Poèmes de résistance et d’espérance 4 Couleur de colère (Serge Reggiani)

jeudi 2 mai 2013.
 

- 1 J’écris ton nom (Jean Cayrol)
- 2 Je trahirai demain (Marianne Cohn)
- 3 L’évadé (Boris Vian)
- 3 Couleur de colère (Serge Reggiani)

4) COULEUR DE COLÈRE (Serge Reggiani)

J’ai jamais rien dit, jamais bravé la moindre loi

Pas le plus petit carreau brisé le moindre éclat de voix

J’ai vécu peinard dans mon pinard et mes pantoufles

Ce succédané de liberté où l’on étouffe

J’ai fermé ma gueule et ma fenêtre et mes idées

J’ai été le seul à me connaître, à me voir me rider

Mais je n’en peux plus de m’être tu dans ce vacarme

Dans la fausse paix du monde vrai des marchands d’armes

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Et c’est moi, moi le lâche

Et c’est moi, qui me fâche

Et c’est moi qui m’arrache et qui vous secoue

Moi l’intrus, l’anonyme

Le cocu, la victime

Je ne veux plus tendre l’autre joue

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Bouge, mon pauvre coeur usé d’avoir battu pour rien

Les années solitaires, les années sans lumière, c’est loin

Rouge, le ciel est rouge et nous promet de beaux matins

L’horizon est couleur de colère...

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Qu’est-ce que je foutais dans mon silence et dans ma peur

Enterré vivant, tenant autant de place qu’une erreur

Qu’est-ce que je foutais, moi toujours prêt dans le tumulte

A courber le dos, à faire le beau sous les insultes

II en est bien sur de plus malins et de plus forts

Des briseurs de sceptre, des païens qui traquent le veau d’or

Prêts à tout casser pour renverser les dictatures

Et les remplacer souvent par d’autres dictatures

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Mais c’est moi, moi le lâche

Mais c’est moi, qui me fâche

Et c’est moi qui m’arrache et qui vous secoue

Moi l’intrus, l’anonyme

Le cocu, la victime

Je ne veux plus

Tendre l’autre joue

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Bouge, ma pauvre vie laissée pour compte si longtemps

Et si c’est éphémère, ne te prive pas d’air pour autant

Rouge, le ciel est rouge et nous promet de beaux printemps

L’avenir est couleur de colère !

De colère !

De colère !

De colère !

C. Lemesle - Candy

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3) L’évadé (Boris Vian)

Pour accéder à ce poème, cliquer sur le titre 3 ci-dessus.

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2) Je trahirai demain (Marianne Cohn)

Je trahirai demain pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,

Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.

Moi je sais.

Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.

Vous avez aux pieds des chaussures

Avec des clous.

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Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

Demain.

Il me faut la nuit pour me résoudre,

Il ne me faut pas moins d’une nuit

Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

Pour renier mes amis,

Pour abjurer le pain et le vin,

Pour trahir la vie,

Pour mourir.

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Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

La lime est sous le carreau,

La lime n’est pas pour le barreau,

La lime n’est pas pour le bourreau,

La lime est pour mon poignet.

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Aujourd’hui je n’ai rien à dire,

Je trahirai demain.

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Marianne Cohn a fui le IIIème Reich avec ses parents. Réfugiés en Espagne, la guerre civile les oblige à l’exil à nouveau, vers la France cette fois. Les lois antisémites de 1940 la poussent dans un refuge à Moissac. Elle va alors militer et fait passer des enfants juifs en Suisse. Fin mai 44, elle prend elle-même la tête d’un convoi de 28 enfants. Ils seront arrêtés à Annemasse, juste avant la frontière. Son refus d’abandonner les petits la conduira dans les prisons de la Gestapo. On retrouvera son corps mutilé à la Libération.

Elle n’avait pas parlé. Elle avait 22 ans...


1) J’écris ton nom (Jean Cayrol)

Au nom du mort qui fut sans nom

Au nom des portes verrouillées

Au nom de l’arbre qui répond

Au nom des plaies au nom des prés mouillés

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Au nom du ciel en feu de nos remords

Au nom d’un père qui n’aura plus son fils

Au nom du livre où le sage s’endort

Au nom de tous les fruits qui mûrissent

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Au nom de l’ennemi au nom de vrai combat

Où l’oiseau avait fait son nid

Au nom du grand retour de flamme et de soldats

Au nom des feuilles dans le puits

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Au nom des justices sommaires

Au nom de la paix si faible et dans nos bras

Au nom des nuits vivantes d’une mère

Au nom d’un peuple dont s’effacent les pas

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Au nom de tous les noms qui n’ont plus de renom

Au nom des lois remuantes au nom des Voix

Qui disent oui qui disent non

Au nom des hommes aux yeux de proie

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Amour je te livre aux premières fureurs de la Joie.

(Jean Cayrol)

Jean Cayrol est né le 6 juin 1911 à Bordeaux. Il se consacre très tôt à l’écriture et fonde à l’âge de 16 ans une revue littéraire. Après son échec au doctorat en droit il choisit : il sera poète, romancier, essayiste et éditeur français.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans la Résistance (réseau C.N.D. Castille du colonel Rémy). Arrêté en 1942 et déporté N.N. (Nacht und Nebel) au camp de concentration de Mauthausen, il exprimera cette expérience dans ses Poèmes de la nuit et du brouillard.

Il participe, comme scénariste au film d’Alain Resnais : Nuit et Brouillard, dont il écrira le texte lu par Michel Bouquet.


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