Combattre l’individualisme

mardi 9 octobre 2018.
 

Le dernier forum du Parti socialiste ayant porté sur "l’individu", nous continuons sur ce site à mettre en ligne quelques articles abordant la question sous des angles contribuant au débat sur le sujet.

Traiter les excès de l’individualisme n’est pas chose facile mais ce thème me préoccupe et donc m’intéresse, même si c’est un sujet à risques.

En effet, pour les adeptes et les pratiquants de ce comportement, l’individualisme est synonyme de liberté individuelle. De ce fait, ils considèrent que s’opposer à l’individualisme conduit à l’apologie du collectivisme et par conséquent aux effets liberticides qui se développèrent au 20ième siècle, entres autres, à l’Est de l’Europe.

Cette propagande insidieuse est largement diffusée et entretenue par les forces conservatrices et réactionnaires de tous bords, notamment à chaque grande consultation populaire, telles les élections présidentielles et législatives.

Or, entre l’individualisme et le collectivisme, il y a un espace démocratique suffisamment important à explorer et à organiser.

Individualisme et classe ouvrière

Traiter l’individualisme en dehors du concept de classes serait, me semble t’il, une erreur. Ainsi, d’emblée, nous sommes conduits à l’interrogation sur l’état actuel de la classe ouvrière.

Certes, il est habituel de dire que poser la question c’est déjà apporter la réponse, mais au cas particulier cet automatisme est à proscrire.

Alors, quelle interrogation ?

Est-ce à dire que nous aurions atteint le principe de l’abolition du salariat et du patronat ? Bien évidemment, non. Est-ce à dire que la situation des salariés serait devenue si confortable que la notion de classes serait désormais obsolète ? Bien évidemment, non.

Alors, d’où vient cette interrogation ?

Le concept de classe ouvrière n’est ni un concept abstrait, ni un concept isolé dans la société. Il induit de facto à l’existence d’une classe dominante, la classe capitaliste.

Ainsi organisée de fait, la société de classes ne relève aucunement d’un dogme, mais n’est que le résultat d’une réalité concrète, d’un état naturel de relations entre les individus, qui fait que les intérêts des possédants du capital et des leviers de commande de l’économie sont différents et opposés à ceux des individus du labeur (même si la définition du mot labeur a beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années).

Pour que sa dignité soit respectée, la classe ouvrière doit ainsi faire l’effort de s’organiser sur elle-même.

Elle doit s’imposer une autonomie, une indépendance intellectuelle et matérielle indispensable à la construction d’un rapport de force efficace, sans lequel le salariat n’est qu’un vulgaire instrument du capital.

Sans cette indispensable indépendance, cette sorte de ligne de démarcation, le principe de lutte de classes est inopérant et donne, de fait, de la force au concept opposé, de collaboration de classes, chère à la doctrine sociale de l’église.

Ainsi, la formule « nous sommes tous dans le même bâteau » prend tout son sens et c’est bien là le problème qui nous est posé.

Petit à petit, dans leur individualité, pour certains dans leur inconscience, les salariés se sont adonnés à cette posture dont la participation, au sens gaulliste du terme, est un des vecteurs.

Pris dans ce tourbillon, le syndicalisme n’a pas pu, n’a pas su, et pour une partie n’a pas voulu combattre ce fléau.

Certains ont essayé de résister, mais la déferlante libérale, venant de toute part, était et reste si puissante et si sournoise, que malheureusement certains « résistants » se résignent et finalement abdiquent.

Globalement, le syndicalisme a négligé sa responsabilité première qu’est l’émancipation.

Cette attitude est lourde de conséquences.

Mais faut-il s’attendre à autre chose quand on délaisse le combat syndical pour privilégier le partenariat social.

Le propos manquerait d’objectivité s’il ignorait l’attitude du politique et plus précisément du législateur depuis une vingtaine d’années.

Réhabilitant le vieil adage « diviser pour mieux régner » des lois furent votées dont l’une des cibles visées fut l’individualisation du salarié sur son lieu de travail. Le législateur et le patronat parlant de responsabilisation.

Quatre textes législatifs furent appliqués : 1982 - lois Auroux, 1993 - loi quinquennale, 1996 - loi de Robien, 1998/2000 - lois Aubry.

Si les textes votés par la droite ne pouvaient nous surprendre, nous étions en droit de nourrir l’espoir, que ceux votés par la gauche, de surcroît plurielle, seraient plus socialisants. Hélas, l’espoir fut déçu.

