Cybèle, grande déesse antique

dimanche 26 février 2023.
 

Cybèle représente le meilleur exemple des Grandes déesses dont le rôle religieux fut éminent de l’Inde au monde celtique en passant par le Proche-Orient et les rivages de la Méditerranée durant la fin de la Préhistoire et l’Antiquité.

Dieu le Père fut Déesse Mère durant des millénaires

1) Mère primordiale héritée de mythes plus anciens

Le culte de Cybèle rappelle des pratiques religieuses diverses de la préhistoire, de la protohistoire, de l’Antiquité... :

- culte des monts

Le mont Dindymon (à Pessinonte en Phrygie) constitue le coeur de cette religion. Ce fait doit être relié au rôle central des monts dans les mythes ancestraux (monts Tai, Song, Huang Shan, et Heng, Machu Picchu, Olympe, Ararat, Kailash, Fuji, Uluru, Sinaï, Saint Michel, Palatin, Varallo Sesia, Orta, Varese, Sacer, mont de la femme araignée pour les Navajos...). Les célébrations religieuses avaient lieu le plus souvent au sommet d’un mont.

Lorsque Cybèle prend la forme d’un rocher, elle est vénérée sous le nom d’Agdos.

Parmi les noms donnés à Cybèle, notons aussi : Mère de la Montagne et Dame de la Montagne du Monde.

- culte de la pierre sacrée représentant la déesse

C’est sur le mont Dindymon que le "bétyle" sacré serait tombé du ciel : une pierre cubique présentant une bouche rappelant le sexe féminin, pierre noire que certains textes présentent comme "noire des péchés du monde à racheter". Ce mot bétyle a le sens général de "pierre sacrée". Il vient de l’hébreu beth (maison) de El (Dieu) que l’on retrouve dans Bethléem. Plusieurs bétyles jouissaient d’une grande vénération dans l’Antiquité, par exemple ceux d’Artémis à Sardes et d’Astarté à Paphos, le benben du temple solaire d’Héliopolis en Egypte, l’Omphalos des grecs à Delphes... Le culte des pierres sacrées doit être rattaché à la civilisation des mégalithes qui fleurit entre -3500 et -2500 de la Scandinavie à l’Afrique du Nord, de l’Atlantique au Proche-Orient et même l’Inde.

Bien après la chute de l’empire romain, l’Eglise chrétienne devra mener une longue lutte, menaces à la clef, pour faire cesser les anciens rites (pierres, monts, fontaines, Janus...) : conciles d’Arles (5ème siècle) et de Tours (6ème et 7ème siècles), synode d’Auxerre...

- Le culte de Cybèle était également rendu dans une grotte, autre mythe ancestral concernant l’origine des dieux et les rites qui leur sont dus.

- Le mythe de Cybèle intègre aussi la mythologie des arbres (par le pin toujours vert symbolisant Attis ; le premier jour de ses fêtes, les prêtres appelés galles processionnent en portant des pins ; ses arbres symboles sont le chêne, le pin et le sapin), la mythologie des fontaines et des cours d’eau (par la nymphe Sagaritis par exemple) ainsi que celle des animaux (elle porte parmi ses noms, ceux de La Lionne et Reine des abeilles ; son char est tiré par des panthères ou des lions), celle des plantes (ses préférées sont la myrrhe, la violette, les graines, la pomme grenade et la bruyère ; sa robe est couverte de fleurs de toutes les couleurs), celle de la musique : tambour, flûte, cymbales...

- Cybèle, le taureau et la résurrection au début du printemps Dernier lien de la religion de Cybèle à un culte plus ancien. A Rome, son sanctuaire (à l’emplacement actuel de la basilique Saint Pierre) accueille le sacrifice de taureaux que l’on égorge. Le sang récolté sert au baptême des néophytes, en particulier le 24 mars, jour de la résurrection de la nature mais aussi de la résurrection du dieu Attis par Cybèle. Ces réjouissances portent le nom de Tauroboles.

2) Grande Mère aux attributs universels

Originaire de Phrygie en Anatolie occidentale, ses attributs en font un symbole universel :

- Domina (qui correspond à l’appellation chrétienne de Dieu : Seigneur)

- Magna Mater Déesse Mère Grande Mère des dieux,

- Bonne Mère

- Mère de toute vie (plantes, humains, animaux et même dieux),

- Détentrice de toutes les connaissances (en grec ancien Κυϐέλη / Kybélê signifiant « gardienne des savoirs »)

- Mater Turrita (Mère aux remparts, Mère des Tours) Déesse des villes fortifiées, elle est souvent représentée portant sur sa tête une couronne en forme de muraille ou de petites tours

- Souveraine du Firmament (lien au culte de la lumière face aux Ténèbres)

- Protectrice de chaque communauté humaine, elle prend souvent le nom de la ville ou du territoire concerné (Dyndimène, Sipyline, Pessinontienne...)

