Fascismes de 1918 à 1945 : naissance, caractéristiques, causes, composantes, réalité par pays

lundi 26 juin 2023.
 

- A) Remarques introductives et méthodologiques
- B) Le fascisme : Quand ? Comment ? Pourquoi ?
- C) Les leçons du fascisme italien
- E) Caractéristiques du fascisme
- F) Causes du fascisme
- G) Composantes du fascisme
- H) Quels Etats et quels mouvements composent la constellation fasciste entre 1918 et 1945 ?

A) Remarques introductives et méthodologiques

A1) Aucun sujet ne présente plus d’importance que celui des fascismes

- Pourquoi des mouvements réactionnaires violents ont-ils dominé une majeure partie des pays européens au cours du 20ème siècle, aspirant la droite et les religions, enthousiasmant une majorité de citoyens ? Comment ces bêtes immondes ont-elles pu naître au coeur de notre civilisation et générer les soixante millions de morts de la Seconde guerre mondiale ?

Ayant passé ma vie à essayer de répondre à ces questions pour des raisons familiales, que mon lecteur ne prenne pas l’écrit ci-dessous comme une réflexion intellectuelle mais comme le croisement de milliers de lectures, de milliers d’informations orales, de milliers d’heures passées à y réfléchir.

Aucun sujet ne subit autant de désinformation depuis 70 ans que celui du fascisme. Cet article n’a aucune chance de soulever une telle chape de plomb ; qu’il soit lu par quelques milliers de personnes (410143 visiteurs au 29 avril 2014 Merci) serait déjà un exploit.

Aucun sujet n’est autant d’actualité que celui du fascisme. La grosse majorité d’Italiens, d’Allemands, d’Autrichiens... qui ont soutenu à un moment donné un Etat fasciste étaient des humains comme ceux d’aujourd’hui, croyant trouver dans la lutte contre l’étranger et la défense de la nation, les bonnes solutions aux crises du capitalisme. Attention, l’histoire peut repasser les plats ; n’oublions pas l’avertissement de Berthold Brecht dans La résistible ascension d’Arturo Ui « LE VENTRE EST ENCORE FÉCOND, D’OÙ A SURGI LA BÊTE IMMONDE ! »

A2) Le fascisme : une catégorie historique générale ; pas seulement une réalité italienne de 1922 à 1945

La revue L’Histoire a publié en 1999 un dossier construit autour de cette question effectivement importante. L’éditorial collectif de cette revue donne plusieurs arguments pour limiter le fascisme à la péninsule. Il s’agit « d’un régime politique, instauré en Italie en 1922 et ruiné par la Seconde Guerre mondiale en 1945, quand s’éteignent les dernières torches de la République de Salo. Entre ces deux dates, ce régime a évolué et la tâche de l’historien est de suivre avec rigueur sa métamorphose, au gré des évènements de politique intérieure et extérieure. » Une fois ce choix posé, l’éditorial minimise la dangerosité du fascisme. « Etablir les faits. Les luttes politiques n’ont-elles pas eu tendance à schématiser, édulcorer, travestir la réalité du fascisme réel ? ... Sans remettre en cause la nature criminelle du régime, (les historiens) corrigent la répression fasciste à la baisse : l’historien Renzo De Felice a fait scandale dans son pays en démontrant que la réussite (provisoire) de Mussolini reposait sur une véritable adhésion populaire... »

Ce point de vue limitant le fascisme à l’Italie ne peut être accepté, même introduit avec une prudence jésuitique :

* Des mouvements se réclamant du "fascisme" se sont créés dans tous les pays d’Europe entre 1920 et 1940 ; rien ne justifie de leur refuser cette appellation d’autant plus qu’ils ont poursuivi leur engagement jusqu’au bout durant la Seconde Guerre mondiale. Nous en dresserons une liste dans notre dernière partie de cet article.

* L’Italie de Mussolini a soutenu, financé ces mouvements, essayant même en décembre 1934 de jeter les bases, lors du congrès de Montreux, d’une Internationale fasciste définie par deux critères politiques déterminants : le concept de hiérarchie de l’Etat et le principe de collaboration de classes. Les délégués d’organisations de treize pays y décidèrent la création d’une commission permanente du fascisme.

Ceci dit, analyser le fascisme comme une généralisation politique, un concept historique ne doit pas nous faire perdre de vue que chaque fascisme est un nationalisme et présente donc des spécificités nationales décisives.

A3) Le fascisme ne peut, non plus, être réduit au nazisme ou à la Shoah

Si le fascisme constitue une variante radicale du conservatisme autoritaire de droite, le nazisme constitue la version la plus radicale du fascisme tant dans ses formes d’action que son idéologie. En présentant de plus en plus le fascisme sous la seule forme du nazisme, les manuels scolaires comme les documentaires télévisés passent à côté de la réalité générale des fascismes.

A4) Critères de définition du fascisme et liste des Etats fascistes

Dès cette introduction, nous prenons pour référence les affirmations de Francesca Tacchi, historienne, professeur à l’université de Florence (Histoire illustrée du fascisme) avec lesquelles je suis pour l’essentiel d’accord.

« L’identification d’une série minimale de critères, propre à l’ensemble des mouvements politiques qui mériteraient la qualification de fascistes se heurte à l’extrême diversité des situations nationales... Rien n’empêche, cependant, de leur reconnaître des caractéristiques communes : le rejet absolu des principes démocratiques, la négation du pluralisme social (d’où interdiction du syndicalisme ouvrier), les tendances totalitaires à l’intérieur (parti unique, culte du chef) et à l’extérieur (impérialisme)..., - l’entretien d’une milice armée, une idéologie raciste, une politique économique d’inspiration corporatiste...

Selon ces critères, la famille des fascismes européens comprendrait, outre le fascisme italien et le nazisme allemand : l’austro-fascisme de Dollfus et Schuschnigg, les régimes de Franco en Espagne et Salazar au Portugal, les régimes de Horthy en Hongrie, de Pilsudski en Pologne, d’Antonescu en Roumanie, de Pavelic en Croatie, de Monseigneur Tiso en Slovaquie, et de Metaxas en Grèce. »

A5) Conservatisme autoritaire nationaliste de droite, fascisme et nazisme

Depuis vingt ans, les débats entre historiens s’engluent dans la différence entre d’une part "conservatisme autoritaire nationaliste de droite", d’autre part fascisme. Je partage le point de vue selon lequel le fascisme constitue une variante du conservatisme autoritaire, le passage de l’un à l’autre entre 1918 et 1945 étant souvent complexe et dépendant du contexte (les moments de tension sociale et politique poussant la droite conservatrice vers des tentations fascistes).

Zeev Sternhell a apporté un éclaircissement important en argumentant que le fascisme correspond à l’âge de la politique de masse, ce qui n’était pas le cas du royalisme traditionnel. Ainsi, l’Action française comme le parti chrétien-social autrichien ont participé de la constellation fasciste européenne.

A6) Bornes temporelles et géographiques de notre étude

Nous commençons notre étude en 1918, tant les conséquences de la Première guerre mondiale et la poussée révolutionnaire des années 1918 à 1923 constituent des éléments déterminants dans la naissance du fascisme.

Plusieurs organisations nous paraissent relever du même phénomène avant cette date comme l’Action française, le Parti chrétien-social (Autriche), l’Union du Peuple Russe... Comme plusieurs grands historiens (Sternhell, Dobry...), nous utiliserons le terme de proto-fascisme dans leur cas.

Nous terminons au 8 mai 1945 même si plusieurs organisations et régimes nous paraissent relever du même phénomène après cette date. Nous en traiterons dans d’autres textes.

Toute réflexion sur le fascisme, sujet fort complexe et fort disputé, devant partir d’un corpus de faits précis, nous limitons ici notre étude à ce que les historiens nomment la constellation fasciste européenne des années 1919 à 1945.

Le fascisme ne fut pas un mouvement politique exclusivement européen. Le cas des Etats Unis (Chemises d’Argent, Front Chrétien) et de l’Amérique latine est bien connu ; nous l’avons déjà abordé par une biographie du général Stroessner :

Alfred Stroessner, général pro-américain de culture fasciste

Cependant, l’analyse des fascismes européens est déjà suffisamment vaste pour ne pas s’aventurer dans le débat sur le Japon, par exemple.

B) Le fascisme : Quand ? Comment ? Pourquoi ?

B1) Premier souvenir d’enfance

En raison de possibilités d’emploi dans les environs (construction de barrages hydro-électriques...) et de la présence d’une gauche politisée, mon bourg de naissance (Entraygues sur Truyère) a accueilli des réfugiés politiques antifascistes dès le début des années 1930. Pendant la seconde guerre mondiale, la Résistance a été forte ; j’ai parfaitement connu ses cadres. Leur vécu et leur compréhension du monde m’a, à coup sûr, marqué pour la vie. J’étais particulièrement ouvert aux explications de mon grand père maternel, Joseph Palat, qui avait fait partie de la commission politique de 3 membres des FTP MOI du Nord Aveyron.

J’en ai retenu une analyse du fascisme simple, reposant fondamentalement sur trois questions réponses :

- > Le fascisme, quand ? lorsqu’un pays est en crise profonde (économique, politique, sociale, culturelle) et (ou) que les capitalistes et autres privilégiés craignent une baisse de leurs profits. La fumée idéologique de la démocratie libérale cachant le capitalisme s’évapore alors, le peuple essaie de construire une république plus sociale et plus démocratique. Des forces évoluent majoritairement vers le fascisme ou veulent se servir de lui pour maintenir leur pouvoir : patronat, actionnaires rentiers, militaires et policiers, religieux, extrême droite et même préfets, élus de droite, nobles et royalistes, associations d’ »anciens combattants », juges et haut appareil d’Etat…

- > Le fascisme, où ? Généralement dans des Etats en difficulté momentanée pour affronter la concurrence économique et politique internationale. Tel est le cas en Europe entre 1918 et 1944 pour l’Italie, le Portugal, l’Allemagne, l’Espagne, l’Europe centrale (Hongrie, Autriche, Croatie...).

- > Le fascisme, comment ? Le fascisme n’aurait jamais réussi à créer le moindre Etat fasciste sans six forces principales, par ordre décroissant :

- patronat industriel, banquiers et grands propriétaires terriens

- armée et forces de l’ordre

- religions, en particulier Eglise catholique

- rois, nobles, royalistes et forces post-féodales

- élus de droite

- éléments importants de l’appareil d’Etat (justice, préfets...)

