Vatican – Abus sexuels : une Église irréformable

mercredi 13 mars 2019.
 

Les grandes institutions ne s’effondrent pas subitement. Leur déclin et leur décadence durent des décennies, voire des siècles. Les exemples de puissances disparues, autrefois grandioses et jugées immuables, sont très nombreux dans l’histoire, de l’Empire romain aux samouraïs, en passant par les cités-États européennes au Moyen Âge.

L’Église catholique est une grande institution qui subit un déclin accéléré. Elle est sapée de l’extérieur par la modernité : les droits de la personne, les valeurs progressistes et le refus par beaucoup d’accepter les leçons morales d’hommes célibataires qui sont mal placés pour en donner. Elle est sapée de l’intérieur par la criminalité, la lâcheté et l’incapacité à reconnaître la crise qu’elle traverse. Le pape a convoqué les cardinaux et les évêques de haut rang à Rome [du 21 au 24 février] afin de tenter, à nouveau, de maîtriser cette crise, c’est-à-dire les agressions sexuelles d’ecclésiastiques pédophiles. Du Chili à l’Irlande, mais aussi aux États-Unis et dans une bonne partie des pays développés, la révélation des actes de pédophilie commis par des prêtres et des évêques est devenue un tsunami qui a brisé l’Église et submergé le Vatican.

Quelques jours avant la conférence, sûrement pour montrer qu’il ne prenait pas le sujet à la légère, le pape a défroqué le cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington. Tout semble indiquer qu’il était un personnage raffiné et chevronné qui tirait les ficelles au Vatican, mais, selon des informations fiables parues dans la presse américaine, il était aussi un prédateur sexuel. À l’époque contemporaine, ce serait la première fois qu’un cardinal est défroqué, ce qui revient à une expulsion de l’Église.

L’objectif de la conférence organisée à Rome était de faire en sorte que les enfants ne subissent pas d’agressions sexuelles et aussi de savoir que faire des coupables une fois qu’ils sont connus. Mais la communauté catholique compte de nombreuses variations culturelles dans le monde, et la conférence était quasi exclusivement composée d’hommes âgés ayant fait vœu de chasteté, c’est pourquoi les avancées ne pouvaient être autres que modestes et obtenues à l’arraché, même pour un homme aussi sincère que le pape.

Certains hauts responsables catholiques semblent penser que l’épidémie de pédophilie est un phénomène occidental, uniquement dû à des homosexuels ayant infiltré la prêtrise. D’autres pensent que s’il y a un problème il est spirituel et non criminel. En d’autres termes, les prêtres pédophiles commettent un péché et non un crime. Les prêtres coupables de maltraitance sont peut-être des pécheurs, mais la question n’est pas là, car, aux yeux de tous et de la loi, ce sont des criminels. Si la hiérarchie mondiale, notamment la bureaucratie catholique de Rome, ne peut l’admettre, ces hauts responsables ne sont pas seulement des imbéciles. Ils sont aussi complices d’infractions pénales.

Autant dire qu’aujourd’hui un gouffre sépare l’Église catholique d’une part grandissante de ses fidèles. Il est trop tôt pour dire si la réunion de la semaine dernière est un succès, même si sa portée devait rester limitée. Une chose est sûre, elle constitue en un sens un immense simulacre : d’entrée de jeu, il n’était ni question de s’attaquer au cœur du problème ni de rechercher une éventuelle solution.

L’Église catholique est obsédée par l’activité sexuelle, qu’il s’agisse de la réglementer, de la limiter ou de la dénoncer. Mais elle est aussi dans le déni à propos de la sexualité. C’est par excellence l’activité qui est interdite au clergé. Or, en empêchant les prêtres d’avoir des relations sexuelles normales, l’Église laisse la porte ouverte à des relations anormales.

Dès le pontificat de Jean XXIII, au début des années 1960, la possibilité d’autoriser les prêtres à se marier a été débattue au sein de l’Église. Plus récemment, des papes comme Jean-Paul II ont mis fin à cette discussion et sont devenus encore plus doctrinaires dans leur conception de la sexualité. Ce n’est peut-être pas un hasard si bon nombre des cas de sévices sexuels commis par des prêtres ont eu lieu dans les années 1980, période où Jean-Paul II était au faîte de sa popularité et de son charisme, se sentant investi d’une mission pour changer le monde.

Jean-Paul II était un pape autoritaire, attaché à rétablir la mainmise de Rome sur ce qui était devenu à ses yeux une hiérarchie dévoyée, ayant cédé aux sirènes de la modernité. La souffrance d’enfants ne semble pas avoir figuré parmi les priorités de sa politique. Résultat, ses successeurs, Benoît XVI et François, ont payé les pots cassés.

Le jésuite argentin est un homme bon et humble, mais il ne possède pas l’envergure suffisante pour réformer l’Église. Peut-être une telle réforme est-elle impossible. Cette institution est l’une des plus anciennes du monde, et sa plus grande réussite a été de survivre, presque inchangée, pendant deux mille ans. De fait, l’une des bizarreries de l’Église est la foi inébranlable en sa propre permanence, alors même qu’elle prêche la doctrine selon laquelle seul Dieu survit.

Un jour, peut-être, son instinct de survie la persuadera de se réformer, mais ce n’est pas demain la veille. Les changements nécessaires pour surmonter cette crise – permettre aux prêtres de vivre une vie normale, cesser d’être obsédée par la vie sexuelle des gens et mettre fin à la culture de la conspiration, du secret et de l’impunité qui règne au Vatican – supposent une telle mutation que le pape et peut-être ses successeurs immédiats ne les mettront pas en œuvre. Chaque pape est prisonnier de la grande institution qu’il dirige, et François ne fait pas exception à la règle.

Vincent Boland


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