L’Union européenne nuit gravement à la démocratie et … à l’Europe

jeudi 7 juin 2018.
 

Intervention de Bastien Lachaud devant l’Assemblée nationale.

L’Italie n’a toujours pas de gouvernement. Les dernières élections législatives ont porté largement en tête le « Mouvement 5 étoiles » (M5S). Le dégagisme dans ce pays est extrêmement fort. L’origine de ce mouvement est très profonde : la corruption, l’emprise du crime organisé sur la politique, les disparités économiques entre Nord et Sud du pays, l’effondrement du mouvement communiste et sa dissolution dans la sociale-démocratie, elle-même dissoute dans un libéralisme économique de plus en plus droitier, l’absence d’aide européenne sérieuse pour faire face à l’accroissement du nombre de personnes migrantes… Mais surtout, l’Italie subit le même genre de cure d’austérité que la plupart des pays d’Europe et ces pressions ont augmenté avec la crise de 2008. Voilà dix ans que les Italiennes et les Italiens sont priés de se serrer la ceinture et de renoncer aux services publics.

Comme en Grèce, les institutions européennes exercent une pression formidable pour empêcher toute remise en question des dogmes de réduction des dépenses publiques. Le tout se double d’une véritable stigmatisation qui englobe tous les « européens du sud ». Il faut se rappeler que naguère les messieurs des milieux financiers qui font la pluie et le beau temps à la Commission européenne ne trouvaient rien de mieux pour dénigrer le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne, que de les appeler « les PIGS » : les premières lettres du nom de chaque pays en anglais forment le mot « porcs » (toujours en anglais, bien entendu). Charmant ! Soit dit en passant, vous ne trouverez pas beaucoup d’éditorialistes pour trouver que c’est un « dérapage », un « écart de langage » ou une formule « outrancière ». On ne fait pas ce genre de reproches aux gens raisonnables qui s’imaginent qu’humilier des peuples entiers est le meilleur moyen de promouvoir l’idée d’Europe.

Mais revenons au cas italien. Après les désastreuses années Berlusconi, il faut se souvenir de quelle façon les gouvernements successifs se sont retrouvés placés dans la dépendance de la Commission européenne. Mario Monti avait carrément été installé par elle pour former un « gouvernement technique ». L’épisode est forcément extrêmement humiliant pour un peuple dont l’avis n’a même pas été sollicité. Après lui, Matteo Renzi, modèle d’Emmanuel Macron, était devenu Président du conseil (premier ministre). Il avait servi de tête de gondole pour vendre la soupe imbuvable des eurolibéraux de Bruxelles. Il avait finalement été désavoué lors d’un vote qui avait entraîné sa démission et précipité l’organisation d’élections législatives anticipées.

Après les élections législatives et sa large victoire, il revenait donc au « Mouvement 5 étoiles » de former un gouvernement. N’ayant pas la majorité absolue, il devait obtenir l’appui d’une autre force avec laquelle former une coalition. Après discussions, le « Mouvement 5 étoiles » et « la Lega » parti d’extrême-droite sorti deuxième de l’élection se sont entendus pour former un gouvernement. La constitution italienne prévoit que le président de la République valide la liste des ministres proposés par le nouveau président du conseil. D’habitude, cette validation est formelle : une fois que les urnes ont parlé, le président entérine la proposition des forces majoritaires au parlement. Mais voici qu’aujourd’hui, le président Sergio Mattarella refuse de confirmer la nomination de Paolo Savona au poste de ministre de l’économie. Pour quelle raison ? Parce que les vues de M. Savona et celle de M. Matterella divergent au sujet de l’euro. Cette décision intervient après une campagne médiatique menée en Europe pour discréditer M. Savona avant même qu’il exerce des responsabilités. En Allemagne, le Spiegel a sonné une charge d’une grossièreté et d’une violence inouïes, allant jusqu’à qualifier les Italiens de « clochards ». En France, Plantu n’a pas manqué de hurler avec les loups et de faire connaître la position des « importants ». : avec la finesse qu’on lui connaît, il a dessiné le peuple italien comme un bébé capricieux refusant de manger sa soupe. Ces grands enfants d’Italiens : il faudra faire leur bien malgré eux ! En repoussant M. Savona, le président italien s’est donc plié aux pressions extérieures. C’est un coup politique extrêmement grave et révélateur. C’est même un coup d’État européen. Nous vivons un moment semblable à celui que la Grèce a connu lorsque la Commission européenne, à l’instigation du gouvernement allemand, a littéralement mis le couteau sous la gorge des Grecs. Jean-Claude Juncker avait déclaré : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». C’est cette doctrine qui est mise en application en Italie. Au nom de l’Union européenne, certaines opinions, même si elles ont bénéficié de l’adhésion du suffrage universel, empêchent qu’on accède à des responsabilités gouvernementales.