- > Le fascisme, comment ? sur quel discours ? Les victoires politiques du fascisme dans les années 1918 à 1945 ne peuvent seulement s’expliquer par ses soutiens. Pour s’imposer, il a développé d’une part une idéologie dont le coeur est constitué par le nationalisme, d’autre part une propagande dont le seul but est d’attirer momentanément la sympathie de citoyens (en particulier lors des élections). Une fois au pouvoir, le fascisme ne tient aucun compte de ses promesses (sociales par exemple) et même liquide les cadres qui en sont porteurs.

- > Le fascisme, pourquoi ?

Le fascisme représente une forme de domination politique au sein du mode de production capitaliste. Entre libéralisme et fascisme n’existe pas une différence de nature mais de contexte. Généralement, la droite libérale joue un rôle important dans le processus de fascisation d’un pays. La fonction du fascisme consiste à réprimer, si possible détruire le mouvement syndical ouvrier et la gauche anticapitaliste. Une fois au pouvoir, le fascisme se distingue par sa capacité à casser les acquis sociaux, les formes d’organisation et les cadres organisateurs de la classe ouvrière. Un objectif aussi antidémocratique implique de passer outre aux droits civiques habituels.

B2) Deuxième souvenir d’enfance, l’Autriche : fascisme, patronat, cléricalisme, armée, post-féodalisme

Les réfugiés politiques habitant Entraygues dans les années 1930 à 1960 utilisent fréquemment les mots fascisme et fasciste dans leur vocabulaire. Je me limite ici au souvenir de Michel Késer, maçon, combattant FTP MOI qui a plusieurs fois formé un duo avec mon père sur des opérations pendant la guerre ; il habite sur le Quai du Lot comme nous et vient très souvent à la maison ; nous le présentons seul aux municipales de 1959. Michel ne parle pas sans preuve, apportant toujours dix faits indiscutables pour chaque affirmation.

* Né en Autriche Hongrie avant la Première guerre mondiale, habitant ensuite la Croatie yougoslave près de l’Italie, l’expérience de ces pays entre 1918 et 1944 revient comme un leitmotiv, en particulier un mot, celui de Heimwehren, un mouvement paramilitaire impliquant toutes les forces habituelles du fascisme :

-  Le patronat : l’Association des industriels subventionne directement les Heimwehren. Elle demande à ses adhérents de leur verser un pour cent de toute leur masse salariale. « L’industrie n’a jamais nié avoir fourni des sommes considérables pour renforcer le mouvement des Heimwehren » (Ernst Streeruwitz, chancelier fédéral chrétien-social). « Pour votre information nous vous communiquons, de manière tout à fait confidentielle, que les sommes provenant de toute l’industrie d’Autriche sont utilisées pour organiser les Heimwehren... » (circulaire de la fédération patronale du papier).

- Le cléricalisme : Quel parti est généralement l’initiateur, l’organisateur et le protecteur des Heimwehren ? l’Eglise catholique et son Parti chrétien-social

-  L’armée : elle laisse des stocks d’armes filer de ses casernes vers les Heimwehren, y compris des canons et avions.

-  Forces de l’ordre : Très tôt, de nombreux Heimwehren portent sur eux des armes à feu (alors que la révolution de 1918 s’est terminée sans un mort ; alors que la gauche n’a tué aucun Heimwehren). Dès 1923, 1924, 1925, des syndicalistes (comme Birnecker), adhérents de la social-démocratie (comme Still), élus de gauche (comme Müller) sont assassinés par des Heimwehren sans intervention des forces de l’ordre.

-  Justice : Les auteurs de ces assassinats avouent leur crime ; tous sont acquittés ou condamnés à des peines minimes.

-  Nobles : Parmi les premiers et principaux dirigeants des Heimwehren, notons le prince de Stahremberg

- Ces milices armées (Heimwehren) passeront en bloc au nazisme.

Après avoir étudié en détail chaque pays d’Europe, j’affirme que Michel Késer avait raison :

- en faisant du patronat, du cléricalisme, de l’armée et du post féodalisme les principaux supports du fascisme quel que soit le pays. A l’époque, les réfugiés italiens (par exemple les Barrochino), espagnols, croates... confortent ces dires.

- en donnant les mêmes réponses que ci-dessus aux 3 questions "Le fascisme Quand ? Comment ? Pourquoi ?

B3) Troisième souvenir d’enfance : la Hongrie. Impérialisme et fascisme

La gauche résistante de mon village a hébergé un nombre significatif de Juifs hongrois durant la deuxième guerre mondiale ; ainsi, une dame âgée habitait dans la même maison que nous, à l’étage au-dessus. Pour ces réfugiés, le fascisme théorique et pratique avait commencé en Hongrie en 1919. Pourquoi ? parce que l’arrivée légale de la gauche anticapitaliste au gouvernement constituait un risque pour les intérêts du grand capital (qu’il soit français, britannique ou américain) ; aussi, celui-ci a soutenu et armé les forces suffisantes pour écraser les "rouges". Ces "rouges" avait quitté le pouvoir au profit de la droite du parti social-démocrate lorsque l’ armée impérialiste (armée régulière roumaine, fascistes hongrois, spécialistes français...) a avancé mais cela n’a empêché ni un déchaînement antisémite monstrueux ni l’assassinat d’un grand nombre de militants, installant pour 25 ans l’hégémonie des fascistes sur le pays.

Ces réfugiés voyaient à juste titre dans l’offensive impérialiste des années 1917 à 1922 en URSS même et dans les pays voisins :

- la première apparition de l’antisémitisme de masse meurtrier comme instrument de propagande en milieu populaire, antisémitisme qui allait déboucher sur le nazisme et la Shoah

- la première affirmation par l’impérialisme du fait qu’il combattrait militairement tout Etat anticapitaliste, si nécessaire par l’installation de dictatures face à lui (la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie... en ont malheureusement fait l’expérience entre 1918 et 1944 faisant de l’Europe un continent dans lequel Etats et mouvements d’extrême droite étaient omniprésents.

- la première marque évidente d’une nouvelle époque. Avant 1917, l’extrême droite européenne est dominée par des courants traditionalistes (monarchistes et cléricaux) liés à la classe privilégiée post-féodale ; après 1917, ce sont des fascistes liés au patronat national et international moderne qui dominent, aimantant largement les fascismes clérical et royaliste.

- un signal positif donné à tous les réactionnaires délirants après les massacres perpétrés en URSS, en Finlande et en Hongrie "vous pouvez exterminer tous les rouges, tous les militants ouvriers et tous les juifs que vous voudrez" si cela affaiblit la gauche anticapitaliste. Hitler et Mussolini ont bien compris le message.

Que personne ne prétende que j’exagère en mettant en avant le rôle des grands pays capitalistes dans la naissance du fascisme. Qui a financé Mussolini et ses faisceaux de combat durant plusieurs années, sinon la Grande-Bretagne (dont Mussolini était un agent stipendié) et la société pétrolière US Sinclair ? Qui a dirigé l’énorme investissement en financement, armes et soldats au profit d’armées blanches fascistes face à l’URSS sinon les USA ? Qui a dirigé la mise en place d’une hégémonie fasciste en Hongrie pour 25 ans sinon la France de la Chambre bleu horizon ? Qui a engendré les tueries immondes d’ouvriers et petits paysans finlandais sinon l’Allemagne ?

B4) Méthode de travail et plan

Nous avons essayé d’analyser le fascisme dans chaque pays européen entre 1918 et 1945 en relevant les éléments importants concernant leurs caractéristiques, causes et composantes, particulièrement pour les mouvements et Etats, unanimement définis par les historiens et la production écrite (dont le web) comme fascistes.

Nous allons commencer par le parti italien de Mussolini qui a, le premier, fondé un mouvement appelé fascisme puis un Etat fasciste.

Nous insisterons aussi sur :

- le parti nazi NSDAP d’Adolf Hitler qui doit être considéré comme un parti fasciste radical

- L’Oustacha croate financée par Mussolini puis parti unique de l’Etat indépendant de Croatie (1941 à 1945)

Au cours de ce travail de collectage d’informations, nous avons noté l’importance d’autres pays comme l’Autriche avec le parti chrétien-social d’Autriche, plus fort pré-fascisme avant 1914, éducateur politique d’Adolf Hitler à cette époque, fondateur de l’austro-fascisme à partir du 4 mars 1933.

Nous avons ensuite essayé de dégager la synthèse de ce travail pour l’ensemble de la constellation fasciste européenne en quatre grandes parties : caractéristiques du fascisme, causes du fascisme, composantes du fascisme, réalité par pays.

C) Les leçons du fascisme italien

Max Gallo a bien précisé l’intérêt du cas italien pour dégager les "définitions" du fascisme. « Le mot fascisme a été trop utilisé pour que sa signification première –et historique- ne soit pas estompée… Voilà pourquoi il faut revenir à la source, pour ancrer dans l’histoire les définitions… Connaissant mieux le fascisme à sa source, dans sa vérité historique, peut-être sera-t-on mieux à même de situer et de discerner ses résurgences. »

C1) Le fascisme italien apparaît dans un contexte de crise économique, morale, nationale liée aux conséquences de la Première guerre mondiale :

- La première guerre mondiale. Alliée de l’Allemagne avant 1914, neutre lors du déclenchement du conflit, l’Italie connaît ensuite une période d’opposition entre d’une part les secteurs favorables à l’entrée en guerre aux côtés de la France et de la Grande Bretagne (patronat de l’industrie lourde du Nord et capital financier), d’autre part les secteurs neutralistes (industrie légère, propriétaires fonciers). Les premiers l’emportent et l’Italie entre en guerre sans vote du Parlement. Pour faire taire le Parti Socialiste italien et le syndicalisme ouvrier majoritairement opposés à la guerre, le pouvoir politique et les services secrets britanniques créent les fasci chargés de tabasser les pacifistes s’ils se montrent publiquement ( Fasci d’azione rivoluzionaria, Faisceaux d’action révolutionnaire créés par Mussolini le 11 décembre 1914...). La France subventionne grassement le journal de Mussolini Il popolo d’Italia.

