Le Mai 68 du Sénégal

lundi 14 mai 2018.
 

« Même chose Toubab  »1  : c’est en ces termes que Senghor, président du Sénégal dans les années 1960, a critiqué les étudiants sénégalais en les accusant de «  singer les étudiants français  ». Mais comprendre le mai sénégalais implique aussi d’appréhender les particularités du pays, au-delà des fortes similitudes qui ont existé entre les deux ­évènements.

Le Mai d’un pays dominé

L’université du Sénégal date de la fin de la colonisation et avait une vocation régionale. Le fonctionnement et l’enseignement étaient calqués sur les universités françaises, ce qui sera fortement rejeté par les deux organisations étudiantes, l’Union des ­étudiants sénégalais (UDES), qui regroupe les étudiantEs autochtones, et l’Union des étudiants de Dakar (UED), qui rassemble les étudiantEs des différents pays africains. Ces deux organisations vont jouer un rôle majeur dans la révolte de mai 68.

Autre particularité, le Sénégal est un pays majoritairement paysan, le salariat se trouve dans les grandes villes, et est surtout employé dans l’économie informelle. L’Union nationale des travailleurs sénégalais (UNTS) est la centrale syndicale qui tente de défendre son indépendance face à un pouvoir particulièrement ­autoritaire.

Dernier élément, et pas des moindres  : le Sénégal est un pays dominé et la question de l’impérialisme y résonne donc bien différemment de ce qui se passe en France. Si des mobilisations en solidarité avec le Vietnam se sont déroulées à Dakar, la question centrale reste la présence française dans tous les secteurs clefs du pays. À titre d’exemple le bureau de la chambre de commerce du Sénégal, pourtant indépendant, comptait huit Français et seulement un Sénégalais  !

La bourse ou la révolution

Contre le projet du gouvernement de diminuer les bourses d’études, un premier appel à la grève est lancé mi-mars. Le mouvement s’amplifie rapidement, les étudiantEs votent la grève générale avec occupation. La mobilisation s’étend dans les lycées et collèges. Le pouvoir envoie les forces de l’ordre pour déloger les étudiantEs, qui sont emprisonnés, tandis que les étudiantEs africains sont renvoyés dans leur pays d’origine. L’UNTS décrète aussitôt une grève générale et convoque le 31 mai une manifestation à la bourse du travail, qui sera réprimée, les dirigeants syndicaux étant à leur tour emprisonnés. Le couvre-feu est décrété et Senghor fait appel à l’armée française. Le pouvoir gaulliste s’empresse d’accepter et les soldats français vont «  sécuriser  » les points vitaux de la capitale.

Acculé, le pouvoir sénégalais va engager des négociations, les prisonniers vont être libérés. Côté salariéEs, le salaire minimum est augmenté de 15 %, et une politique de «  sénégalisation  » de l’économie va être engagée. Côté universitaire, les étudiantEs africains expulsés sont autorisés à revenir, les bourses d’étude sont revalorisées et des investissements sont lancés pour améliorer le campus.

À ce bilan, il convient d’ajouter qu’une nouvelle génération de militantEs est née en Afrique avec une forte expérience de lutte et d’auto-­organisation, qui se vérifiera quelques années plus tard à Madagascar.

Paul Martial


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