Les lois Auroux, par exemple, ou plus objectivement une partie d’entre elles, ouvrirent une fenêtre sur l’individualisation. La preuve, le slogan inventé pour promouvoir cette loi n’était autre que « pas besoin de délégué syndical pour défendre ses droits face à l’employeur ». Le ton était donné.

Quant aux lois Aubry, vraisemblablement pour masquer les reculs sociaux qu’elles engendraient, une opération de communication fut orchestrée par les promoteurs s’appuyant sur un postulat « avec les 35 H, vous choisirez vos horaires » !!! Mensonge éhonté, bien évidemment.

Ainsi, pendant plus de vingt ans, telle l’araignée qui tisse sa toile, patiemment mais efficacement, les forces conservatrices aux origines multiples, ont érigé l’individualisme comme valeur nouvelle et incontournable.

Refuser celle-ci faisait preuve d’archaïsme et d’opposition à la modernité.

Pour compléter ce constat, il me parait indispensable de s’interroger sur l’héritage, dans sa partie négative, des évènements de mai 68 où le slogan identificateur « il est interdit d’interdire » n’a pas eu que des effets positifs.

Le contexte étant présenté, il est nécessaire d’entrer dans le concret et d’identifier quelques exemples, illustrant le mal qui détruit progressivement la solidarité indispensable à la classe ouvrière.

Le travail du dimanche

Le travail du dimanche est certainement l’exemple d’individualisme des salariés le plus visible et le plus commun.

Pour la plupart, les salariés refusent de travailler le dimanche, mais la majorité des personnes qui fréquentent les commerces ce jour sont issus du monde du travail !!! N’y a-t-il pas là contradiction ?

C’est en 1906 que le repos hebdomadaire fut arraché. Il deviendra le repos dominical. Dans le choix de ce jour, faut-il y voir l’influence du christianisme ? Certainement, puisque dans ce milieu, le repos dominical recevra le qualificatif de « jour du seigneur ».

Pour nous laïcs, peu importe comment individuellement est utilisé ce jour de repos, l’essentiel est, que sauf exception, les salariés puissent en disposer à leur guise, y compris en se retrouvant dans l’amusement et les loisirs.

Au rang des exceptions, il faut placer bien sûr les secteurs vitaux, comme la santé, la sécurité des biens et des personnes, les transports (même en service allégé), l’énergie et des postes dans le secteur concurrentiel comme l’industrie où certains équipements ne peuvent être arrêtés le vendredi soir et remis en route le lundi matin.

Ce qui est visé c’est le grand commerce, les jardineries par exemple. D’ailleurs, il faut remarquer que le petit commerce est opposé aux ouvertures dominicales et parfois farouchement.

La justification de ces ouvertures varie en fonction des époques. Au début des années 90, la création d’emplois était mise en avant, puis devant l’échec de cet argument, d’autres tout aussi fallacieux furent utilisés. Le dernier ne manque pas de sel. Récemment sur une radio, un employeur, défenseur de la banalisation du dimanche faisait part de sa compréhension devant le refus des salariés de travailler le dimanche. Il expliquait que, par contre, c’était une aubaine pour les étudiants qui ont des difficultés à financer leurs études. Sans sourciller, il proposait également aux retraités qui n’ont que de toutes petites retraites, d’améliorer leur pouvoir d’achat en précisant qu’il suffisait de travailler qu’une seule journée par semaine !!!

Ces propos montrent très clairement que l’ouverture du dimanche est bien davantage une affaire de business qu’un besoin vital des consommateurs.

Les salariés doivent comprendre que ce type de travail du dimanche est contraire à leurs intérêts et que dans ce domaine, comme dans d’autres, la solidarité doit s’exercer.

Individualisation des revenus

Nombre de salariés se plaignent et sont victimes de la spéculation financière, de surcroît mondialisée, mais hélas, nombre d’entre eux alimentent, certes pour certains inconsciemment, cette spéculation.

Globalement la spéculation financière est rejetée par le syndicalisme français à l’exception de ses composantes qui considèrent que la mondialisation et par corollaire, la mondialisation financière, est une chance !

Par faute de clarté et de détermination, le positionnement syndical ne fut pas entendu des salariés.

Les gouvernements, sans distinction d’origine, et le patronat se liguèrent pendant plusieurs années pour promouvoir une vieille idée, chère au Président De Gaulle, la participation.