- Le pays sort de la guerre en pleine crise Crise démographique (651 010 morts et 953 886 blessés parmi les militaires, 589000 pertes civiles). Crise financière avec une inflation décuplée et un déficit centuplé. Crise économique provoquant la détérioration du niveau de vie des ouvriers et métayers. Crise nationale suite aux traités de paix qui n’ont accordé à l’Italie ni ce qu’elle souhaitait, ni ce qui lui avait été promis (Traité de Londres).

- Les anciens combattants des troupes d’assaut (arditi) vivent très mal de ne pas être récompensés de leur courage et de leurs sacrifices. En janvier 1919, deux premières associations se constituent d’une part à Rome (Mario Carli) comprenant de nombreux repris de justice, d’autre part à Milan (Filippo Marinetti et Ferruchio Vecchi). Ils se réunissent le 23 mars 1919 avec les Faisceaux de Mussolini et les futurs dirigeants de la Marche sur Rome ( Italo Balbo, Cesare Maria De Vecchi, Emilio De Bono). Cette rencontre débouche sur la création des Faisceaux italiens de combat ( Fasci italiani di combattimento) avec pour symboles, ceux des arditi ; chemise noire et tête de mort.

C2) Le fascisme italien apparaît à un moment où les classes privilégiées veulent casser les aspirations démocratiques et sociales populaires

Cette détermination du patronat industriel et des propriétaires terriens était déjà patente avant 1914 ; elle s’est renforcée durant la guerre en raison de l’opposition du mouvement ouvrier et socialiste italien à celle-ci. La volonté des milieux privilégiés de casser les aspirations populaires devient impérieuse dans les années d’après guerre face à la puissance du mouvement social, aux occupations de terre et d’usines, à l’autoorganisation ouvrière...

Les grands industriels (Confindustria, Confédération générale de l’industrie italienne) et les gros propriétaires terriens (de l’Emilie, Vallée du Pô, Toscane…) financent la création, le développement et l’action de groupes fascistes. Comme dans tous les autres pays concernés, les banques jouent un rôle central dans cet appui du milieu capitaliste aux fascistes.

Le 23 mars 1919, à Milan, c’est le Cercle des intérêts industriels et commerciaux qui a prêté une grande salle à Benito Mussolini pour créer les faisceaux italiens de combat ( fasci di combattimento) organisés en « Squadre d’azione » (équipes d’action).

C3) L’accession constitutionnelle des fascistes au pouvoir

Fondamentalement, la droite italienne tout entière a porté Mussolini à la tête du gouvernement en octobre 1922. Giovanni Giolitti, dirigeant historique du parti libéral l’a poussé vers le pouvoir. Luigi Facta, président du conseil en exercice (et ministre de l’intérieur), également membre du parti libéral, est favorable à la participation des fascistes au gouvernement. Antonio Salandra, toujours du parti libéral, lié au capital international, président du conseil de mars 1914 à juin 1916, se positionne à ses côtés en s’affirmant "fasciste honoraire".

Fondamentalement, toutes les forces politiques importantes hormis la gauche anticapitaliste, l’ont soutenu au moment décisif. C’est le cas du roi Victor-Emmanuel III qui empêche par ses fonctions tout coup d’arrêt à la mobilisation violente des fascistes conclue par la marche de Rome. C’est le cas aussi de grands intellectuels comme Benedetto Croce affirmant que le fascisme est compatible avec le libéralisme, de Giovanni Gentile...

Fondamentalement, l’appareil d’Etat bourgeois se délite en pleine crise au profit des fascistes. Les premières initiatives violentes illégales des fascistes bénéficient d’une bienveillance incroyable de la police, de l’armée et de la justice. Sous le gouvernement du libéral Giolitti (1920, 1921), l’état-major de l’armée adresse aux commandants d’unité la « circulaire Bonomi » offrant les 4/5 de leur solde aux 50 000 officiers démobilisés qui intégreraient les faisceaux.

Le fascisme gagne une audience de masse sur une propagande idéologique confuse voulant fédérer des oppositions sans attaquer le coeur du système. Il bénéficie des forces traditionalistes issues du combat réactionnaire des Anti Lumières au monarchisme (forces sociales, économiques, politiques, idéologiques, religieuses). En Italie, ce phénomène est particulièrement important avec les héritiers divers de la féodalité en particulier la royauté, avec le rôle idéologique et social du Vatican (d’après la constitution fasciste, la religion de l’Italie « est catholique, apostolique et romaine »), avec les grands propriétaires terriens du centre et du Sud, avec des réseaux nationalistes et d’extrême droite déjà actifs avant 1914...

Concluons en insistant sur le fait que Mussolini prend la tête d’un gouvernement en octobre 1922 comprenant des libéraux de toutes couleurs, des catholiques, un nationaliste, un social-démocrate, deux généraux et seulement trois fascistes.

C4) La fonction essentielle du fascisme : casser le mouvement ouvrier et la gauche anticapitaliste

En Italie, les faisceaux de combat parfaitement assumé cette tâche de 1919 à 1922 :

- attaquant, dévastant, incendiant les locaux de journaux socialistes

- lançant des expéditions punitives à forte composante militaire pour briser les luttes sociales

Cela n’empêche pas tous les partis de droite (libéraux, catholiques...) d’intégrer des candidats mussoliniens sur leurs listes du "Bloc constitutionnel" aux législatives de 1920. Cette onction permet aux troupes de choc fascistes de multiplier leurs actions violentes d’autant plus que « partout, enfin, les fascistes vont trouver l’appui des autorités locales, de l’armée, de la police, de la gendarmerie » (Pierre Milza et Serge Berstein, Le Fascisme italien, 1919-1945, Le Seuil, 1980, p.98-103)

- terrorisant individuellement syndicalistes et les socialistes en utilisant fréquemment le gourdin et l’huile de ricin (provoquant ainsi des coliques...), perpétrant des assassinats généralement sans poursuite aucune.

- mettant à sac systématiquement les locaux syndicaux et politiques

- attaquant des mairies de gauche anticapitaliste (9 morts et 100 blessés à Bologne en novembre 1920 ; même opération à Ravenne le mois suivant... )

Au lieu de résister face à cette violence fasciste, le gouvernement libéral dissout les municipalités de gauche (Bologne, Modène, Ferrare...). Pire, il interdit toute poursuite policière ou judiciaire contre les fascistes.

Dès janvier 1921, « la terreur a eu raison des organisations ouvrières. Des milliers de Maisons du peuple et de sièges syndicaux ont flambé, il y a des centaines de morts, des dizaines de milliers de blessés. La « contre-révolution posthume et préventive » (Angelo Tasca) a gagné ».

Il ne reste aux fascistes qu’à terminer le travail en exterminant ignominieusement les derniers résistants.

12 octobre 1922 Assassinat de Giuseppe Valenti par les fascistes

Le rôle de Benito Mussolini dans l’accession au pouvoir du fascisme ne dépasse pas celui d’un instrument au service des classes privilégiées. C’est seulement plus tard que son rôle individuel deviendra significatif.

Avec la complicité d’une partie importante du patronat, de la droite et de l’appareil d’Etat, 26000 chemises noires marchent sur Rome (27 et 28 octobre 1922). Une colonne part de Civitavecchia avec le général Ceccherini, une autre de Monte redondo avec le général Fara, une dernière de Tivoli. Le roi Victor-Emmanuel III refuse toute mesure d’opposition puis charge Mussolini de constituer le gouvernement.

Malgré la faible mobilisation des Squadristi, le succès politique de la marche sur Rome donne des marges de manoeuvre plus importantes aux assassins fasciste pour éliminer des syndicalistes et militants politiques de gauche avec la protection tacite de l’appareil d’Etat. Ainsi, mi décembre 1922, la grande ville ouvrière de Turin est livrée durant trois jours à leur chasse aux antifascistes. Ils dévastent la "Chambre du Travail" , incendient le cercle des cheminots, le cercle Karl Marx et le siège de l’Ordine Nuova. 22 ouvriers, socialistes, communistes et anarchistes sont assassinés dont Pietro FERRERO, secrétaire du syndicat des métallurgistes (F.I.O.M) et animateur du mouvement des conseils d’usines, (attaché à un camion et traîné par les rues).

Il serait faux de ne pas signaler quelques oppositions verbales au fascisme parmi les dirigeants politiques traditionnels, par exemple au sein du Parti Socialiste (un député va même tenter de tuer le duce) et du Parti Populaire (catholique). Le Vatican s’occupe de protéger Mussolini et ses hordes sanglantes. Ainsi, il s’en prend durement à Luigi Sturzo au moment où celui-ci est menacé par les fascistes pour avoir osé critiquer le Duce. Ayant obtenu la démission de ce dirigeant historique du PPI, l’Osservatore romano (journal officiel du Vatican) affirme que ce départ va « contribuer à la juste pacification des esprits ».

C5) Mise en place de l’Etat fasciste

Pouvant compter sur l’appui du patronat, de la presse, de l’armée, de l’Eglise, de la police, de la justice... Mussolini peut franchir un nouveau pas dans la mort des libertés civiques (3 janvier 1925), la dissolution du parti socialiste, l’interdiction de la franc-maçonnerie, l’interdiction du recours à la grève (3 avril 1926), la création d’une police politique (l’OVRA), la mise en place du système corporatif qui élimine toute existence de syndicats ouvriers autonomes, l’embrigadement des jeunes..

Des milliers d’opposants politiques sont condamnés à mort ou à la prison (ce qui revient au même pour un dirigeant détesté de la droite comme Antonio Gramsci).

C6) L’amitié et l’admiration des grands pays capitalistes pour le fascisme italien : exemple de la Grande Bretagne

La grande presse des pays capitalistes pourrait peser sur l’opinion internationale en dénonçant les meurtres permanents perpétrés par les fascistes. Bien au contraire, elle fait souvent l’éloge de leurs réussites. Ainsi, le Times londonien le 30 décembre 1922 : « Il est incontestable que l’Italie n’a jamais été aussi forte et unie qu’aujourd’hui. Le monde a été frappé par le fait que le fascisme n’est pas seulement un système politique qui a réussi, mais aussi une révolution spirituelle. Le Duce a simplifié le régime fiscal et fortement réduit le déficit.... Il est parvenu à réduire une bureaucratie excessivement abondante... Mussolini a poursuivi, avec assez de succès, une grande politique coloniale... Sa politique sociale en faveur des plus défavorisés, est remarquable. Grâce à Benito Mussolini, l’Italie est devenue une puissance que le monde admire. »

En tant qu’Etat la Grande Bretagne conserve d’excellentes relations avec son ancien agent secret Mussolini durant toutes ces années d’installation de la dictature. Ainsi est signé l’accord anglo-italien de politique étrangère du 20 décembre 1925. ainsi, la Grande Bretagne soutient l’Italie sur une question décisive pour tous les partis fascistes d’Europe : la révision des traités de paix. Rome passe des accords avec des Etats proches politiquement comme la Roumanie, la Bulgarie, les fascistes hongrois auxquels elle livre des montagnes d’armes de toutes sortes.