- Protectrice des maisons nouvellement construites

- Divinité typique de la fertilité, elle personnifie la nature indomptée par les deux lions (ou guépards) qui l’accompagnent en permanence.

- Elle détient les clefs des richesses de la Terre (la clé est un symbole majeur de son culte).

3) Grande déesse de plus en plus vénérée jusqu’à la victoire du christianisme imposé par l’empire romain

Son culte, proche de celui d’Artémis, se développe au départ dans tout le Proche-Orient antique.

Les Grecs l’intègrent rapidement dans leur propre panthéon en lui faisant absorber leurs propres divinités primordiales plus pâles : Gaïa (la Terre) et Rhéa.

Sa réputation est telle que les Romains, en difficulté face à Hannibal durant les guerres puniques, envoient une délégation en Asie mineure pour rapporter sur leur Mont Palatin la pierre noire sacrée la symbolisant. Son arrivée dans le port d’Ostie est marquée par un immense miracle, la vestale Claudia réussissant à diriger le vaisseau par sa ceinture de vierge consacrée alors que des milliers d’hommes n’y étaient pas parvenus. Un temple lui est construit, le Metroön ou Métroaque (Temple de la Mère). Cybèle prend dès lors place parmi les grandes divinités romaines souvent sous des noms romanisés : Magna Deum (Grande déesse), Magna Mater (Grande Mère), Bonne Mère...

Le culte romain de Cybèle connaissait trois moments forts :

- le 23 janvier

- le festival de Pâques entre le 15 et le 27 mars célébrant la passion d’Attis et Cybèle ainsi que la mort et la renaissance du premier. Le 15 mars, les croyants processionnent en portant des roseaux ; le 22 mars on décore un pin (représentant Attis) de violettes et on le transporte dans un temple, le 23 mars c’est le deuil d’Attis ; le 24 mars, journée du sang et de la souffrance, des hommes se flagellent ; le 25 mars on place le pin décoré dans une crypte, le 26 mars Attis est retrouvé vivant près de la statue de Cybèle ; le 27 mars on se réjouit et déambule dans les rues avec les statues du couple.

- Le 3 avril, célébration de la Megalisia, grande procession derrière une représentation de Cybèle, portée par un chariot tiré par des lions dans toute la ville.

Ses attributs correspondant à de nombreux cultes locaux de la Mère primordiale, de la Déesse Terre, de la fertilité et de la fécondité, elle est facilement adoptée dans les provinces au point qu’au 3ème siècle, elle concurrence le christianisme et le mithraïsme.

Un article de la revue Trivium analyse ce culte romain d’importation. En quoi était-il utile aux empereurs ? « Il répondait à des besoins stratégiques. Il s’agissait d’intégrer les cultes locaux (de la déesse mère) dans le cadre d’un polythéisme impérial. De plus, associer une image comme la déesse-mère, qui avait un fort pouvoir d’attraction, était un moyen de conforter le pouvoir impérial. » Jean-François Dortier ajoute dans l’excellente revue Sciences Humaines (n° 213)« Le transfert d’un culte suppose toujours une réinterprétation par la société d’accueil... En fait, avant même l’époque de son introduction, elle (Cybèle) était déjà vénérée dans plusieurs régions de l’Empire sous d’autres formes. »

Les historiens attestent le développement de ce culte de Cybèle dans toute l’Italie, l’Aquitaine, les Gaules, l’Espagne, l’Afrique du Nord... Saint-Foix affirme que « Cybèle était en grande vénération dans les Gaules. Dès qu’on craignait pour la récolte, on mettait sa statue sur un char traîné par des boeufs, on la promenait autour des champs et des vignes. Le peuple précédait le char en chantant et en dansant ; les principaux magistrats la suivaient pieds nus. »

4) Conclusion : De Cybèle au christianisme

L’empire romain a su intégrer les cultes locaux de la Grande déesse dans sa religion, pour la rendre plus attractive aux croyants.

Le christianisme a su, lui aussi, utiliser les anciens lieux de culte de la Mère des Dieux devenus Notre Dame de telle ou telle localité.

Plusieurs similitudes frappent quiconque découvre le culte de Cybèle. En voici un exemple : Après un temps de jeûne, les fêtes de Pâques commencent le 22 mars par les rites liés à la mort d’Attis. Trois jours plus tard, Cybèle ressuscite Attis, d’où des fêtes de réjouissance.

L’année révolutionnaire 1968 a surtout donné en France une large génération militante (en particulier dans la jeunesse et dans les entreprises). Dans certains pays, des croyances plus ou moins mystiques, liées à l’attirance d’un retour à la terre, ont également vu le jour donnant par exemple une actualité inattendue au culte de Cybèle.

Jacques Serieys


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