Au cours des années 80, le patronat décida d’en finir avec le principe des augmentations générales et annuelles de salaires.

Le législateur ne fut pas en reste quant à cette mise à mort. Si le code du travail rend obligatoire l’ouverture de négociations annuelles de salaires, la conclusion d’un accord ne l’est pas.

Il a même prévu, au cas où, la signature d’un constat de désaccord.

Le coup de grâce fut porté, à la fin des années 90, au moment des lois Aubry.

Dans le cadre des accords d’entreprise pour la mise en place des 35 H, le patronat s’est payé le luxe de contractualiser, arguant du fameux gagnant, gagnant, une pause de plusieurs années des négociations générales de salaires et de valider le principe de négociations d’enveloppes annuelles pour l’attribution d’augmentations individuelles.

Ainsi, l’aspect collectif des salaires s’effaça au profit d’augmentations individuelles, au choix exclusif et souvent arbitraire de l’employeur.

Naturellement, au fil du temps, le pouvoir d’achat d’une majorité de salariés s’assécha et il devint plus facile aux employeurs de « vendre » les différentes formules de participation et d’actionnariat qualifié de populaire.

La démarche fut d’autant facilitée que les différents gouvernements prirent des mesures initiatives à la participation et à l’actionnariat (exemption de cotisations sociales - régime fiscal spécifique etc...)

A titre d’exemple, le capital de la société Eiffage, entreprise du B.T.P. est détenu à plus de 20 % par les salariés de l’entreprise.

D’autres exemples pourraient, bien entendu, être cités, comme France Télécom, etc...

En quelques années, nous sommes passés de salaires négociés par les organisations syndicales au bénéfice de tous, à un revenu individualisé au profit de quelques uns et en particulier de ceux qui ont les moyens de spéculer et la connaissance du système.

Ainsi, l’organisation collective d’un rapport de force pour l’amélioration des salaires devint impossible car il y a de moins en moins d’homogénéité revendicative. La situation salariale de l’un n’est pas obligatoirement celle de l’autre ; de plus, chacun pense ou espère que cette fois, il aura les faveurs de l’employeur.

D’ailleurs, il suffit de constater l’amplification d’un phénomène. La feuille de paie est devenue un document très secret, aux données jalousement gardées.

Pas question de comparer son bulletin de salaires avec celui des collègues.

Nous avons là tous les ingrédients d’un individualisme exacerbé.

Face à cette nouvelle donne, même si ce n’est pas facile à écrire, comment ne pas stigmatiser l’attitude des salariés qui ont privilégié l’apparente mais dangereuse facilité de l’individualisation des salaires et de l’actionnariat spéculatif.

Qui peut ignorer que la spéculation est prédatrice de l’emploi ? Aujourd’hui les plans de licenciements et de fermeture d’entreprise sont davantage dus à l’appétit insatiable des actionnaires qu’à des carnets de commande vierges.

Les salariés actionnaires acteurs de cette nouvelle posture ignorent-ils que, par ce comportement, ils mettent en danger le système de protection sociale solidaire dit par répartition, en particulier ceux de l’assurance maladie et des retraites dont le financement est lié au salaire ?

Le système de la déconnection du salaire et de la protection sociale existe aux Etats-Unis d’Amérique. Le résultat c’est que près d’un quart de la population n’a pas de couverture sociale !!!

La solution à ce problème passe obligatoirement par un effort de conviction de soi-même et de vulgarisation de cette conviction à l’adresse du plus grand nombre.

Cela s’appelle l’émancipation.

Il est évident que le mouvement ouvrier doit retrouver ses fondamentaux et en particulier l’organisation du rapport de force pour imposer et généraliser les négociations générales de salaires aboutissant à des accords.

Le réflexe sera mécanique, le pouvoir d’achat des salaires se trouvant maintenu et amélioré, le recours aux différentes formules d’actionnariat et de participation perdra de la vigueur.

Dumping social

Comme pour le travail du dimanche, comme pour la spéculation, le dumping social agace et parfois à juste titre révolte les salariés. Mais, au cas particulier, leur comportement de consommateurs est-il toujours en adéquation avec leur irritation de salarié ?

La définition du Petit Larousse du dumping social est : « pratique qui consiste pour un pays, notamment un pays en développement, à produire et à vendre moins cher ses produits du fait des faibles coûts du travail et de l’absence de protection sociale »

Depuis l’ouverture des frontières et la libre circulation des hommes et des marchandises, les pays économiquement et socialement avancés comme le nôtre sont submergés de produits qualifiés à bas coûts.