Parmi les déclarations de dirigeants politiques britanniques éminents citons Winston Churchill en date du 15 janvier 1927, alors ministre des finances « Le génie romain personnifié par Benito Mussolini, le plus grand législateur vivant, a montré à de nombreuses nations que l’on peut résister au communisme ; il a tracé la route qu’une nation peut suivre quand elle est menée avec courage. Avec le régime fasciste, Mussolini a établi une orientation centrale que les pays engagés dans la lutte contre le communisme ne devraient plus hésiter à prendre comme guide. Si j’étais italien, je suis sûr que j’aurais soutenu Mussolini depuis le début jusqu’à la fin... Mussolini ne pense, de toute évidence, qu’au bien-être durable de peuple italien... Il fait de son pays une puissance admise et respectée dans le monde. L’Italie redécouvre la grandeur impériale du passé. »

Le Vatican aussi admire le Duce pour son idéal proche du catholicisme conservateur « La vie telle que la conçoit le fasciste est grave, austère et religieuse : elle est portée tout entière par les forces responsables et morales de l’esprit... Le fascisme est né d’une réaction contre le siècle présent et contre le matérialisme dégénéré et agnostique. »

La dimension nationaliste et impérialiste ne fait aucun doute chez Benito Mussolini

11 février 1929 : la papauté signe les Accords du Latran avec le gouvernement fasciste de Mussolini

D) Le fascisme allemand en réponse à la crise économique de 1929

De 1918 à 1923, l’Allemagne connaît aussi un puissant mouvement social dont le but premier est de terminer la guerre en chassant du pouvoir l’empereur et les fauteurs de guerre

30 et 31 octobre 1918 : Début de la Révolution allemande

Du 6 au 10 novembre 1918 : Quand la révolution allemande mettait fin à la Première guerre mondiale

8 au 22 novembre 1918 QUAND LE DRAPEAU ROUGE FLOTTAIT SUR LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG (documentaire sur LCP)

Les classes possédantes et le gouvernement social-démocrate font alors appel à des groupes armés d’officiers et soldats démobilisés pour écraser militairement les aspirations populaires.

Du 10 au 16 janvier 1919, la social-démocratie et les corps francs paramilitaires écrasent la gauche berlinoise et le mouvement ouvrier

L’écrasement progressif des mouvements sociaux puis la crise économique de 1929 permettent au Parti national-socialiste de gonfler sa police privée (SA et SS) financée par le grand capital international et allemand. Hitler est appelé à la chancellerie (chef du gouvernement), fin janvier 1933. L’écrasement physique de la gauche en 1933 1934 préfigure l’extermination des Juifs durant la Seconde guerre mondiale.

30 janvier 1933 : Hitler devient le chancelier allemand. Responsabilités de Von Papen, dirigeant du Centre catholique, proche du futur Pie XII

Document de mars 1934 sur le premier camp de concentration nazi, ouvert en 1933 : Dachau

Génocide de la gauche allemande et des Juifs par les nazis : Nuit de Noël 1933 au camp de concentration extermination de Fuhlsbuettel

Les grands pays capitalistes l’ayant totalement laissé faire, Hitler s’enhardit de plus en plus, aide militairement l’Espagne franquiste, réoccupe la Rhénanie, envahit l’Autriche, dépèce la Tchécoslovaquie jusqu’au déclenchement de la guerre.

1er septembre 1939 : En attaquant la Pologne, Hitler déclenche la Seconde guerre mondiale. Pourquoi n’a-t-il pas été arrêté avant ?

29 et 30 septembre 1938 A Munich les gouvernements bourgeois anglais et français capitulent devant Hitler

E) Caractéristiques du fascisme

Pour accéder à cette partie, cliquer sur le titre ci-dessous :

Caractéristiques du fascisme : Dix-sept critères

F) Causes du fascisme

- Pourquoi le grand patronat, les castes privilégiées, l’Eglise, les droites ont-ils consciemment fermé les yeux durant une vingtaine d’années, souvent fait alliance avec cette extrême droite nationaliste, antidémocratique et raciste ? Ils portent évidemment chacun beaucoup plus de responsabilité qu’un Hitler, petit vagabond autrichien.

- Pourquoi la justice, la police, l’armée, l’appareil d’état se sont-ils naturellement rangés derrière des fascistes assassins, par exemple dans un pays comme l’Autriche, pour écraser le parti social-démocrate si attaché aux principes démocratiques ?

Quelles sont les grandes clefs de compréhension du fascisme ? Quels facteurs ont provoqué et permis qu’il se crée, se développe, prenne le pouvoir dans de nombreux pays ? Il me parait possible de résumer la réponse en quatre grandes causes du fascisme :

- Une cause historique donnant des références idéologiques : le fascisme est l’héritier de courants opposés à l’évolution de la société depuis la Renaissance, les Lumières, la Révolution française et la démocratisation de la société. Zeev Sternhell a réalisé un excellent travail sur ce sujet. Nous l’aborderons dans notre première partie : B1) Le fascisme, force réactionnaire, fils des barbaries humaines

- Une cause conjoncturelle : le contexte de la première moitié du 20ème siècle avec la brutalisation extrême des sociétés : colonialisme, guerre totale, racisme exacerbé, guerre civile larvée européenne née de la volonté des classes possédantes d’écraser les aspirations populaires nouvelles... Nous le traiterons dans notre seconde partie : B2) Le poids du contexte mondial sur le développement du fascisme

- Une cause économique, sociale et politique par delà le seul contexte : le fascisme apparaît comme une forme de gouvernement auquel le capitalisme a recours en cas de grave menace sur ses profits et sur sa domination économique, idéologique, politique... A mon avis, il s’agit là de la raison principale ; il s’agit là aussi de la cause du fascisme qui pose le plus problème car elle reste d’actualité. Nous essaierons de le prouver dans notre troisième partie : B3) Le fascisme, jumeau du capitalisme libéral moderne

F1) Le fascisme, force réactionnaire, fils des barbaries indomptées de l’humanité

En octobre 1930, Karl Radek, principal responsable de l’Internationale Communiste en Allemagne depuis dix ans, écrit en constatant la percée spectaculaire du nazisme « Rien de semblable ne s’est jamais produit dans l’histoire de la lutte politique, surtout dans un pays politiquement diversifié de longue date... Il a surgi tout à coup comme un îlot émergeant soudain, par l’effet de forces volcaniques, en plein milieu de la mer. »

Ce constat de Radek paraît plus littéraire que marxiste ; il correspond pourtant globalement à la réalité, sans l’expliquer. Notons que, à ce moment-là, le patronat allemand ne fournit pas encore des rivières d’or au parti nazi ; l’explication doit donc être cherchée ailleurs.

De la féodalité au fascisme : les fantômes barbares (royalistes, cléricaux, conservateurs autoritaires) contre le progrès humain

Le psychiatre et psychanalyste Wilhem Reich avance comme explication l’importance de facteurs idéologiques comme le retard des structures psychiques sur le développement économique et les conditions sociales. Or, "Gentile, Rosenberg", comme Hitler s’adressent de façon importante à ces structures psychiques.

F 11) Sur le retard des structures psychiques par rapport à l’évolution économique et sociale

Pour prendre un aspect de la question, rappelons que de 1930 à 1933, une grosse majorité de la population allemande est chrétienne (catholique et luthérienne) et apporte un soutien massif à Hitler. Le congrès des enseignants d’écoles catholiques, par exemple, vote à l’unanimité l’adhésion de ses membres au NSDAP.

Cette soudaine nazification du christianisme allemand s’explique par des intérêts concrets des églises mais surtout par le fait que sa doctrine reste marquée par la fonction du christianisme dans le mode de production féodal et que cette doctrine imprègne les structures psychiques de millions de personnes.

Les classes privilégiées de la féodalité n’avaient aucun intérêt à une idéologie humaniste alors qu’ils traitaient les serfs comme des esclaves. Aussi, le christianisme est rapidement passé alors d’une idéologie humaniste :

- à une religion imposant la soumission durant la vie sur terre pour mieux gagner le paradis après le décès.

- à une religion condamnant les plaisirs et valorisant la souffrance symbolisée par la croix

- à une religion présentant la pyramide des seigneurs, comtes, ducs, rois, empereurs, pape comme fondée par Dieu le Père tout puissant et le représentant sur terre, d’où un devoir d’obéissance total, de sujétion...

Les courants réactionnaires anti-humanistes et antidémocratiques ont ainsi prospéré, chantant les louanges des croisés génocidaires en Occitanie comme en Palestine, combattant les progrès démocratiques des communes "parce que les humains ne construisent pas leur vie comme les abeilles organisent leur ruche, mais en respectant les volontés de la Providence". Les tragédies sauvages et leurs justifications ignobles n’ont pas cessé (guerres, inquisition, esclavage, colonisation...).

Les ouvrages de Zeev Sternhell apportent énormément d’éléments sur ce courant des Anti-Lumières.

En lisant des textes fascistes populistes ou cléricaux, j’ai toujours été frappé par deux points qui déterminent les autres : la force crée le droit, la hiérarchie est naturelle.

F12) Nationalisme et fascisme

Nous venons d’aborder le fait que le fascisme puise une partie de ses sources intellectuelles dans le passé barbare indompté de l’humanité, essentiellement par le poids politique, social et idéologique des forces héritées de la féodalité.

L’héroïsme guerrier, le culte du chef, la gloire, l’autorité, la discipline, la supériorité raciale, l’obéissance, la virilité, l’abnégation... constituent un corpus idéologique réactionnaire assez homogène intégrant diverses références historiques et mythes. Des intellectuels de droite réputés y ont apporté leur compétence. Mussolini l’a bien résumé dans sa devise « Croire, obéir, combattre ».

