Institutions : Macron recule pour mieux sauter

jeudi 9 août 2018.
 

A la suite des révélations de l’affaire Macron-Benalla, et face à la mobilisation de l’opposition parlementaire, aux premiers rangs de laquelle les député.e.s de la France insoumise, contre les tentatives des godillots de la majorité parlementaire d’étouffer toute enquête parlementaire, le Gouvernement a fini, la mort dans l’âme, par annoncer le report du projet de révision constitutionnelle, qui était alors examiné par l’Assemblée nationale.

Attention : report ne signifie pas abandon définitif ! Tout danger pour la République ne sera vraiment écarté que lorsque ce projet aura été définitivement abandonné. Car la logique à l’œuvre derrière cette révision est claire : renforcer la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul, le Président de la République, en rabaissant encore tous les organes légitimes de représentation du peuple détenteur de la souveraineté nationale, à commencer par le Parlement.

Réforme Macron des institutions : de quoi parle-t-on ?

Pour bien comprendre les termes du débat, avant d’en venir au fond, précisons que la réforme Macron, ce n’est pas un, mais trois textes à examiner par le Parlement. Et ces trois textes sont de nature juridique distincte.

Le premier texte est la révision constitutionnelle proprement dite : comme son nom l’indique, elle vise à réviser la Constitution. Pour être adopté, le texte doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale (où Macron a la majorité) et au Sénat (où la droite LR a une majorité forte, et où En Marche est archi-minoritaire). Puis, une fois voté dans les termes, le texte est normalement soumis à référendum ; mais Macron a la possibilité de ne pas le soumettre à référendum et de convoquer à la place le Congrès (réunion des députés et des sénateurs à Versailles), qui, dans ce cas, doit adopter le texte à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés. Autrement dit, le Sénat a clairement les moyens institutionnels de faire barrage à une telle révision constitutionnelle.

Le deuxième texte est une loi dite organique, c’est-à-dire d’application de la Constitution. C’est notamment dans ce texte que figure la fameuse baisse du nombre de parlementaires (1). Là, il y a une subtilité : le Sénat peut faire barrage au volet de la loi organique qui le concerne directement (baisse du nombre de sénateurs, changement de date des élections sénatoriales), mais pas à l’ensemble du texte, et notamment pas à la baisse du nombre de députés et à la réforme de la carte électorale aux législatives.

Le troisième texte est une loi ordinaire ; c’est là où il est prévu de faire élire 15% des députés à la proportionnelle. Là, il suffit d’une majorité simple à l’Assemblée nationale (ce que Macron a) pour faire passer le texte.

On le voit : une part importante de la réforme Macron des institutions nécessite le soutien du Sénat pour aboutir. Dans un premier temps plutôt conciliante à l’égard de Macron, la majorité LR du Sénat semble très agacée ces jours-ci par les non-réponses des ministres et des conseillers de l’Elysée devant la commission d’enquête sur l’affaire Macron-Benalla. Autant dire que la destinée de la réforme des institutions tiendra très largement au contexte politique national.

Les arrière-pensées de Macron : la monarchie présidentielle contre la République

Comme cela a été amplement dénoncé par les député.e.s de la France insoumise, l’objectif premier de la réforme Macron des institutions est de rabaisser le Parlement, déjà très faible sous la Ve République, au profit du seul Président de la République.

Ce serait une lourde erreur politique de considérer que le clivage entre présidentialisme et régime parlementaire relève du débat « prise de tête » de colloque entre universitaires savants. Au contraire ! L’idée selon laquelle le pouvoir doit s’incarner non dans une personne seule (ce qui est de nature monarchique), mais dans une assemblée élue, donc un Parlement, dont les membres délibèrent collectivement, est historiquement au cœur du combat républicain pour l’émancipation du peuple.

L’opposition entre régime parlementaire et pouvoir personnel a marqué toute l’histoire institutionnelle française depuis 1789. D’ailleurs, elle est même à l’origine du clivage entre la gauche et la droite. En 1789, lors des débats à l’Assemblée constituante, pour faciliter le décompte des voix, les partisans d’un droit de veto absolu du roi sur toute loi votée par les députés se sont rangés à droite de la salle, tandis que les élus favorables à un système politique constitutionnel, donc sans droit de veto absolu du roi, se sont rangés à gauche. Les notions de « gauche » et de « droite » viennent de là.

Il ne faut donc pas se tromper sur la logique à l’œuvre derrière la volonté de Macron de représidentialiser le régime au détriment du Parlement : c’est tout simplement une revanche des monarchistes (sauf qu’il s’agit en l’occurrence d’une monarchie « présidentielle », et non « royale ») qui n’ont jamais accepté la Révolution française et, au fond, la forme républicaine de gouvernement.

