Caractéristiques du fascisme : Dix-sept critères

mercredi 3 mai 2023.
 

Fascismes de 1918 à 1945 : naissance, caractéristiques, causes, composantes, réalité par pays

A) Cinq constats et critères essentiels peuvent résumer le fascisme (Jacques Serieys)

- 1) Tout Etat fasciste est autoritaire, policier et arbitraire.

- Les droits civils (garanties contre tout emprisonnement et toute atteinte physique à la personne, droit à la liberté et à la sûreté, droit d’aller et venir, droit à la liberté de pensée, d’expression, de conscience et de religion, liberté de réunion et d’association, respect du domicile et de sa correspondance...) sont bafoués.

- Les droits civiques sont supprimés ou, pour le moins, largement faussés.

- Les Etats et mouvements fascistes symbolisent l’horreur : torture fréquemment utilisée, exécutions sommaires, assassinats, longues incarcérations de prisonniers, etc.

- Lors de l’arrivée au pouvoir du fascisme, la police a toujours joué son jeu, y compris en cas de coup d’état au départ minoritaire ; les cas contraires concernent des groupes limités dans des pays ou régions politiquement dirigés par la gauche. Dans un Etat fasciste, la police dispose de pouvoirs illimités, surtout si elle comprend une branche paramilitaire venue de l’extrême droite.

2) L’extrême droite joue toujours un rôle important dans le processus de conquête du pouvoir par le fascisme.

Il est important de distinguer deux stratégies dans l’action politique de cette extrême droite avant la prise du pouvoir politique :

- > une stratégie propagandiste clairement marquée à l’extrême droite comme le font les Identitaires ou Eric Zemmour actuellement

- > une stratégie populiste visant à disputer les votes ouvriers et populaires à la gauche sur un programme totalement opportuniste, démagogique et sans conséquence sur la politique qu’il compte mener après son accession au pouvoir. Le Rassemblement National en est un excellent exemple avec :

- un baratin social et anti-mondialiste pour attirer des voix populaires

- mais un lien direct de Marine Le Pen et Marion Maréchal avec les milieux financiers mondialistes et un programme plus anti-populaire que la gauche et même la droite (suppression de l’ISF, retraite par points etc)

Tout parti d’extrême droite se dote avant la prise du pouvoir d’un programme attrape-tout qui peut intégrer le respect de droits civils et civiques, quelques formules de type anticapitaliste...

Cependant tout parti d’extrême-droite qui arrive au pouvoir crée un Etat fasciste ne respectant pas les droits, promouvant un capitalisme sans frein social...

Ainsi, la réalité politique du fascisme mussolinien ne se lit pas dans des discours de 1919 mais dans une pratique et des théories à partir de 1924. La réalité politique du nazisme ne se lit pas dans les écrits et discours du NSDAP avant 1933 mais surtout à partir de 1933.

3 Tous les Etats fascistes ont été créés comme forme de domination du système capitaliste lorsque les autres formes sont infructueuses (démocratie libérale, social-libéralisme de la social-démocratie, pouvoir "démocratique" personnel autoritaire...).

Le fascisme répond à l’intérêt des privilégiés qui choisissent à un moment donné cette solution politique pour maintenir leurs profits ; dans ce contexte, l’Etat fasciste s’appuie sur l’extrême droite mais surtout sur des composantes patronales, militaires, religieuses, institutionnelles, conservatrices de droite (plus rarement de petits courants complémentaires venus de la gauche), post-féodales, petites bourgeoises, parfois populaires qui lui donnent une assise dans la société.

L’arrivée au pouvoir du fascisme se réalise généralement grâce au soutien financier et médiatique du grand patronat. Une fois en charge des affaires du pays, le fascisme maintient le système capitaliste en radicalisant les options du libéralisme économique, en particulier avec des droits accrus pour les chefs d’entreprise.

4) Le fascisme doit être considéré comme une catégorie historique à part entière

Or, les actuels manuels scolaires d’histoire font tout pour flouter cette catégorie historique.

Trois reproches principaux doivent leur être adressés concernant le fascisme :

- > réduire largement l’analyse du fascisme à celle du nazisme et même celle du nazisme à la personnalité d’Adolf Hitler.