La période du capitalisme national (1848 à 1918) a largement contribué à approfondir ces "valeurs" là dans les structures psychiques des populations, par exemple en Allemagne :

- avec l’importance donnée à la référence aux anciens Germains, au prussianisme, à la langue et au droit du sang, à la guerre de libération de 1813 qui se réalise sur un fond contre-révolutionnaire

- en raison de l’importance des guerres gagnées en 1864, 1866, 1870 comme facteur d’unification nationale

F13) Des royautés absolues aux démocraties parlementaires, une transition très heurtée

De 1789 à 1815, l’Europe des royautés absolues connaît une crise grave provisoirement terminée par la défaite des Français à Waterloo puis la domination continentale de la Sainte Alliance (Autriche, Russie, Papauté, Prusse, Espagne...).

De 1815 à 1871, des "élites" peu nombreuses profitent sans partage du pouvoir grâce à une alliance des diverses couches sociales favorisées. Le régime politique est presque partout autocratique (Russie, Autriche, Prusse, Espagne, Portugal, Italie, Balkans...) avec une dose plus ou moins forte de "démocratie" très contrôlée.

La révolution industrielle entraîne le développement de plus en plus important des villes et des couches principales de la société capitaliste (patronat, salariés).

Lorsqu’à la fin du XIXème siècle et début du XXème, les privilégiés capitalistes cherchèrent des alliés pour noyer dans le sang les nouvelles aspirations à mieux vivre, à voter, à exercer des droits... ils purent compter sur l’expérience sanglante des héritiers du Moyen Age, particulièrement dans la noblesse et le haut clergé.

Ainsi naquirent les organisations préfascistes (Union du Peuple Russe, Parti Chrétien Social Autrichien, Action française...).

F2) Le poids du contexte mondial sur le développement du fascisme

F 21) La période de 1871 à 1914 est marquée par les aspirations contradictoires de 3 forces :

- les masses populaires ouvrières et urbaines veulent de meilleures conditions de travail, de vie et de citoyenneté

- les milieux issus de la féodalité (noblesse, grands propriétaires terriens, haut clergé) refusent de perdre leurs privilèges et de voir mourir le type de société qui les favorisait.

- Patronat et couches privilégiées du capitalisme (rentiers...) choisissent de plus en plus souvent en Europe l’alliance avec les seconds contrairement à ce qui s’était passé lors des révolutions bourgeoises (Pays Bas, Angleterre, France...)

A la veille de la Première guerre mondiale, le mouvement ouvrier, démocratique et socialiste progresse

Les syndicats se développent. La Seconde internationale groupe des forces gigantesques. Des grèves locales et générales explosent de plus en plus souvent :

27 juin au 8 juillet 1905 : Grève générale, massacre d’Odessa et mutinerie du cuirassé Potemkine

7 au 14 juin 1914 La "Semaine rouge" italienne

Le patronat se voit obligé de lâcher sur des points importants (temps de travail en particulier) face aux revendications ouvrières.

Lors des élections, les partis de la social-démocratie et du socialisme (organisations nées du mouvement ouvrier) gagnent globalement de plus en plus d’électeurs.

Une part importante du patronat et de la droite envisage dans chaque pays l’option du fascisme pour casser cette poussée sociale et politique du mouvement ouvrier et démocratique.

- en Allemagne Pourquoi et comment le patronat a fondé le fascisme ?

- en Autriche, développement du Parti Social-chrétien, matrice décisive de Hitler et du nazisme

Hitler naît le 20 avril 1889 en Autriche, fief du pré-fascisme

Pour résister idéologiquement, électoralement et socialement à la poussée du mouvement ouvrier et démocratique, patronat et droite misent sur le nationalisme militariste. Conséquence : Première guerre mondiale qui se termine par une poussée sociale et démocratique encore plus forte.

Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats

F 22) Le capitalisme en guerre de 1918 à 1939 contre la Révolution russe

La Révolution russe entraîne un raidissement considérable des classes privilégiées partout dans le monde. L’historien Martin Allen en donne un aperçu par sa caractérisation du prince héritier de la couronne britannique « Edouard, comme la-plupart des membres de la famille royale, avait une peur irrépressible du bolchevisme... Il vit dans le fascisme la voie de l’avenir. Loin de s’en tenir à considérer d’un oeil favorable les progrès réalisés dans l’Italie mussolinienne, il ne tarda pas à vouer un véritable culte à Hitler et aux nazis allemands. Il admirait le programme d’Hitler... »

Cette peur irrépressible du communisme conduit la royauté britannique à financer des fascistes un peu partout dans le monde, le plus connu étant Mussolini. Surtout, les principaux pays capitalistes du monde s’allient pour tenter d’écraser militairement l’URSS. Ils massent des forces et moyens considérables pour créer et soutenir des Etats "blancs" qui présentent déjà des caractéristiques fascistes évidentes, en particulier dans le Sud. Cependant, les bolcheviks l’emportent après une longue et désastreuse guerre civile (21 millions de morts) qui dévaste complètement le pays et hypothèque définitivement son avenir progressiste possible.

17 décembre 1918 : L’armée française débarque en URSS pour combattre la Révolution et accaparer les richesses

Guerre civile russe. Pourquoi les Rouges ont-ils gagné ? 29 octobre 1917 à octobre 1922

Dès 1918, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis... se soucient aussi de créer un "cordon sanitaire" d’Etats entre l’URSS et l’Europe occidentale. Cela explique largement la puissance des mouvements fascistes et des Etats fascistes jusqu’en 1939 en Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Pologne, Norvège, Estonie, Lettonie...

17 décembre 1926 Coup d’état fasciste en Lituanie

F 23) Le capitalisme en guerre de 1918 à 1926 contre les mouvements sociaux et démocratiques

A partir de la Révolution russe, l’objectif principal du capitalisme international consiste à écraser l’URSS mais aussi à noyer dans le sang tout mouvement risquant d’évoluer en révolution sociale.

Aussi, le mouvement ouvrier et démocratique subit un véritable écrasement dans de nombreux pays, même quand il n’y a aucun risque d’évolution d’une grève locale en révolution sociale. Citons quelques cas peu connus :

30 avril 1918 Ouvriers et métayers massacrés par les Gardes blancs et soldats allemands (Tampere, Helsinki, Vyborg)

15 mai au 25 juin 1919 : Grande grève générale de Winnipeg (Canada)

6 au 11 février 1919 Grève générale et crise révolutionnaire locale à Seattle (USA)

F 24) De la Première guerre mondiale à la "guerre civile européenne"

Quiconque analyse le fil des évènements constate que le fascisme apparaît d’abord en Italie, pays qui connaît une crise profonde suite à la Première guerre mondiale. Ce constat d’un lien entre le conflit de 1914 1918 et le fascisme peut être établi également en Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Russie...

Les milieux populaires ont porté le fardeau essentiel de l’affrontement armé. Une fois la paix revenue, les autocrates régnant sur des empires sont balayés (Autriche-Hongrie, Allemagne, Russie, Turquie...). Les ouvriers (y compris dans l’agriculture) ne supportent dorénavant ni le despotisme régnant sur leurs lieux de travail, ni leurs mauvaises conditions de vie aggravées par le conflit.

Les privilégiés (en particulier patronat de l’industrie et grands propriétaires terriens) habitués à mener leurs salariés en petits tyrans réagissent souvent en finançant des équipes d’assassins chargés de terroriser les meneurs du mouvement populaire et les tuer si nécessaire.

La brutalisation de toute la société par la boucherie de 1914 1918 entraîne un durcissement du champ politique et social une fois la paix revenue. Lorsque le député socialiste modéré Matteotti monte à la tribune du Parlement pour dénoncer les innombrables violences physiques et truquages des élections par les fascistes, ceux-ci lui répondent "Vous n’aviez qu’à réussir la Révolution".

Les historiens utilisent de plus en plus souvent l’expression de "guerre civile européenne" ouverte par la Première guerre mondiale. Même au coeur du Massif central, je constate que cela correspond à la réalité.

Des travaux d’Hannah Arendt, je retiens particulièrement le lien qu’elle établit entre des rapports sociaux despotiques ( colonisation, discipline militaire, despotisme d’usine...) et l’ascension du fascisme.

F 25) La crise économique de 1929

Le financement du fascisme par le patronat national ou international connaît :

- une période faste jusqu’à l’écrasement des différents mouvements sociaux et démocratiques au début des années 1920

- une distanciation entre 1925 et 1929, période où le libre-échange paraît mieux assurer les intérêts capitalistes

- à nouveau une période faste à partir de la crise économique car les milices paramilitaires d’extrême droite retrouvent leur utilité pour casser les meneurs syndicalistes, socialistes ou communistes. Ainsi, les plus grandes fortunes (par exemple parmi les compagnies pétrolières et banques) financent l’énorme armée privée hitlérienne organisée dans les SA et SS.

F 3) Le fascisme, jumeau du capitalisme libéral moderne

Le fascisme n’est pas seulement une force réactionnaire rêvant de casser les avancées démocratiques et sociales de l’histoire humaine. En Allemagne comme en Italie, la force motrice pour l’installer au pouvoir, c’est le patronat et non des groupes traditionalistes.

Le fascisme naît en Italie comme agent du patronat et de la droite libérale

Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme

Le fascisme n’est pas non plus le résultat de facteurs conjoncturels hors des choix effectués par le grand capital national et international.

Hannah Arendt a évidemment raison de pointer parmi les origines du totalitarisme des faits liés au capitalisme moderne et non au Moyen Age, d’une part le colonialisme, d’autre part la militarisation des sociétés durant la Première guerre mondiale :

De la barbarie coloniale à la politique nazie (UNESCO)

Colonisation française du Niger et du Tchad par la colonne Voulet Chanoine Joalland : un crime contre l’humanité

Le peuple herero de Namibie se soulève (12 janvier 1904) puis est écrasé par l’armée allemande (11 août)

Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats

En Allemagne, le fascisme s’installe durant la crise de 1918 1923 puis régresse durant l’embellie économique des années 1920 (apport de capitaux anglo-saxons...) avant de prendre le pouvoir dans la foulée de la grande crise de 1929 1935. Pourquoi ? parce que le fascisme a pour fonction essentielle de recréer les conditions de la reproduction du grand capital. Ainsi, le patronat (y compris international) joue de 1930 à 1933 la carte d’une fuite en avant totalitaire pour imposer le despotisme d’usine, la militarisation de la société afin de conserver son pouvoir et ses profits. Il vide ses poches pour financer les groupes paramilitaires meurtriers nazis permettant d’ écraser le mouvement ouvrier.

