Quand la CIA voulait en 1981 la tête de Régis Debray, conseiller à l’Elysée

mardi 30 janvier 2024.
 

1981. L’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée et l’entrée de ministres communistes au gouvernement suscitent des inquiétudes à Washington. Certains conseillers du Président de la République ont même une réputation sulfureuse aux yeux de la CIA. C’est le cas de Régis Debray, qui fut en 1967, sous le nom de code de Danton un agent de liaison entre Fidel Castro à Cuba et Che Guevara, qui animait une guérilla dans la jungle bolivienne. En mars 1967, Debray, jeune agrégé de philo, a été arrêté après son départ du maquis bolivien et emprisonné près de Camiri. Interrogé par la police et des agents de la CIA, le militant franco-guevariste n’a rien dit, s’en tenant à sa version des faits : il effectuait un reportage sur le Che. Un tribunal militaire bolivien l’a condamné le 17 novembre 1967 à 30 ans de prison et il a été libéré quelques mois plus tard, grâce à des interventions internationales.

« Le dossier de la CIA, qui s’est enrichi après l’épisode de Camiri, ne se refermera plus. Régis Debray demeure en bonne place sur la liste noire de Langley (siège de la CIA en Virginie, NDLR). Dans le meilleur des cas, il passe pour un « agent d’influence » cubain, au pire pour un agent tout court, d’autant que son ombre tutélaire plane bientôt sur les mouvements de guérilla sud-américains qu’on le soupçonne d’inspirer intellectuellement, tel le MIR chilien ou les Tupamaros uruguayens.

Ses contacts avec le renégat Philip Agee (ex-agent de la CIA dénonçant ses turpitudes, NDLR) ne passent pas inaperçus, tout comme son amitié avec Alfredo Guevara, ambassadeur cubain à l’Unesco, que les services ont fiché comme membre de la DGI (Dirrection general de inteligencia), les services secrets cubains. Ainsi, lorsque Régis Debray se retrouve en 1981 à l’Elysée, le gros dossier de la CIA refait surface, tandis qu’un de ses anciens directeurs vient demander sa tête. Mitterrand refusant de lui offrir, on va s’employer à lui forcer la main.

A l’automne 1981 démarre dans la presse une campagne contre Régis Debray. Des rumeurs se répandent dans Paris. Le bruit court que les deux officiers du SDECE qui ont suivi le dossier Debray ont été depuis promus. Ce qui sous-entend que, en échange de leur silence sur un terrible secret, ils ont été récompensés et ont pris du galon.

Mais c’est au grand jour et dans la presse que la campagne se développe. Le Figaro, mais surtout l’hebdomadaire Minute donnent le la. En octobre, évoquant le Bulletin d’information sur l’intervention clandestine (BIIC), Minute écrit : « si, un jour, à Paris, un agent de la CIA est victime d’un attentat gauchiste, ce sera peut-être grâce aux conseils dispensés par la revue de Régis Debray ». Debray figurait, en effet, tout comme le fondateur d’Amnesty International, au nombre des parrains de l’Association pour le droit à l’information, éditrice du BIIC, qu’il a quittée depuis quelques mois. Une association que Minute qualifie « d’émanation » du KGB. Dans un autre article, l’hebdomadaire, tout comme George Bush (vice-président des Etats-Unis, NDLR), s’indigne de la présence à l’Elysée de Régis Debray : « Et pourtant aujourd’hui, il a accès aux secrets du SDECE ».

Eprouvé par cette campagne lancinante, l’ancien détenu de Camari offre à plusieurs reprises sa démission, mais François Mitterrand la refuse à chaque fois. Il n’a pas cédé à Bush, il ne cédera pas à Minute. Il tient à garder auprès de lui Régis Debray. En fin connaisseur, il sait qu’il ne faut jamais rien céder aux airs de la calomnie. D’autant qu’il en connaît les origines.

La plupart de ces articles sont inspirés par des membres du cercle Pinay, qui agissent avec la bénédiction des services secrets britanniques et se sont réunis au cours de l’été 1981 (...)

Lorsqu’il sera informé de ses manœuvres inamicales, le nouveau directeur du SDECE, Pierre Marion exigera de ses homologues anglais qu’ils cessent immédiatement de jouer à ce petit jeu. Mais ils ne sont pas les seuls à alimenter cette campagne au parfum d’officine. Si Georges Albertini (homme de réseaux, financé notamment par la CIA, NDLR) dispose d’une ligne directe avec l’Elysée, des collaborateurs d’Est et Ouest (sa revue, NDLR) déploient dans les colonnes de Minute leur talent et leur énergie contre Régis Debray ou encore contre l’épouse du président de la République, Danielle Mitterrand. On lui reproche ses liens avec la guérilla d’Amérique centrale et le régime sandiniste du Nicaragua, pour lequel Debray a obtenu que la marine française sécurise les ports minés par les agents de la contra, équipés et financés par la CIA. »

Vincent Nouzille


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