France-Algérie : le poids de la colonisation

jeudi 13 juillet 2017.
 

Faut-il parler de repentance ou de reconnaissance de responsabilité politique ?

L’histoire de l’Algérie contemporaine n’a jamais été autant étudiée. Depuis Charles-André Julien, trois générations d’historiens se sont succédé, des thèses de haut niveau ont été réalisées, d’autres sont en cours. Principalement Algériens et Français, des chercheurs sont aussi à l’oeuvre dans le monde entier. Récemment, un colloque international s’est tenu à Lyon les 20, 21 et 22 juin 2006 à l’École normale supérieure (lettres et sciences humaines) et une journée d’études a été organisée à Narbonne le 19 avril 2007 par l’université de Perpignan... On ne peut que s’en réjouir, et approuver nos collègues (1) qui ont dit leur foi dans la recherche historique : les historiens doivent d’abord produire, refuser les injonctions mémorielles, tordre leur cou aux simplismes. La pétition contre la loi du 23 février 2005 - qui enjoignait d’enseigner les aspects positifs de la colonisation - a rencontré un grand succès : comme enseignants, si l’on nous avait imposé d’enseigner les aspects négatifs de la colonisation, nous nous y serions pareillement opposés - le positif et le négatif ne font pas partie des problématiques de recherche. S’il faut donc continuer à écrire l’histoire, le travail réalisé permet d’y voir suffisamment clair pour que le citoyen puisse s’exprimer. Comme l’a montré Pierre Vidal-Naquet, l’historien est « dans la cité », il doit redresser le tir quand on dit n’importe quoi dans l’espace public.

Sur le sujet controversé de la « repentance », nous pensons que les historiens de France devraient rédiger une déclaration commune dans laquelle ils soutiendraient le principe d’une reconnaissance de responsabilités de la puissance publique française dans les traumatismes qu’a entraînés la colonisation ; cela sans faire l’objet d’une loi qui établisse des responsabilités pénales, comme la loi Taubira qui a entraîné l’inconcevable plainte contre l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau. Elle concernerait au premier chef les centaines de milliers d’Algériens massacrés, dépossédés de leurs terres et clochardisés en masse, discriminés par le refus de la citoyenneté française et par le Code de l’indigénat, et sous-éduqués, au déni des lois Ferry. Mais elle devrait aussi englober les Européens et les juifs dérie : ces « créoles » agents du système colonial étaient aussi voués à en être les fusibles - et ils le furent in fine dès lors que le système colonial fut hors d’usage. Leur souffrance, si elle ne fut pas comparable à celle des Algériens, n’est pas mesurable et reste digne de reconnaissance.

Bien entendu, il ne saurait être question de « repentance », terme catholique repris par Nicolas Sarkozy comme par Abdelaziz Bouteflika parce qu’il est dans l’onde de choc médiatique. De même, des « excuses officielles » nous paraîtraient dérisoires. La reconnaissance officielle de responsabilité politique pourrait être unilatérale : ce sont les Français qui ont envahi l’Algérie, pas l’inverse. Pour autant, il serait sain que, du côté algérien, on s’attelle aussi à un réexamen de l’histoire, qu’on rompe avec la langue de bois nationaliste des manuels d’histoire, avec la victimisation qui campe sur le chiffre mensonger du million et demi de victimes algériennes, et qui assimile la colonisation à un Auschwitz permanent. À quoi bon cantonner les Algériens, qui furent capables de prendre en main leur destin, au seul statut de victimes ?

Le président Bouteflika a réitéré sa demande d’« excuses officielles », ce qui n’a pas empêché sa rencontre avec Sarkozy. Les deux présidents ont-ils trouvé des terrains d’entente, sur le placement rentier des hydrocarbures ou la solution au blocage des visas ? La colonisation pèse encore lourd mais elle n’est pas seule responsable des traumatismes actuels induits par le gâchis du capitalisme rentier postindustriel supranational : la « crise des banlieues » de 2005 ne fut pas une crise coloniale ; et, en Algérie, c’est la démocratie truquée, sur fond de chômage de masse, qui entretient le désespoir. Cessons de polariser le débat sur le seul passé, d’étouffer les problèmes du présent et de réchauffer de vieilles haines, à l’opposé des consternants propos du président français tenus à Dakar le 26 juillet dernier. On l’aura compris : la focalisation sur le mémoriel fait obstacle à l’analyse et à la solution des angoisses vécues au présent.

(1) Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Benjamin Stora dans Libération du 13 août 2007 ; Benjamin Stora


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