Le fascisme constitue donc surtout une forme de domination politique nationale de la classe capitaliste si ses intérêts sont en danger vital, particulièrement pendant ou après une crise d’ampleur. Par ailleurs, le fascisme s’appuie sur des institutions et forces sociales modernes : appuis importants au sein de l’appareil d’Etat, en particulier des forces de l’ordre (armée, police), soutiens nombreux parmi la petite bourgeoisie laminée par le marché capitaliste.

F31) L’égoïsme des privilégiés face aux aspirations démocratiques du peuple

Patronat et couches privilégiées du capitalisme (rentiers...) hésitent durant tout le 19ème siècle et la première moitié du 20ème sur le système politique le plus favorable à leurs intérêts :

- domination totalitaire comme dans la Russie tsariste et les colonies

- régime autocratique policier en alliance avec les milieux issus de la féodalité (Autriche Hongrie, Empire ottoman...)

- institutions bonapartistes donnant l’essentiel des pouvoirs réels à un président dont le choix, l’équipe, les soutiens... dépendent de la classe dominante

- démocratie parlementaire apte à intégrer les masses populaires dans un "contrat politique national"

De 1871 à 1945, en fait, la grande bourgeoisie joue sur ces différents modes de domination en fonction de ses intérêts. Prenons l’exemple de l’Italie où la classe dominante a toujours hésité entre un mode de domination "démocratique" et un mode de domination autocratique. Le Statut fondamental de la Monarchie concédé le 4 mars 1848 pour le Piémont-Sardaigne puis repris comme constitution lors de la création du royaume d’Italie en 1861 (et jusqu’en 1946) stipule que l’exécutif est nommé par le souverain indépendamment du législatif et seulement dans la mesure où les citoyens sont « dignes de la magnanime concession royale ». Le Roi héréditaire est le chef suprême de l’État ; il exerce le pouvoir exécutif au travers des ministres. Il possède même le pouvoir décisif en matière législative puisqu’il convoque, dissout la chambre et a le pouvoir de valider les lois. De plus, le parlement est composé de deux chambres : d’une part le Sénat, nommé par le Roi et qui ne peut être dissous, d’autre part celle élective, la Camera dei Deputati, élue au scrutin uninominal de circonscription à deux tours. Le pouvoir judiciaire, également, « émane du Roi » qui nomme les juges.

Non seulement, ce "statuto" est profondément anti-démocratique mais la droite italienne ainsi que beaucoup de privilégiés le considèrent trop démocratique ( par exemple Sidney Sonnino, libéral conservateur, ministre des Finances et du Trésor puis président du Conseil). Dans ces conditions la façon dont l’Italie est entrée en guerre sur simple décision de l’exécutif se comprend.

A l’issue de la guerre, le Parti Socialiste emporte un tiers des suffrages et des députés. L’appel à une constituante surgit des profondeurs du pays, du Nord au Sud. Des courants progressistes apparaissent même parmi les républicains et les catholiques. Dans ces conditions, le patronat industriel et agricole décide de dénaturer les élections législatives suivantes en utilisant les fascistes : locaux de journaux dévastés, sièges de partis attaqués et détruits, militants de gauche battus, meetings complètement sabotés, nombreux électeurs progressistes intimidés, assesseurs des partis de gauche interdits d’entrée dans beaucoup de bureaux de vote.

Après une telle expérience, il était aussi simple pour les privilégiés italiens de supprimer les élections et donner le pouvoir politique à Mussolini.

6 avril 1924 Comment la droite italienne (fascistes et libéraux) gagne les élections

F 32) L’égoïsme des privilégiés face aux aspirations sociales des salariés

Durant tout le 19ème siècle, l’égoïsme infâme des patrons et actionnaires vis à vis de leurs salariés est connu. Ce même égoïsme les a toujours conduits à stigmatiser les impôts comme confiscatoires. Ainsi, avant 1914, droite et privilégiés mènent une propagande nationaliste et guerrière face à l’internationalisme de la gauche tout en refusant de payer des impôts permettant d’équiper l’armée. La guerre a pour eux une conséquence inattendue : l’Etat se trouve obligé de créer des impôts, par exemple en France l’impôt sur le revenu, la taxe sur les plus-values, l’impôt sur les sociétés.

Dans le même temps, le contexte économique et social de 1918 à 1922 n’est bon ni pour les chefs d’entreprise, ni pour les actionnaires. L’inflation mange les revenus des salariés. Elle détruit rapidement les avoirs de tous ceux qui ont placé de l’argent. Le commerce mondial s’effondre. Le grand patronat adopte alors une attitude extrêmement ferme face aux grèves dont la Semaine tragique argentine est un bon exemple : une milice paramilitaire patronale attaque des grévistes, fait quatre morts et trente blessés. Le cortège funèbre est attaqué au fusil sur le parcours puis dans l’enceinte même du cimetière occasionnant plusieurs morts de plus.

7 janvier 1919 Grève ouvrière et semaine tragique en Argentine

En Allemagne, Italie, Hongrie, Roumanie, Lituanie puis Portugal, Espagne... le fascisme n’est que la systématisation d’une telle attaque anti-ouvrière.

G) Composantes du fascisme

G 1) Le fascisme patronal

La montée du fascisme après 1918 s’explique surtout par la volonté du grand patronat d’utiliser ses bandes assassines face aux mouvements sociaux et démocratiques.

Je n’ai aucun doute sur ce point.

L’ascension d’Hitler et du parti nazi en Allemagne fournit l’exemple le plus éclairant :

Allemagne Pourquoi et comment le patronat a fondé le fascisme ?

Allemagne 1931 1932 Patronat, armée et droite marchent au nazisme

Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir (par William F. Wertz, Jr.)

Fascisme et grand capital (extraits de l’ouvrage magnifique de Daniel Guérin)

La participation du grand capital à l’effort de guerre nazi est tout aussi clair :

3 septembre 1939 Le cartel du pétrole et de la pharmacie IG Farben : Un exemple de grand patronat à l’origine de la Seconde guerre mondiale

Multinationale BMW : la famille Quandt rattrapée par son passé nazi

Le même lien entre fascisme et grand capital se retrouve en France de 1925 à 1944

Les 200 familles, le fascisme et la violence dans les années 1930

Le patronat français, allié de la Cagoule, organisation fasciste et terroriste

Mur de l’Atlantique, monument de collaboration patronale française

La collaboration de Renault avec le fascisme durant la seconde guerre mondiale

Non à la réhabilitation de Louis Renault condamné pour collaboration en 1945 (11 articles)

G 2) Le fascisme militaire

L’armée a eu un rôle décisif dans chaque cas d’installation du fascisme.

En Italie, la façon dont la police a laissé les fascistes occuper des mairies, terroriser les habitants, assassiner des militants de gauche, truquer les élections... dépasse l’entendement de quiconque croit au rôle républicain de ce corps.

12 octobre 1922 Assassinat de Giuseppe Valenti par les fascistes

Quant à l’armée italienne, son attitude dépasse aussi l’entendement de quiconque croit au rôle républicain de ce corps : en 1920, l’état-major envoie une « circulaire en général interprétée comme invite faite aux officiers d’adhérer au mouvement fasciste » (Pierre Milza et Serge Berstein, Le Fascisme italien) ; une autre circulaire offre les 4/5 de leur solde aux 50 000 officiers démobilisés qui intégreraient les faisceaux de Mussolini. Parmi les acteurs de la terreur blanche assassine qui s’abat sur la gauche italienne, la composante militaire est décisive par ses protections ainsi que par son entraînement apte aux affrontements physiques face aux ouvriers grévistes et aux militants socialistes.

En Allemagne, c’est l’armée qui charge Hitler de créer le parti fasciste après lui avoir payé son adhésion.

12 septembre 1919 : Hitler est chargé par l’armée de construire le futur parti nazi

C’est encore l’armée qui le pousse au putsch de 1923 ; plusieurs hauts gradés sont présents lors de la constitution du Front de Harzburg qui prépare l’arrivée des nazis au pouvoir ; c’est le maréchal Hindenbourg qui appelle Hitler à la chancellerie.

Dans plusieurs pays de la constellation fasciste européenne, c’est l’armée qui réalise un coup d’Etat.

Espagne 17 et 18 juillet 1936 L’armée, les riches, la droite, l’Eglise et les fascistes lancent un coup d’état contre la république

17 décembre 1926 Coup d’état fasciste en Lituanie

G 3) Un fascisme clérical et traditionaliste

Cette composante joue un rôle particulièrement important en Espagne, au Portugal, en Italie, en France dans le régime de Vichy, en Belgique, en Croatie, en Slovaquie, en Pologne, en Roumanie...

En Espagne, des courants cléricaux traditionalistes contribuent à la naissance du fascisme. Onesimo Redondo, fondateur des Juntas Castellanas de Actuación Hispánica vient de l’Action catholique et reste profondément intégriste au sein de la Phalange. En avril 1937, la Phalange et de la Comunión Tradicionalista Carlista (monarchistes intégristes) fusionnent dans la Falange española tradicionalista y de las JONS ; l’intégrisme catholique représente la force principale au sein de ce mouvement unifié comme globalement dans le franquisme.

G 4) Du capitalisme national au fascisme nationaliste

Il s’agit là d’une explication du fascisme ayant bénéficié de l’érudition d’un nombre important d’historiens. Ils mettent en avant surtout le fait que les pays caractéristiques (Italie, Allemagne, Autriche, Espagne, Portugal, Japon pour certains) n’avaient pas connu de révolution bourgeoise, connaissaient un retard dans leur déploiement capitaliste planétaire (colonies...).

Cette démarche s’appuie à mon avis sur des arguments recevables.

Il est évident par exemple que le nationalisme allemand comme espagnol puise fortement ses racines dans la guerre contre une révolution bourgeoise bonapartiste (Premier empire) et non l’inverse.

L’écrasement sanglant des tentatives de révolutions bourgeoises en Autriche, au Portugal, en Espagne... a évidemment maintenu la puissance des forces sociales héritées de la féodalité.

Il est vrai que le contexte autrichien (pangermanisme et christianisme pré-fasciste de 1890 à 1914) puis allemand de l’entre deux guerres (défaite de 1918, traité de Versailles, climat fascisant dans l’armée allemande dont il est caporal, crise de 1929...) a été favorable à une personnalité d’extrême droite comme Hitler. Des spécialistes comme Kershaw ou Bracher insistent sur cet aspect.