Ce qui aurait dû être assez simple – une majorité forme un gouvernement – devient une crise de régime. Le « Mouvement 5 étoiles » va jusqu’à accuser le président de trahison et cherche un moyen d’obtenir sa destitution… Une chose est certaine désormais : les Italiens vont retourner aux urnes. Décidément, c’est la manie des eurolâtres de vouloir faire revoter les peuples mécontents. Ils avaient voulu faire revoter les Français en 2005 après le « non » au référendum sur le traité constitutionnel ; ils ont voulu faire revoter après le choix du « Brexit »… Le plus souvent même, ils passent en force et font tout pour éviter le vote : le traité de Lisbonne qui remplaçait le traité de 2005 n’a pas été soumis au vote ; le référendum organisé en Grèce avait été présenté quasiment comme un crime et son résultat n’a pas été respecté ; dernièrement, on a appris que l’Union européenne pourrait signer des traités de libre-échange sans ratification par les parlements nationaux. Cette fuite en avant antidémocratique est intolérable. Plus personne ne peut l’ignorer.

Les bureaucrates de Bruxelles qui refusent obstinément que les peuples puissent décider de leur avenir sont pour moitié des inconscients et pour moitié des cyniques. Un peu d’objectivité suffit pour voir que les politiques d’austérité qu’ils imposent partout sont suivies par une montée dangereuse des forces d’extrême-droite. Ils se proclament alors les défenseurs de l’Europe et les meilleurs barrages contre l’extrême-droite : en France, malheureusement, nous connaissons bien cette « rhétorique du barrage ». Les extrémistes libéraux utilisent la peur que suscite l’extrême-droite pour rester au pouvoir. Ce faisant, ils renforcent son influence et le risque de la voir arriver au pouvoir est chaque fois plus fort.

En Italie, peut-on penser que cet épisode apaisera le désir de mettre un coup de pied dans la fourmilière ? Le « mouvement 5 étoiles » s’est fait connaître en organisant des « vaffanculo days » : le mot d’ordre politique est désastreux, peut-être, mais il donne le ton. Aucune raison que l’épreuve de forces choisi par Sergio Mattarella fasse baisser la tension. La coalition avec « la Lega » aurait dû susciter des critiques contre la xénophobie et le nationalisme agressif et pourrait être l’occasion de créer un mouvement de lutte sans compromission. Au lieu de quoi, les génies qui ont organisé le désastre poursuivent et offrent une sorte de brevet de courage aux parasites d’extrême-droite, avant même leur entrée en fonction.

En fin de compte, le peuple italien se retrouve entre le marteau et l’enclume : entre la caste bien installée qui prend ses ordres tantôt à Bruxelles, tantôt à Berlin et un groupe politique initialement fait de bric et de broc mais dans lequel les descendants du fascisme pèsent de plus en plus lourd. Voilà un tableau déprimant mais il nous donne une information réconfortante : nous avons réussi avec la France insoumise, à ancrer un mouvement politique suffisamment fort pour empêcher à l’avenir que le tête à tête des libéraux fanatiques et des ethnicistes se reproduisent. On reconnaît de plus en plus largement que son humanisme radical est en totale contradiction avec chacune de ces deux forces politiques. Certes, l’histoire est bien lente et les destructions que nous voyons nous rendent impatient·e·s, mais nous pouvons en être sûr·e·s, nous préparons l’alternative.


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