- > passer sous silence les responsabilités concrètes des patronats, des appareils régaliens (police, Justice, militaires...)

- > intégrer le fascisme dans une catégorie plus vaste aux fondements non pertinents : le totalitarisme des années 1930

- > oublier de nombreux pays de la "constellation fasciste", comme l’Espagne de Franco. L’Europe a compté plusieurs Etats fascistes avant 1940 et pendant la seconde guerre mondiale : Italie, Portugal, Espagne, Hongrie, Allemagne, Autriche, Roumanie, Pologne, Croatie, Slovaquie, Grèce, Lituanie, France (régime de Pétain), Ukraine ( Stetsko) ... Toute étude sérieuse du fascisme doit prendre en compte les caractéristiques communes et les grandes différences entre les forces fascistes avant la prise du pouvoir et entre les régimes fascistes après la prise du pouvoir.

- 5) Le fascisme s’appuie sur deux réalités historiques, semble-t-il contradictoires :

- le maintien dans les sociétés de la fin du 19è, du 20è et du 21è d’héritiers des millénaires et siècles barbares, matériellement (grands propriétaires terriens souvent nobles, religieux, colons...) et culturellement (primeur du nationalisme sur l’universalisme, des vertus guerrières sur celles d’humanité, de l’émotion sur la raison, de la force sur le droit, de la violence sur la culture...)

- le besoin pour le patronat, souvent de branches professionnelles "modernes" de combattre le mouvement ouvrier et socialiste pour protéger ses profits mirifiques et son pouvoir (lors des élections sur un programme seulement démagogique) et dans le sang si le niveau de combativité et de conscience des salariés et de la population devient menaçant pour lui).

Ces deux réalités historiques ont pour l’essentiel fusionné dans les années 1930 et 1940.

B) Treize critères complémentaires pour décrire le fascisme (Jacques Serieys)

6) L’histoire du fascisme peut être divisée en trois grandes périodes :

- le pré-fascisme avant 1914 comprenant des courants liés aux Etats autocratiques comme les empires austro-hongrois, russe et prussien germanique ainsi que des forces issues du royalisme comme Action française

- le fascisme proprement dit (1917 à 1945) engendré par la volonté du patronat d’écraser le mouvement ouvrier, surtout après la crise économique de 1929.

Dans ce texte sur les caractéristiques du fascisme, nous abordons le fascisme de l’entre-deux-guerres où il parvient au pouvoir comme "solution" des classes privilégiées à la crise de reproduction du capital (au moins un maintien "naturel" des taux de profit). En cassant le mouvement ouvrier et la gauche anticapitaliste, elles pensent pouvoir maintenir leurs marges, recomposer l’appareil de production et sa compétitivité internationale.

- le post-fascisme (ou néo-fascisme) depuis 1945

7) Par contre, le fascisme affaiblit au maximum toute force pouvant représenter une opposition dans le fonctionnement de l’économie capitaliste :

- les syndicats de salariés sont interdits ou très sévèrement réprimés

- la gauche anticapitaliste est toujours laminée dans un bain de sang

- dans tous les Etats fascistes, d’une façon ou d’une autre les salaires et droits sociaux baissent.

8) Le fascisme développe un patriotisme exacerbé, un communautarisme national

Le fascisme présente un caractère national (spécificités liées à l’histoire et à l’économie du pays), nationaliste exacerbé (exaltation de la nation comme communauté unie autour de sa langue, valorisation d’une identité nationale mythique, floraison spectaculaire de drapeaux, chants patriotiques jouant un rôle religieux ...) et impérialiste (si le rapport de forces s’y prête).

9) Le fascisme fait de l’armée le coeur de la nation avec disposition de crédits considérables quelle que soit la situation économique et sociale. Il choisit souvent un chef militaire comme personnification du régime. Le fascisme fait de l’armée son modèle social et son système de valeurs (hiérarchie, discipline, courage, "la force crée le droit"...). Il valorise les Anciens combattants au point parfois d’en faire l’ossature de ses milices paramilitaires et même du régime.

10) Le fascisme s’appuie sur la religion majoritaire du pays (ou très rarement les religions) posée comme élément de l’identité nationale. Le réseau du clergé sert alors mieux qu’un parti unique à la manipulation de l’opinion.

