20 juillet 1793 : loi contre l’accaparement

vendredi 21 juillet 2023.
 

Face aux armées royales de toute l’Europe qui envahissent le territoire français, face aux oppositions armées au sein du pays, face à une situation économique, sociale et financière catastrophique, la Convention montagnarde vote des lois importantes à connaître comme celle-ci. Son but ? Empêcher la spéculation, bloquer les prix, assurer l’approvisionnement de la population, empêcher l’effondrement de la monnaie...

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Le peuple croyait que bien des détenteurs de denrées les gardaient pour spéculer, pour attendre et provoquer de plus hauts cours de la marchandise, un avilissement plus marqué des assignats. Obliger tous les citoyens à déclarer les marchandises et denrées détenues par eux, et les obliger à les vendre sans délai, sans ajournement, au fur et à mesure que se produiront les demandes de détail, semblait donc un remède approprié. Ce fut l’objet de la loi.

« La Convention nationale, considérant tous les maux que les accapareurs font à la société par des spéculations meurtrières sur les plus pressants besoins de la vie et sur la misère publique décrète :

« L’accaparement est un crime capital.

« Sont déclarés coupables d’accaparement ceux qui dérobent à la circulation des marchandises ou denrées de première nécessité, qu’ils altèrent et tiennent enfermées dans un lieu quelconque, sans les mettre en vente journellement et publiquement.

« Sont également déclarés accapareurs ceux qui font périr ou laissent périr volontairement les denrées et marchandises de première nécessité.

« Les marchandises de première nécessité sont le pain, la viande, le vin, les grains, farines, légumes, fruits, le beurre, le vinaigre, le cidre, l’eau-de-vie, le charbon, le suif, le bois, l’huile, la soude, le savon, le sel, les viandes et poissons secs, fumés, salés ou marinés, le miel, le sucre, le papier, le chanvre, les laines ouvrées et non ouvrées, les cuirs, le fer et l’acier, le cuivre, les draps, la toile, et généralement toutes les étoffes, ainsi que les matières premières qui servent à leur fabrication, les soieries exceptées. »

Ainsi, presque tous les produits de la terre et de l’industrie, presque toutes les denrées, les matières premières, les marchandises, tombent sous le coup de la loi : les greniers, les caves, les magasins, les entrepôts, les ateliers, tout va s’ouvrir à l’inventaire de la Révolution. Et ce système de vente forcée va mobiliser tous les stocks, les mettre à la disposition de l’acheteur au détail. Comment va fonctionner ce mécanisme ? D’abord, tout naturellement, les détenteurs devront déclarer tout ce qu’ils détiennent.

« Pendant les huit jours qui suivront la proclamation de la présente loi, ceux qui tiennent en dépôt, en quelque lieu que ce soit de la République, quelques-unes des marchandises ou denrées désignées à l’article précédent seront tenus d’en faire la déclaration à la municipalité ou section dans laquelle sera situé le dépôt desdites denrées ou marchandises, la municipalité ou section en fera vérifier l’existence, ainsi que la nature et la quantité des objets qui y seront contenus, par un commissaire qu’elle nommera à cet effet. »

Comment s’assurer maintenant que les marchandises ainsi déclarées seront constamment en vente ?

« La vérification étant finie, le propriétaire des denrées ou marchandises déclarera au commissaire, sur l’interpellation qui lui en sera faite et consignée par écrit, s’il veut mettre lesdites denrées ou marchandises en vente, à petits lots et à tout venant, trois jours au plus tard après sa déclaration ; s’il y consent, la vente sera effectuée de cette manière sans interruption et sans délai, sous l’inspection d’un commissaire nommé par la municipalité ou section. »

Jusque-là, il n’y a pas de difficulté. Le commerçant, ou le fermier, ou le fabricant qui consent à vendre au détail, par petits lots et à tout venant, est soumis à l’inspection d’un commissaire qui s’assure qu’en effet la vente est publique et constante. Notez que le commissaire n’intervient pas dans la fixation des prix. Il suffit au marchand en détail, pour être en règle avec la loi, d’avoir sur sa porte une pancarte indiquant la qualité et la quantité de ses marchandises et de tenir constamment ces marchandises à la disposition du public. Mais tous les détenteurs consentiront-ils à vendre dans ces conditions ? Les marchands en gros, les propriétaires de vin ou d’huile accepteront-ils d’être à la disposition du public et de céder les produits et marchandises par petits lots et à tout venant ? Marchands en gros et propriétaires voudront-ils, pourront-ils se transformer en commerçants au détail ? La Révolution résout le problème en se substituant à eux :

« Si le propriétaire (des denrées ou marchandises) ne veut pas ou ne peut pas effectuer ladite vente, il sera tenu de remettre à la municipalité ou section copie des factures ou marchés relatifs aux marchandises vérifiées existantes dans le dépôt ; la municipalité ou section lui en passera reconnaissance, et chargera de suite un commissaire d’en opérer la vente, suivant le mode ci-dessus indiqué, en fixant les prix de manière que le propriétaire obtienne, s’il est possible, un bénéfice commercial d’après les factures communiquées ; cependant, si le haut prix des factures rendait ce bénéfice impossible, la vente n’en aurait pas moins lieu sans interruption au prix courant desdites marchandises ; elle aurait lieu de la même manière si le propriétaire ne pouvait livrer aucune facture. Les sommes résultantes du produit de cette vente lui seront remises dès qu’elle sera terminée, les frais qu’elle aura occasionnés étant préalablement retenus sur ledit produit. »

Ainsi, à chaque comptoir c’est la Révolution qui s’installe pour distribuer à tout venant et au prix courant les marchandises accumulées. C’est la police révolutionnaire de la vente poussée presque jusqu’à la nationalisation du commerce. Ici, en effet, ce n’est pas seulement un mode de vente qu’elle impose. C’est elle qui détermine le prix, qui mesure le bénéfice.

Quant aux fabricants, pour qu’ils ne puissent pas accumuler des denrées ou marchandises en vue de la spéculation sous prétexte de s’approvisionner des matières premières de leur industrie, ils seront tenus de déclarer ces matières premières « et d’en justifier l’emploi ».

Précisément, à l’occasion de cette loi, Delaunay d’Angers signale que les fabricants et les compagnies capitalistes peuvent accumuler des stocks de matières prétendument nécessaires à leur entreprise, et il dénonce la Compagnie des Indes qui a entassé dans ses magasins, à Lorient, plus de seize millions de marchandises. La Convention ordonne que les scellés soient mis sur ces magasins et qu’une vérification soit faite. Il est vrai, ô ironie que le dénonciateur Delaunay était lui-même un agioteur misérable qui cherchait à faire baisser les actions de la Compagnie pour pêcher une fortune en un coup de filet.

La loi contre l’accaparement était terrible : contre quiconque dérogeait à ses dispositions, c’était la confiscation et la mort, et le dénonciateur recevait un tiers des marchandises confisquées. Et il suffit de lire le bulletin du tribunal révolutionnaire pour constater qu’elle fut appliquée. Elle a sans doute été utile. En ces jours tragiques où la France était comme en état de siège, et où il aurait suffi que le resserrement des marchandises fût tenté en effet par quelques spéculateurs audacieux pour que la rareté se transformât en détresse et aboutît à la famine, cette immense publicité commerciale et cette circulation forcée des produits ont peut-être prévenu des désastres.

Mais la loi ne remédiait pas à la crise des prix.


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