Dans l’exemple allemand, cette cause, même secondaire, peut être étayée par plusieurs caractéristiques de l’histoire et de la société :

-  L’importance des courants idéologiques insistant sur le devoir d’obéissance à l’Etat dès le 17ème siècle

-  Le nationalisme réactionnaire, romantique et parfois raciste de la première moitié du 19ème

-  L’industrialisation rapide de 1850 à 1914, juxtaposant une élite sociale réduite et une classe ouvrière nombreuse mal intégrée…

G 5) Fascisme populiste

Il es particulièrement fort dans les pays où la classe dominante a besoin d’une extrême droite prenant des coeurs et des suffrages au socialisme dans le mouvement ouvrier et populaire. Jusqu’à la prise de pouvoir, tant Mussolini qu’Hitler usent de tirades contre le capital international, conservent dans leur parti une mouvance favorable aux "petits" contre les "gros". Ce fascisme a besoin de la trahison de quelques personnalités venues du socialisme ou du communisme, grassement payées par les riches, pour crédibiliser son positionnement ni droite ni gauche (Mussolini, Doriot, Déat...)

G 6) Royalisme fasciste

Souvent caractérisé comme un "fascisme en gants blancs" favorable à des institutions monarchiques.

L’alliance entre royalisme et fascisme, entre beaucoup de nobles et les loques meurtrières fascistes se discerne dans tous les pays :

- en Italie, le système politique mis en place est comparé par Mussolini à celui d’une "chambre a coucher avec lits jumeaux" puisque le Duce et le roi cohabitent à la tête de l’Etat

- en Allemagne, deux fils de l’empereur Guillaume II sont présents à la réunion de Harzburg qui organise l’arrivée au pouvoir d’Hitler.

- en Autriche (prince de Stahremberg), en Belgique, en Espagne, en Roumanie, en Bulgarie, en France... et même en Grande Bretagne nous retrouvons cette proximité entre royautés, royalisme et fascisme.

- en Espagne, Roumanie, Grèce, France...

20 janvier 1936 Edouard VIII, roi fasciste, monte sur le trône du Royaume-Uni

Dans l’étude du fascisme européen entre 1922 et 1945, le poids politique des forces héritées de la féodalité ne doit pas être sous-estimé. Leur influence idéologique non plus car toute conception du monde (en particulier religieuse), se maintient longtemps après qu’ait disparu la société dans laquelle elle est née.

G 7) La petite bourgeoisie laminée économiquement se range fréquemment derrière le fascisme

En Italie et Allemagne, il est vrai que la crise succédant à 1918 puis la crise économique de 1929 à 1935 voient un nombre important d’artisans, commerçants, paysans, cadres, petits actionnaires (ayant besoin de cette rente pour vivre)... choisir le fascisme. Ils croient y trouver une force défendant en même temps l’initiative privée et les "petits" face aux "gros". Ils croient y trouver un pouvoir autoritaire, capable par exemple de stopper l’inflation galopante au début des années 1920. N’étant pas placé comme le prolétariat face aux capitalistes dans les rapports de production, la petite bourgeoisie est assez facilement touchée par la désignation de boucs émissaires : les grévistes, les étrangers, les homosexuels...

La France représente un cas particulier quant au rapport entre petite bourgeoisie et fascisme. Les ligues d’extrême droite des années 1930 ont recruté, en particulier en milieu paysan et parmi les actionnaires mais guère dans les zones de tradition républicaine, de gauche.

G 8) Un fascisme conjoncturel de droite classique

correspondant au glissement autoritaire de la droite traditionnelle ou au moins d’une aile dure de cette droite face aux poussées démocratiques et sociales. Son implication est évidente dans tous les cas, fréquents, d’accession du fascisme au pouvoir de façon "légale" : Italie, Allemagne, Portugal, France...

G 9) Quel a été le rôle des chefs dans l’ascension du fascisme ?

- la responsabilité personnelle des dirigeants a généré de nombreux ouvrages, en particulier pour Hitler, sa généalogie familiale, sa jeunesse difficile, sa relation aux femmes, sa sexualité tordue... Des psys et écrivains nord-américains comme Mailer s’appesantissent sur ces questions.

L’historiographie bon marché anglo-saxonne accorde souvent une place centrale au rôle des chefs fascistes, au point de sombrer parfois dans une bêtise incommensurable comme en prétendant expliquer le fascisme par le fait qu’Hitler aurait été monocouille.

La couille d’Hitler, les fripouilles et les andouilles

Les manuels scolaires d’histoire géographie pêchent souvent aussi en ce sens.

- S’il serait a-scientifique de refuser une réflexion sur les arguments concernant le poids du contexte familial dans la personnalité d’Hitler, il le serait tout autant de ne pas pointer à quel point il a été le jouet de forces qui ont cru pouvoir l’utiliser sans risque.

Dans le contexte de crise politique, sociale, économique des années 1918 à 1938, les classes possédantes ont intelligemment utilisé le symbole du Chef providentiel pour rassurer, gagner le soutien d’une partie significative de la petite bourgeoisie et des masses populaires.

En fait, les chefs furent le point faible du fascisme. L’égocentrisme maladif d’Hitler, le césarisme carnavalesque de Mussolini, l’ascétisme rural de Salazar, le besoin d’affichage de ses conquêtes féminines par Mosley, l’ambition contrariée de Van Tonningen... ont plus fragilisé le fascisme qu’ils ne l’ont servi.

H) Quels Etats et mouvements font partie de la constellation fasciste entre 1922 et 1945 ?

H1) Sur le concept de "constellation fasciste"

Il a été employé par plusieurs grands spécialistes du fascisme comme l’historien allemand Joachim Fest (catholique conservateur), l’historien US Robert Paxton (par exemple dans "La France sous Vichy"), l’historien français Yves Durand ("Histoire de la deuxième guerre mondiale") ; il est également utilisé dans des ouvrages comme "Fascismes d’hier et d’aujourd’hui" préfacé par Gilles Perrault. Le terme de constellation fasciste se rencontre aussi, dans d’autres ouvrages, pour décrire la diversité des fascismes dans un même pays, par exemple l’Italie ou la France.

Ce concept de " constellation fasciste" permet de recenser toutes les forces, pays par pays, qui ont soutenu, ont été financées, se sont réclamé de Mussolini, Hitler... avant 1939 puis ont plus ou moins participé à l’effort de guerre nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Il désigne globalement les formes diversifiées (nazis, cléricaux, royalistes, populistes...) d’un mouvement dont l’histoire présente suffisamment d’unité pour que nous puissions les intégrer dans le cadre d’une étude sur les fascismes.

Parmi les Etats, mériteraient une étude spécifique l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, l’Etat indépendant de Croatie, la Slovaquie, la Grèce, le régime de Vichy en France, la Lituanie, la Lettonie (1934-1944), la Norvège de Quisling, la Bulgarie (1934-1944).

Massacre de la grotte de Kletchka (fin juillet, début août 1941) par l’Etat fasciste catholique de Croatie

1er octobre 1940 Pétain, fasciste antisémite, durcit la législation antijuive

15 juillet 1927 : justice, police et fascistes autrichiens écrasent la gauche

Portugal : Contre un musée en l’honneur de SALAZAR !

H2) L’Autriche, bouillon de culture des fascismes

H3) L’Espagne franquiste

Le processus de développement du fascisme espagnol présente de fortes similitudes avec l’Italie et l’Allemagne. Face aux aspirations sociales et démocratiques des milieux populaires, les classes possédantes et conservatrices préparent un coup d’état puis assument une longue guerre avant d’imposer un régime ignoble.

14 avril 1931 : Proclamation de la République en Espagne

4 mars 1934 : Fondation de la Phalange fasciste espagnole (extrait du discours de Franco sur l’identité nationale)

16 février 1936 Le Frente Popular gagne les élections législatives en Espagne

Espagne 17 et 18 juillet 1936 L’armée, les riches, la droite, l’Eglise et les fascistes lancent un coup d’état contre la république

La Guerre D’Espagne est un condensé des affrontements idéologiques du XXème siècle

Les enfants volés du fascisme catholique espagnol (4 articles)

H4) Le Portugal de Salazar

H5) La Hongrie

H6) L’Autriche

H7) La Croatie

H8) La Slovaquie

H9) Mouvements fascistes en Europe de 1918 à 1945

Notons parmi les mouvements fascistes les plus importants et les plus caractéristiques :

- en Allemagne avant l’accession d’Hitler au pouvoir : le Mouvement de foi des chrétiens allemands,

- en Belgique le Verbond van Dietsche Nationaal Solidaristen (dirigeant Van Severen) fondé en 1931 ; le Vlams National Verbond ( Union nationaliste flamande) créé en 1933 par Staaf De Clercq ; DeVlag fondé en 1936 ; le mouvement rexiste de Léon Degrelle.

- en Bulgarie, la Garde orange, la Rodna Saschtita et ses Chemises noires défilant bras tendu, la Nationale Zadruga Fascisti, le Parti Ouvrier bulgare national-socialiste (20000 membres), le Mouvement national social

- au Danemark le Parti national-socialiste DNSAP

- en Estonie, le réseau militaro-fasciste Wabse

- en France, le Faisceau de Georges Valois et Marcel Bucard, la Cagoule, Solidarité française, les Croix de feu, le PSF (Marcel Déat), le PPF (Doriot), le Rassemblement National Populaire et ses 500 000 adhérents en 1941 (Laval), le Front paysan avec particulièrement les Chemises vertes de Henri Dorgères.

- en Hongrie, le MOVE et le Cercle des Hongrois en éveil, le Parti de la Volonté Nationale et ses chemises vertes, les Croix fléchées, le mouvement hungariste

- en Lettonie, les Croix du tonnerre

- en Lituanie, les Loups de fer et le Parti national chrétien-démocrate

- aux Pays-Bas, le NSB (Mouvement National Socialiste) d’Anton Mussert et ses WA (troupes d’assaut)

- en Roumanie, la Légion de l’archange Saint-Michel, la Garde de fer,

- en Slovaquie, la Garde de Hlinka

- en Ukraine, l’OUN (Organisation des Nationalistes Ukrainiens)

F10) Mouvements fascistes hors de l’Europe

- l’Ossewa Brandwag en Afrique du sud (400000 adhérents en 1940)

- l’AIB au Brésil

- le Front Chrétien aux Etats Unis

G) Responsabilités

G1) Fascisme et monde de l’entreprise

La principale force sociale ayant aidé au développement du fascisme, c’est, à mon avis, celle du patronat, des banques, des actionnaires. Dans quel but ? Maintenir le taux de profit face au progrès des syndicats et de leurs revendications, face au rôle grandissant des institutions politiques et à leurs impôts.