11) L’institution judiciaire n’a jamais représenté une barrière contre le développement de la barbarie des fascistes, y compris avant leur arrivée au pouvoir. Plusieurs explications peuvent être avancées : solidarité de classe de privilégiés, tradition de respect de la loi bien plus forte que la volonté de faire respecter les droits...

12) Le fascisme comme totalitarisme idéologique et culturel

Le fascisme utilise tous les moyens à sa disposition pour sa propagande, particulièrement les médias écrits et audiovisuels, les arts graphiques (affiches), le cinéma. Notons l’importance particulière du sport qui permet d’exalter les "qualités nationales". Le fascisme bénéficie généralement du soutien de grands journaux déjà reconnus lors de son arrivée au pouvoir ; le soutien des propriétaires et l’autocensure des journalistes sont plus utiles qu’une interdiction.

Le fascisme représente, sans aucun doute, un totalitarisme idéologique et culturel, d’où les autodafés bien connus du nazisme sous forme de rites collectifs en place publique, avec répétition d’incantations comme « Contre la lutte des classes et le matérialisme, pour la communauté du peuple et une philosophie idéaliste, je remets au feu les écrits de Karl Marx et de Trotsky… Contre la trahison littéraire envers les soldats de la Grande Guerre, pour l’éducation du peuple dans l’esprit de vérité, je remets au feu les écrits d’Erich Maria Remarque. »

13) Le fascisme valorise l’unité nationale contre des boucs émissaires chargés de tous les torts.

Qui sont ces ennemis déclarés ? le plus souvent les militants politiques anticapitalistes et les syndicalistes. Durant la grande période de montée du fascisme (années 1920 et 1930), le concept de "judéo-bolchevisme" articulait une dénonciation raciste des juifs et une accusation politique anti-communiste.

Après avoir réussi le génocide du communisme allemand, le nazisme a chassé les juifs et les tsiganes.

14) Le fascisme combat les droits des femmes

L’exemple le plus éclairant a été donné par Mussolini divisant par décret de moitié les salaires des femmes. Plus généralement, le fascisme interdit l’avortement, impose des rôles sexués plus rigides (les femmes restent au foyer, les hommes commandent, l’homosexualité est persécutée...)

15) Le fascisme se situe bien dans la droite de l’échiquier politique et idéologique.

Sur 30 cas que nous avons étudié, il participe toujours à des alliances politiques à droite avant d’arriver au pouvoir. De même, son programme et son idéologie radicalisent la logique des orientations de la droite traditionnelle, en particulier en matière de sécurité intérieure et extérieure mais aussi sur bien d’autres plans : nationalisme, rôle de la religion et de l’armée, importance de la liberté des chefs d’entreprise, respect de l’autorité, désignation de boucs émissaires, sexisme.

16) Le fascisme développe une idéologie réactionnaire fondée sur certains des (ou tous les) aspects suivants :

- Justification de l’inégalité sociale, de la hiérarchie et de l’autorité.

- Promotion d’un homme providentiel (culte de la personnalité).

- Propagande sécuritaire visant à rassembler autour du pouvoir et de son sauveur.

- Dénonciation de boucs émissaires pour mieux souder les "nationaux"

- 17) Une fois que le fascisme a rempli sa fonction de maintien des profits et du pouvoir de la classe privilégiée, celle-ci préfère opérer une transition vers un retour au modèle « libéral ». Cette transition s’avère parfois difficile en raison de l’autonomisation de la structure fasciste.

B) Les 14 caractéristiques déterminantes du fascisme dégagées par Lawrence Britt

En étudiant les régimes fascistes d’Hitler (Allemagne), Mussolini (Italie), Franco (Espagne), Suharto (Indonésie), et Pinochet (Chili), Lawrence Britt a mis en avant 14 éléments communs qu´il nomme les caractéristiques déterminantes du fascisme :

- Un nationalisme puissant et constant Les régimes fascistes ont tendance à faire un usage incessant de maximes, slogans, symboles, et chants patriotiques, et autre bric-à-brac. Les drapeaux sont partout, ainsi que les symboles de drapeaux sur les vêtements et les affichages publics.