La réduction des droits du Parlement

Aujourd’hui, près de 90% des lois adoptées en France sont d’initiative gouvernementale, c’est-à-dire, dans les faits, d’initiative présidentielle, et seulement 10% sont d’initiative parlementaire, alors que le Parlement est constitutionnellement le pouvoir « législatif ». En réalité, le seul véritable outil à disposition des parlementaires est le droit d’amendement, c’est-à-dire celui de proposer des modifications aux textes législatifs en discussion. Déjà très fortement restreint aujourd’hui, notamment en matière financière, le droit d’amendement des parlementaires serait quasiment menacé de disparition si la révision constitutionnelle. Il est en effet prévu d’interdire l’examen tout amendement n’ayant pas de « lien direct » avec le texte en discussion. Cette notion de « lien direct » est très dangereuse : imaginons, par exemple, que dans un projet de loi sur l’emploi, des députés d’opposition déposent des amendements avec des mesures face au chômage totalement différentes de celles qui sont voulues par le Gouvernement ; une majorité de godillots aux ordres du pouvoir pourra toujours dire que ces amendements n’ont pas de « lien direct » avec le texte du Gouvernement,

puisqu’il aborde la problématique sous un angle totalement différent. Précisons que cette interdiction d’amendements n’ayant pas de lien direct avec le texte ne s’appliquerait évidemment qu’aux parlementaires, et pas au Gouvernement ; récemment, lors d’un débat au Sénat, Mme Pénicaud, ministre du travail, a déposé sur ordre de Macron un amendement n’ayant aucun lien direct, voire indirect, avec le projet de loi sans que cela paraisse manifestement déranger le gouvernement.

L’absurde idée de la possibilité de réponse du Président de la République devant le Congrès

Aujourd’hui, le Président de la République a la possibilité de convoquer les députés et sénateurs en Congrès à Versailles, pour leur délivrer la « bonne parole », et ces derniers peuvent ensuite débattre, mais une fois le président parti. Ce fut le cas début juillet ; les député.e.s LFI ont ainsi argué de cette incongruité pour ne pas répondre à la convocation du monarque. Simplement, croyant les piéger, Macron a indiqué que, à l’issue de la révision constitutionnelle, le Président de la République pourrait assister au débat et répondre aux parlementaires. En apparence, ça semble répondre aux critiques légitimes contre le système actuel. En réalité, ça aboutirait à un système encore plus absurde. Du point de vue de la Constitution, le Gouvernement est responsable devant le Parlement ; il est donc logique que les parlementaires puissent l’interpeller, voire mettre sa responsabilité en cause en votant une motion de censure. Mais le Président de la République n’est absolument pas responsable devant le Parlement (2). Donc, quel sens cela peut-il avoir pour un parlementaire d’interpeller le Président de la République, sachant que celui-ci n’a juridiquement et politiquement aucun compte à lui rendre ? La réponse du Président de la République à une question gênante d’un parlementaire risque fort d’être : « Cause toujours » ou « qu’ils viennent me chercher » pour parler comme Macron. Ce qui aggravera encore les dérives monarchiques du régime.

Faire barrage et proposer

Pour l’instant, le danger que représente la réforme Macron des institutions semble provisoirement non pas écarté, mais éloigné. L’examen de la révision constitutionnelle a été reporté à l’Assemblée nationale et le Sénat a fait savoir qu’il n’était pas question d’examiner ce texte avant la fin des travaux de la commission d’enquête sur l’affaire Macron-Benalla, c’est-à-dire pas avant six mois. C’est toujours ça de pris. Et il sera de toute façon difficile à Macron de faire adopter sa réforme dans les termes qu’il souhaite, sachant que le Sénat, dont le soutien est indispensable, ne veut pas de certaines mesures. Mais la vigilance reste de mise. Surtout, la bataille est plus ample, idéologique :aucune politique de progrès social, écologique et humain ne pourra être menée dans le cadre de la monarchie présidentielle actuelle, à plus forte raison aggravée par Macron. Seule une refondation républicaine des institutions politiques françaises, via la convocation d’une Assemblée constituante, permettra au peuple d’abolir la monarchie présidentielle et de reconquérir sa souveraineté politique, qui est l’autre nom du mot « démocratie ».

Mathieu Dupas

1 Le caractère profondément démagogique et dangereux de la baisse du nombre de parlementaires a déjà fait l’objet d’un précédent dossier dans L’Heure du peuple, par le même auteur

2 Attention à ne pas prendre pour argent comptant les âneries proférées par Macron : quand il dit que, en tant que Président de la République, il est « responsable devant les Français », c’est une contrevérité totale. Etre responsable devant quelqu’un, cela signifie rendre des comptes devant lui et en accepter la sanction. Par exemple, le Gouvernement est bien responsable devant le Parlement, qui peut le révoquer en votant une motion de censure. A l’inverse, les Français n’ont aucun moyen de sanctionner le Président de la République pendant son mandat (certes, ils peuvent toujours ne pas le réélire, mais c’est seulement à l’issue du mandat, et le Président de la République n’est de toute façon pas obligé de se représenter). On pourra à la limite dire du Président de la République qu’il est responsable devant les Français le jour où ceux-ci pourront le révoquer en cours de mandat, par exemple via un référendum révocatoire.


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