- le patronat a commencé à créer et soutenir des milices et organisations fascistes avant 1914 pour affronter le mouvement ouvrier, syndical et socialiste. Nous avons déjà cité l’exemple de l’Allemagne. Le même comportement se rencontre aussi par exemple aux Etats-Unis et en Russie.

- le patronat a mené une bataille systématique avant et après 1914 contre toute loi donnant à l’Etat les finances suffisantes (impôt sur le revenu...) pour développer les services publics (moyen d’égalité) et la protection sociale. Voici l’exemple de la France :

Le patronat français au coeur de la 3ème république (28 novembre 1910 1er août 1914)

- de 1920 à 1939, l’aide apportée par le grand patronat allemand et international a fait l’objet de travaux historiques indiscutables. Un seul exemple : l’énorme financement direct d’Hitler en 1931 pour qu’il puisse payer ses SS par le britannique Sir Henry Deterding, « l’homme le plus puissant du monde », magnat de l’industrie pétrolière internationale.

Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir (par William F. Wertz, Jr.)

- c’est le capital financier (banques) qui a le plus agi directement pour aider le fascisme, y compris le nazisme pendant la guerre. L’appui des banques françaises aux ligues fascistes est connu. Les sommes considérables apportées par la Banque d’Angleterre le sont aussi. Signalons deux cas moins célèbres :

Quand la Suède faisait crédit à l’Allemagne nazie

BUSH HITLER Deux noms souvent associés dans l’histoire du fascisme

- de 1925 à 1939, toutes les organisations fascistes et d’extrême droite française ont été financées par de grands patrons : les Jeunesses Patriotes (90000 membres) au salut fasciste et aux cris de Dictature ! Dictature ! financés par l’industriel Pierre Taittinger ; Solidarité française (180000 membres dont 60000 à Paris) financée en particulier par le grand patron de la parfumerie François Coty ; le Faisceau français et ses "jeunesses fascistes" financées par Eugène Mathon (grand patron du textile dans le Nord), Serge André (industriel du pétrole)... La Ligue des contribuables mène bataille pour la défense des entreprises sur le terrain économiquement libéral tout en se situant politiquement sur une orientation fascisante.

Les 200 familles, le fascisme et la violence dans les années 1930

G2) Etats autocratiques, royautés et nobles propriétaires fonciers

Plusieurs grands états européens d’avant 1914 vivent dans des institutions autoritaires autocratiques. Tel est le cas par exemple :

- de la Russie tsariste qui présente des aspects pré-fascistes ( l’autorité de l’imperator ne connaît pas de limite ; partis politiques et syndicats de salariés sont interdits avant la Révolution de 1905)

- de l’empire d’Autriche Hongrie dont les premières élections au suffrage universel datent seulement du 25 mai 1907

- de l’Allemagne dont le Parlement ne contrôle ni l’empereur ni son gouvernement, dont l’absolutisme militariste est seulement voilé par des aspects constitutionnels, dont une partie importante du patronat se vit comme de droit divin et absolu...

Après la chute de ces régimes en 1917 1918, l’essentiel de l’appareil d’état reste en place et appuie toute tentative d’écrasement des mouvements sociaux et démocratiques.

Au-delà de ces Etats autocratiques, il est évident que les royautés constituent partout des points d’appui pour des solutions politiques autoritaires ou dictatoriales. Alphonse XIII se vantera d’être « un phalangiste de la première heure » et soutiendra les franquistes politiquement et financièrement. Victor-Emmanuel III appellera Mussolini à la tête du gouvernement le 30 octobre 1922. François-Joseph, Nicolas II, Constantin I sont des réactionnaires sur toute la ligne durant tout leur règne. Dans les années 1930, les royautés roumaine, yougoslave et bulgare font partie de la nébuleuse fasciste européenne.

Même la royauté anglaise a privilégié la lutte contre le mouvement ouvrier et socialiste, quitte à appuyer les mouvements fascistes dont le nazisme.

En 1917, Mussolini était un agent des services secrets de Sa Majesté

20 janvier 1936 Edouard VIII, roi fasciste, monte sur le trône du Royaume-Uni

Le prince Philip (époux de la reine d’Angleterre Elisabeth II), ancien membre du parti nazi

Prince Bernhard de Hollande, du parti nazi à Bilderberg

Le statut constitutionnel des rois leur conférait un rôle décisif en cas de crise. C’était le cas par exemple en Belgique où le roi Léopold III, chef des armées put, signer seul, tout à fait légalement, la reddition complète de l’armée belge (bien que le gouvernement civil ait choisi l’exil) face aux armées nazies ouvrant ainsi la voie à l’invasion de la France et au désastre de Dunkerque. C’était le cas aussi au Danemark où Christian IX donne l’ordre à l’armée de ne pas opposer de résistance à l’invasion militaire nazie.

Les rois n’auraient pas bénéficié d’un tel poids politique s’il provenait seulement de leur statut légal. En fait, ils personnifient le poids politique et social considérable des nobles propriétaires fonciers européens jusqu’en 1944. Dans des zones rurales où la circulation monétaire et le salariat restent limités, la vie sociale continue à tourner autour d’eux (journaliers agricoles, petits emplois complémentaires...). Dès 1924, une grande partie de ce réseau, du Portugal à la Hongrie, de l’Aveyron (mon département français de naissance) au mezzogiorno italien... se réclame du fascisme et l’affirme publiquement.

Les cas les plus connus sont ceux :

- de l’Allemagne avec le rôle des junkers dans le développement de l’extrême droite avant 1914 puis du nazisme jusqu’à son accession au pouvoir

- de l’Espagne où quelques milliers de grands propriétaires assujettissent à la misère des millions de paysans avant d’exprimer leur haine des pauvres par les charniers de la guerre civile

Le milieu des officiers supérieurs, en partie lié au milieu des nobles propriétaires terriens conserve majoritairement une idéologie de caste supérieure d’où les sympathies fascisantes et fascistes de maréchaux et grands généraux partout en Europe, de la Roumanie à la France, de la Grèce à la Lituanie, de l’Allemagne à l’Italie

La CAGOULE, organisation fasciste française 6) son implantation et ses liens dans l’armée

G3) Le fascisme clérical

Ce concept a été construit dans les années 1920 par des opposants au fascisme italien puis développé par l’historiographie anglo-saxonne. Il me paraît efficient.

Il est évident que l’Eglise catholique de plusieurs pays peut être comptée dans la constellation fasciste et fascisante des années 1920 à 1944, au moins à certaines périodes.

11 février 1929 : la papauté signe les Accords du Latran avec le gouvernement fasciste de Mussolini

Les enfants volés du fascisme catholique espagnol (4 articles)

1 au 11 juillet 1940 : Cléricalisme et fascisme traditionaliste expriment leur soutien à Pétain, vomissent laïcité, République et syndicalisme, sont satisfaits de la situation créée par la victoire nazie

Massacre de la grotte de Kletchka (fin juillet, début août 1941) par l’Etat fasciste catholique de Croatie

La Vendée cléricale, monarchiste et pétainiste de 1940 à 1944

Armée, police, justice

L’armée a été un outil décisif pour l’instauration du fascisme dans tous les pays européens.

- Au Portugal, les coups d’état militaires du général Gomes da Costa (mai 1926) puis du général Joâo José Sinel de Cordes précèdent et préparent l’Estado Novo de Salazar.

- En Lituanie, un coup d’état militaire (décembre 1926) renverse le gouvernement de gauche et choisit Augustinas Voldemaras (chef du parti fasciste Les loups de fer) comme premier ministre.

- En Allemagne, c’est l’armée qui ordonne à son caporal Adolf Hitler d’infiltrer et développer l’extrême droite.

En Espagne, c’est l’armée qui réalise le coup d’état du 18 juillet 1936 pour renverser le gouvernement de Frente popular.

- en Italie, les Arditi (soldats d’élite) constituent l’ossature des fasci fascistes qui imposent leur violence à toute la société.

- L’holocauste pratiqué par le général Antonescu en Roumanie ne diffère pas significativement de la Shoah nazie...

La police et la justice ne se comportent pas différemment de l’armée dans la plupart des pays. Leur fonction de rouage commode du régime pétainiste en France en est un bon exemple.

G4) L’extrême droite

De 1919 à 1939, l’extrême droite s’est convertie au fascisme dans tous les pays. C’est le cas dans ceux où le fascisme s’est imposé comme en Allemagne (par exemple du DAP au NSDAP). La même évolution peut être notée dans des pays où le fascisme ne s’est pas imposé comme en Grande Bretagne (du Greater Britain Movement au British Union of Fascists ans National-Socialists).

Plusieurs matrices idéologiques d’extrême droite peuvent être évoquées même si elles ont participé ensemble aux succès fascistes :

- le fascisme populiste correspond généralement à la première période du mouvement, celle durant laquelle l’organisation veut gagner une audience en milieu ouvrier et populaire afin d’affaiblir les forces socialistes. Dans cet objectif, l’extrême droite utilise momentanément une phraséologie anticapitaliste qui cache ses liens réels avec les milieux d’affaire ( Italie, Allemagne, Belgique...).

- le fascisme nationaliste sécuritaire porté en particulier par les réseaux militaires et policiers qui donnent au fascisme les moyens d’un coup d’état.

- le royalisme représente une force importante dans la trajectoire idéologique de tous les mouvements d’extrême droite et fascistes européens entre 1919 et 1944. Ce phénomène est particulièrement net au Portugal, en Espagne, en Grèce, en Allemagne, en Autriche, en France... Parfois le royalisme fasciste constitue une force distincte du fascisme hitlérien comme en Roumanie.

- le rôle du traditionalisme clérical, souvent lié au royalisme, ne doit pas être sous-estimée. Léon Degrelle dirigeait les éditions catholiques Rex.

Sitographie :

http://wikirouge.net/Fascisme

http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoi...

http://www.ind-philippeville.be/ber...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message