- Le mépris pour la reconnaissance des droits de la personne Par peur d’ennemis et par besoin de sécurité, les gens dans les régimes fascistes sont persuadés que les droits de la personne peuvent être ignorés dans certains cas, « par nécessité ». Les gens ont tendance à regarder ailleurs ou même à approuver la torture, les exécutions sommaires, les assassinats, les longues incarcérations de prisonniers, etc.

- L’identification d’ennemis ou de boucs émissaires comme cause d’unité Le besoin d’éliminer la menace ou l’adversaire communément perçus, minorités raciales, ethniques ou religieuses, libéraux, communistes, socialistes, terroristes, etc., rassemble les gens dans une frénésie patriotique.

- La suprématie de l’armée Même quand les problèmes intérieurs sont nombreux, l´armée se voit accorder un montant disproportionné des fonds gouvernementaux et les programmes intérieurs sont négligés. On valorise les soldats et le service armé.

- Un sexisme répressif Les gouvernements des nations fascistes ont tendance à être presque exclusivement dominés par les hommes. Sous les régimes fascistes, les rôles sexués traditionnels sont plus rigides. L opposition à l´avortement est élevée ainsi que l´homophobie, et la législation et la politique nationale anti-gays.

- Des médias de masse sous contrôle Quelquefois, les médias sont directement contrôlés par le gouvernement, mais dans d´autres cas, les médias sont contrôlés indirectement par une réglementation gouvernementale ou par des porte-parole et des dirigeants sympathiques (aux vues du gouvernement).

- Une obsession avec la sécurité nationale La peur est utilisée par le gouvernement comme instrument pour motiver les masses.

- L amalgame de la religion et du gouvernement Les gouvernements des nations fascistes ont tendance à utiliser la religion la plus répandue de la nation comme outil de manipulation de l´opinion publique. Les dirigeants du gouvernement font un usage courant de la rhétorique et de la terminologie religieuses, même quand les principaux credo de la religion sont diamétralement opposés aux politiques et aux actions du gouvernement.

- La protection du pouvoir des entreprises C est souvent l’aristocratie de l’industrie et des affaires d´une nation fasciste qui a mis les dirigeants du gouvernement en place, créant ainsi une relation avantageuse entre les affaires et le gouvernement et pour l´élite du pouvoir.

- La suppression du pouvoir des travailleurs Parce que la seule menace pour un gouvernement fasciste est le pouvoir des organisations de travailleurs, les syndicats sont soit entièrementsupprimés soit sévèrement réprimés.

- Le mépris pour les intellectuels et les arts Les nations fascistes ont tendance à promouvoir et à tolérer une hostilité ouverte envers l´éducation supérieure et le milieu universitaire. Il n´est pas rare de voir des professeurs et autres universitaires censurés ou même arrêtés. La libre expression dans les arts est ouvertement attaquée et les gouvernements refusent souvent de financer les arts.

- Une obsession avec le crime et le châtiment Dans les régimes fascistes, la police obtient des pouvoirs presque illimités pour faire respecter la loi. Les gens acceptent souvent de fermer les yeux sur les abus de la police et même de renoncer à des libertés civiles au nom du patriotisme. Le pouvoir de la police nationale est souvent pratiquement illimité dans les nations fascistes.

- Le règne du favoritisme et de la corruption Les régimes fascistes sont presque toujours gouvernés par des groupes d´ amis et d´associés qui se nomment à des postes au gouvernement et utilisent l´ autorité et le pouvoir du gouvernement pour protéger leurs amis de l´ obligation de rendre des comptes. Dans les régimes fascistes, il n est pas rare que les dirigeants au pouvoir s´approprient ou volent carrément des ressources ou même des trésors nationaux.

- Des élections frauduleuses Quelquefois, les élections dans les nations fascistes sont complètement factices. D´autres fois, les élections sont manipulées grâce à des campagnes de salissage contre les candidats de l´opposition, voire leur assassinat, l utilisation de la législation pour contrôler le nombre des votants ou les limites des circonscriptions et la manipulation des médias. Les nations fascistes utilisent aussi systématiquement leur système judiciaire pour manipuler ou contrôler les élections


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