées. Cela peut produire des effets pendant deux ou trois ans d’exercice du pouvoir, c’est-à-dire retarder le changement de régime, mais cela ne réglera rien à la crise rampante de la Ve République.

La percée fulgurante du candidat d’En marche  ! dessine-t-elle une recomposition du paysage politique  ?

Gaël Brustier Plutôt une décomposition. Le candidat transformiste tente de marier des groupes sociaux aux intérêts différents, dont le ciment serait l’opposition au Front national. L’évolution des clivages n’est pas encore aboutie en France. Dans le brouillard qui règne dans le pays, une telle candidature peut s’imposer.

Maud Vergnol

Chef de la rubrique Politique, L’Humanité


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