Sept ans après, récits de l’horreur vécue à Gênes lors du G8 2001

mercredi 26 mars 2008.
 

Le commissariat de police de Bolzaneto, à l’écart du centre de Gênes qui accueillait le G8 en juillet 2001, s’était transformé pendant trois jours en lager pour les manifestants arrêtés. Les coups, les sévices, les tortures, les insultes sur fond de propagande fasciste avaient imprégné les murs de la prison ces jours-là. Pour les 209 victimes de ces violences policières, l’attente d’un procès a été longue.

Le verdict devrait pourtant tomber au début de l’été prochain. Le 11 mars 2008, les magistrats du ministère Public italien, Patrizia Petruzziello et Vittorio Ranieri Miniati, ont demandé une peine cumulée de 76 ans, 4 mois et 20 jours de réclusion pour les 46 accusés.

Mais voilà, sept ans se sont écoulés. Sept ans d’impunité parce qu’en Italie la torture n’est pas un délit. Il y a vingt ans, Rome ratifiait la Convention de l’ONU (1987) qui interdit et condamne l’usage de la torture. Depuis, la législation italienne ne s’est jamais préoccupée de transformer cette convention en loi nationale. Et ce trou noir a des conséquences directes sur le procès puisque le parquet a été contraint de contester aux accusés seulement l’abuso d’ufficio qui devrait tomber en prescription en 2009. Aucun des imputés ne passera un seul jour en prison.

Les magistrats espèrent que leur memoria servira à fournir les preuves irréfutables de la culpabilité des policiers, des médecins et des carabiniers dans cette affaire. Le document historique ainsi composé sera un plaidoyer contre « des comportements inhumains, dégradants, cruels » et contre « la violation systématique des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Patrizia Petruzziello et Vittorio Ranieri Miniati expliquent que ces trois jours et trois nuits « ne pourront jamais être oubliés ». Le troisième chapitre de leur memoria regroupe les dépositions des 209 victimes et la liste est longue. Le journaliste de La Repubblica, Massimo Calandri, recueil des extraits de ces dépositions dans son article du 19 mars 2008. C’est un long récit de l’horreur.

Nicolas N., Sienne, 1981 : « Dans le couloir, depuis son arrivée, il doit marcher la tête basse. Avant de le faire entrer dans la cellule, ils le font se mettre à genoux et ils lui donnent deux coups de poing dans la tête et un coup de pied. À chaque mouvement qu’il fait il reçoit des coup de pieds, de poings et de mains dans le dos et aussi des coups de genoux dans l’estomac. Les agents lui disent de rester la tête basse parce qu’il est un être inférieur et indigne de les regarder dans les yeux, qu’il est une merde et qu’avec Berlusconi ils peuvent faire ce qu’ils veulent ».

Ester P., Pinerolo, 1980 : « Pendant qu’elle passe dans le couloir elle reçoit des coups de pieds, des gifles et des insultes. “Putain, salope“. Aux toilettes la femme-agent lui écrase la tête vers le bas jusqu’à toucher quasiment les WC turc pendant que, du couloir, les agents l’insultent avec ces mots : “ Putain, salope, tu aimes la matraque ? “. De sa cellule, elle aperçoit un garçon dans le couloir qui se fait frapper à coups de matraque dans les testicules. À l’infirmerie, elle doit se déshabiller complètement et ils la font sortir dans le couloir en sous-vêtements. Ils la font mettre dans la file d’attente avec les autres et ils leur font faire le salut romain, chanter “ Faucille Noire “ et dire “ Viva il Duce “ ».

Valérie V., française, Perpignan, 1966 : « Ils font pression pour lui faire signer un document, ils lui donnent des gifles sur la nuque, lui montrent les photos de ses enfants sur le passeport et lui disent que si elle ne signe pas, elle ne les aurait plus jamais revus. Elle est insultée de “communiste, rouge". Elle entend quelqu’un hurler dans le couloir et dans d’autres cellules et supplier. Elle entend les agents qui font des bruits gutturaux, comme des animaux. Elle se rappelle les tâches de sang et de vomis dans la cellule et aussi l’odeur d’urine. Ils ne lui donnent ni à manger ni à boire. Elle réussit à boire seulement un peu d’eau d’un lavabo avant d’être frappée. Elle se rappelle une jeune fille américaine dans la cellule avec elle, Teresa. Ils les menottent ensemble. Elle la revoit dans la prison d’Alessandria et cette fois elle a des contusions sur tout le corps ».

Entre le vendredi 20 et le dimanche 22 juillet 2001, des dizaines et des dizaines de policiers, de carabiniers, de gardiens de prisons, de généraux, d’officiels, de médecins et d’infirmiers de l’administration pénitentiaire étaient présents à Bolzaneto. Tous complices et coupables de silence.

de Thomas Chabolle


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