CAP22, mode d’emploi pour la casse de l’État

lundi 5 novembre 2018.
 

Plan santé, plan pauvreté, réduction du nombre d’enseignants, etc., la rentrée du gouvernement Philippe a été une succession d’annonces, a priori sans lien direct les unes avec les autres. Pourtant, le rapport du comité Action publique 2022 (CAP22) sorti dans le courant de l’été en annonçait une bonne partie et permet de comprendre la philosophie et les objectifs poursuivis par ces « réformes structurelles ».

Le rapport « Action publique 2022 », produit par le comité du même nom désigné par Édouard Philippe à l’automne 2017, a été diffusé par « Solidaires » en plein cœur de l’été. Le gouvernement lui-même avait choisi de ne pas le rendre public, laissant croire à certains commentateurs que ce rapport serait « enterré ». Au vu du contenu des propositions et des premières annonces gouvernementales en cette rentrée, cela semble être en fait l’exact contraire. Le rapport Action publique 2022 apparaît plutôt comme la feuille de route pour le gouvernement dans les mois à venir, pour organiser le démantèlement en règle des services publics.

L’introduction de ce rapport donne en quelques pages un condensé des éléments de langage et de la philosophie qui oriente l’ensemble des propositions. Le comité, qui s’était vu confier la mission d’émettre des recommandations pour « moderniser » l’action publique, dit avoir « embrassé cette tâche dans un esprit ouvert, sans a priori, confrontant les points de vue de membres aux origines et expériences diverses ». Les membres du comité présidé par Frédéric Mion (directeur de Sciences Po), Véronique Bédague-Hamilius (PDG de Nexity) et Ross McInnes (président du conseil d’administration de Safran) sont pourtant majoritairement issus de la haute fonction publique et de grandes entreprises privées et témoignent en fait d’origines et d’opinions extrêmement similaires.

Le rapport plaide pour un « renouvellement du contrat social entre l’administration et les agents publics dans un dialogue social rénové », cherchant ainsi à convaincre que les agents publics eux-mêmes sont les premiers demandeurs des recommandations qui sont ensuite développées. Les « managers » devraient devenir plus « autonomes », la « logique de défiance laisserait place au principe de confiance », le service public évoluerait pour « placer l’usager au centre ». L’application de ces principes devrait aboutir à une réduction de la dépense publique de 30 milliards d’euros dont le bien-fondé repose sur le seul argument que « la dépense publique en France est très nettement supérieure à celle de ses voisins » ou que « la dépense publique de santé est supérieure de 1,3 point de PIB par rapport à la moyenne européenne ».

Cette terminologie managériale se concrétise dans les 22 propositions qui abordent la santé, l’éducation, la justice, la protection sociale... Dans la lignée du New public management, l’État se trouve analysé comme producteur de services en concurrence sur un marché avec les prestataires privés et devrait, lorsqu’il ne peut prouver son efficacité et sa rentabilité, se retirer de ce secteur. Le rapport préconise ainsi de ne conserver le secteur public que dans les secteurs où il a une « valeur ajoutée ». Face à la concurrence privée, l’audiovisuel public devrait ainsi se « resserrer » sur ses « missions essentielles » que sont « le soutien à la création et l’information », Pôle Emploi devrait se concentrer sur ses « missions régaliennes » (l’indemnisation et le contrôle) en confiant aux opérateurs privés les autres missions de formation ou d’accompagnement et plus largement, la proposition 20 recommande de « mettre un terme à toutes les interventions publiques dont l’efficacité n’est pas démontrée ».

L’administration d’État est appelée à supprimer de nombreuses missions. Pour les administrations centrales, le rapport identifie 5 ministères clés où « la grande majorité des missions pourrait être confiée à des opérateurs », notamment les ministères de la Culture, des Sports ou de la Transition énergétique. Pour les administrations déconcentrées, il est préconisé de supprimer toutes les missions sortant du champ régalien, au prétexte que les collectivités les exerceraient déjà, et dégager ainsi 1 milliard d’économies. Pourtant, les collectivités sont elles-mêmes contraintes budgétairement et, sans compensation, devraient rogner sur leurs autres missions pour investir les champs laissés vacants par l’État.