Pendant plusieurs années, ces produits venaient d’outre Europe (Chine - Corée - Japon - Taïwan, etc...) mais depuis le 1er mai 2005, l’intégration dans l’Union Européenne de dix pays de l’Europe Centrale et Orientale complique le problème.

La logique voudrait que les consommateurs se préoccupassent des conditions de production et de fabrication des produits qu’ils acquièrent, tout au moins pour ceux dont les moyens matériels permettent le choix.

Or, nous sommes loin de cette préoccupation. Certes, le dossier est complexe car les cas sont multiples et différents.

Acheter des produits à bas coûts pour permettre aux salariés des pays exportateurs une évolution sociale serait un acte de solidarité ouvrière à l’échelon international très intéressant, mais hélas,tel n’est pas le cas, bien au contraire.

Pour les pays exportateurs, la croissance qui découle de ces échanges apporte en priorité pour ne pas dire exclusivement, un accroissement des dividendes des actionnaires, et pour cause.

Personne n’ignore ou ne devrait ignorer les conditions de travail d’un autre âge.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. A titre d’exemple, entre août 2006 et août 2007 le chiffre de véhicules logan vendus a augmenté de 133 %.

Cette situation est inquiétante d’autant que les véhicules chinois (quand ils satisferont aux crashs-tests, ce qui ne saurait tarder) inonderont également notre marché.

Déjà des signes alarmants apparaissent. Une étude réalisée par l’assureur-crédit Euler-Hermés, publiée en mars 2007 prévoit la suppression de 30000 emplois dans le secteur automobile (constructeurs et équipementiers) dans les 3 ans à venir, ceci s’ajoutant aux 28000 suppressions de 2000 à 2006 dont 9000 en 2006.

En Normandie, un site de fabrication de 8000 salariés voit sa pérennité suspendue à la réussite commerciale d’un seul modèle.

Ainsi, une fois de plus, nous sommes là au cœur d’un comportement individualiste. Au lieu d’affronter le capital sur son lieu de travail pour obtenir des conditions de salaires décentes, des salariés justifient les manœuvres du capital en achetant des biens fabriqués par des salariés exploités hors de nos frontières, avec pour conséquences la destruction d’emplois à l’intérieur de nos frontières.

Mais le dumping social ne se limite pas à l’industrie, les services n’échappent pas à ce phénomène. Le transport aérien avec les compagnies low-cost n’est pas en reste.

La compagnie irlandaise Ryanair (fer de lance du low-cost) a poursuivi l’Etat français en justice pour refus de celui-ci que des salariés irlandais travaillent sur le sol français avec le droit social irlandais.

Débouté par le Conseil d’Etat en date du 11/07/07, la compagnie a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme. Raison de plus d’y regarder à deux fois avant de monter dans les avions de cette compagnie ou de compagnie de ce genre.

Incontestablement, il devient urgent que les salariés prennent conscience des enjeux en délaissant leur réflexe individualiste, pour qu’enfin, dans l’intérêt de tous, vive la solidarité internationale ouvrière.

La situation est devenue cocasse au point que les autorités françaises nous expliquent qu’il n’est pas besoin d’augmenter les salaires et les pensions pour augmenter le pouvoir d’achat.

C’est toute l’action de communication qui est organisée par le gouvernement sur les opérations de baisse des prix entre autres dans les grandes surfaces, opérations qui ne trompent personne, bien évidemment.

Ainsi, nous atteignons les limites du supportable d’une mondialisation financière où les systèmes de régulation commerciale ont quasiment disparu, où des pays comme la Chine nous inondent de leurs productions, tout en refusant, faute de consommateurs solvables, d’acheter les nôtres.

Pour faire face à ce problème, à chaque fois que c’est possible, les salariés de notre pays vont devoir intégrer ces éléments dans leur action de consommateurs, mais ceci n’aura d’effet que si, en parallèle, ils s’engagent dans une indispensable solidarité ouvrière sur leur lieu de travail, mais aussi hors de leur lieu de travail.

Il est urgent de revenir à une indispensable discipline de classe, sans laquelle la situation des plus exposés s’aggravera avec en plus le risque de voir les libertés individuelles et collectives se réduire.

Jean-Louis ERNIS


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