En analysant le fonctionnement de l’État comme celui d’une entreprise, les difficultés rencontrées par certains services publics ne sont pas analysées sous l’angle du manque de moyens qui leur sont consacrés pour mener à bien leur mission mais sous l’angle de leur mauvaise organisation. Corollaire de cette philosophie, le rapport préconise une culture de l’évaluation permanente qui se concrétise par un recours accru au contrat, avec des « objectifs » et des « indicateurs » à respecter, dans une logique de « responsabilisation » des établissements et agents publics. Il s’agit ainsi de « piloter les universités et tous les opérateurs de l’enseignement supérieur par le contrat », de « conditionner une partie des moyens alloués aux hôpitaux aux résultats de satisfaction des usagers » et de « mettre en place l’évaluation des établissements scolaires pour les responsabiliser ». Cette évaluation, qui conditionne in fine l’attribution des dotations, pénalise en fait les établissements et zones géographiques déjà en difficulté, en dépit du principe d’égalité d’accès aux services publics.

L’éducation nationale fait l’objet de recommandations et les professeurs sont particulièrement ciblés. L’objectif – repris par Jean-Michel Blanquer lors de l’annonce de la suppression de 1600 postes d’enseignants à la rentrée prochaine – est d’augmenter le temps d’enseignement des enseignants du secondaire. Le rapport va plus loin en proposant de « créer un nouveau corps d’enseignants qui pourrait se substituer progressivement à celui de professeur certifié », avec « un temps d’enseignement supérieur mais une rémunération également supérieure ». Cette réorganisation du temps de travail couplée à une utilisation plus importante du numérique qui « améliorerait la qualité de l’ enseignement » devrait, selon le comité, permettre de progresser dans les classements internationaux en matière d’éducation.

Dans le champ de la protection sociale, le comité invite à « simplifier » le système d’allocations sociales en regroupant toutes les allocations existantes dans une « allocation sociale unique », en s’appropriant au passage le concept de revenu universel dans sa version la plus libérale, avec une allocation bien en-dessous du seuil de pauvreté et qui ne prend plus en compte la diversité des situations. Sans surprise, le rapport appelle également à poursuivre la réforme des allocations familiales pour en renforcer la conditionnalité.

Pour accompagner cette libéralisation sauvage des services publics, le statut de la fonction publique est brutalement remis en cause, afin « d’offrir davantage d’agilité et de souplesse aux employeurs publics ». Le rapport invite à inverser la logique qui prévaut actuellement d’accès à la fonction publique par concours pour faire du contrat de droit privé la « voie normale d’accès à certaines fonctions du service public » (en précisant d’ailleurs que « il n’y a pas de spécificité telle du secteur public qui nécessiterait de créer un autre type de contrat à côté du statut »). Après l’inversion de la hiérarchie des normes déjà mise en place dans le secteur privé, le comité souhaite « donner la possibilité au management de négocier des accords dérogatoires au cadre de la fonction publique, sur l’ensemble des points du statut (rémunération, temps de travail, mobilité...) ».

Alors que le comité passe au peigne fin tous les champs de l’action publique, le rôle de l’État face à l’urgence climatique est complètement absent. Le rapport de 150 pages mentionne une unique fois la transition énergétique, sous l’angle économique en appelant à « aider les collectivités territoriales à s’assurer que leurs projets de soutien aux énergies renouvelables sont techniquement réalistes et rentables. » La rentabilité plutôt que la durabilité, les économies budgétaires sur le dos de l’égalité, le marché plutôt que la solidarité : le programme est sans ambiguïté, la réponse citoyenne devrait l’être également.

Louise Rouan


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