Au-delà du phénomène Besancenot, la LCR se prépare à une mue radicale...

mardi 3 juin 2008.
 

« On ne recommence pas tout à zéro. Mais on recommence. » Loin des caméras de Michel Drucker, François Sabado, 40 ans de Ligue communiste révolutionnaire (LCR) derrière lui, conclut une réunion du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) à Pantin, jeudi 15 mai. Ancien dirigeant de la LCR encore très actif dans le mouvement, il a écouté une vingtaine de personnes s’exprimer sur leurs définitions du capitalisme.

Parmi elles, une bonne moitié de membres de la Ligue, renforcée par des salariés de l’ANPE, des jeunes professeurs, une postière et des ouvriers à la retraite... Deux heures durant, on aura parlé « intéressement aux bénéfices de l’entreprise » et « libre circulation », mais aussi « engagement dans les luttes » ou « construction de tract ». L’extrême gauche tendance Besancenot s’organise au niveau local, bien loin des habitudes de la Ligue.

« Ce nouveau parti est une vieille idée que nous nourrissions depuis la chute du mur de Berlin, quand l’effet propulsif de la révolution russe a définitivement cessé de jouer », explique Sabado sans se départir tout à fait de la rhétorique trotskyste. « Pendant plus de quinze ans, on a approché toutes les opérations possibles, finalement assez droitières, des rénovateurs communistes aux Verts », ajoute celui qui demeure l’une des autorités morales de la Ligue.

Après l’élection présidentielle, où Besancenot a terminé en cinquième position avec 4,2% des voix (loin devant les autres partis de la gauche non-socialiste), le candidat a achevé de convaincre les « anciens de la Ligue » de construire un nouveau parti « par en bas ». Il a obtenu une large majorité de soutien dans le parti (83%) lors de son université d’été en août 2007.

La Ligue va se dissoudre, car « elle est trop chargée historiquement pour assumer l’ouverture », dit Sabado. Derrière l’ascension médiatique de son porte-parole, Mediapart fait l’état des lieux de ce nouveau parti, entre aggiornamento idéologique et recrutement inédit. Ou comment s’opère la « révolution culturelle » de l’avant-garde intello trotskyste, qui se tourne vers le néo-prolétariat...

La dynamique des municipales

Les derniers scrutins locaux ont été un succès pour la LCR, venant à l’appui de la dynamique de recrutement. Pierre-François Grond, membre du bureau politique, s’assure encore surpris : « On pensait que c’était trop tôt et que nous n’avions pas assez de militants formés pour cette échéance. Et finalement, on a 114 listes sur 200 qui font plus de 5%... Ce qui est très intéressant, malgré notre peu d’ancrage et d’habitude municipale, c’est que ces scores ont souvent augmenté au deuxième tour. »

Le chercheur Jérôme Fourquier, directeur d’études à l’Ifop, analyse dans une note (PDF) ces résultats et constate des percées dans « des communes à forte tradition ouvrière (Clermont-Ferrand, Louviers) où Olivier Besancenot est parfois venu soutenir des luttes sociales (comme à Sotteville, à Saint-Brieuc) ». Il remarque également que « la LCR obtient aussi de bons résultats dans des villes populaires situées à la périphérie des grandes agglomérations bordelaise et nantaise ».

Enfin, il relève « des scores significatifs dans certains bastions communistes de l’ancienne ceinture rouge : en Seine-Saint-Denis, mais aussi dans le Val-de-Marne ou les Hauts-de-Seine ». Grond cite aussi en exemple la Bretagne, « où on semble récupérer un mix de l’électorat PC/LO/PSU ».

À Marseille, la LCR a su mettre en œuvre un laboratoire électoral du nouveau parti dont elle rêve, recueillant des scores entre 4 et 10% dans tous les arrondissements. Sa porte-parole dans les Bouches-du-Rhône, Camille Roux-Noumane, raconte comment la construction des listes fut un élément fédérateur : « On a anticipé la campagne en lançant un comité d’initiative en décembre, constitué autour de RESF, des comités Palestine et de nombreux syndicalistes de Sud et de la CGT. »

Également membre de la direction nationale, elle estime que « le ralliement du PC aux listes Guérini nous a bien aidés et nous a indirectement permis de constituer des listes avec d’autres collectifs (AlterEkolos, Rouges vifs, Les Alternatifs) ». « Évidemment, nos bons résultats ont créé de la confiance et permis une exposition », sourit-elle en affirmant que, aujourd’hui, les effectifs ont été multipliés par trois sur le département...

Ces succès municipaux ont permis à la Ligue d’obtenir une petite centaine d’élus, dont la moitié sont membres de la LCR. Conséquence immédiate, le parti est en train de créer un institut de formation de ses conseillers municipaux, en cours d’agrément auprès du ministère de l’intérieur. « Pour travailler sur des questions comme les services publics de l’eau, les régies municipales, les écoles, les voiries et la démocratie participative... », explique Pierre-François Grond. Avant de préciser : « Quand je dis démocratie participative, je parle de celle de Porto Alegre et de son slogan : penser global, agir local. »

La stratégie d’implantation aux municipales a enfin permis de faire émerger de nouveaux ancrages, de Quimperlé à Limoges, en passant par Colomiers ou le Nord-Pas-de-Calais. Souvent, l’expansion des effectifs a commencé par le démarchage de parrainages lors de la présidentielle et s’est consolidée avec la constitution de listes locales.

Pierre-François Grond cite ainsi en exemple Mulhouse, « où on a réussi à regrouper des exclus de LO, des syndiqués de chez Peugeot et une association de soutien à des immigrés kurdes, pour multiplier par 10 la section de la LCR d’avant ».

Sans se fixer d’objectif précis, la Ligue se verrait bien « autour de 10.000 adhérents, au lieu des 4.000 actuels », selon François Sabado. « L’idéal dans un premier temps, ce serait de devenir un petit parti de masse. Pour l’instant, on n’est que petit. À nous de devenir un parti et d’apprendre à gérer la masse. » Entre la première convention nationale fin juin et le congrès fondateur prévu en janvier 2008, la difficulté est de gérer la transition.

La délicate gestion de la transition

Pierre-François Grond ne fait pas mystère des « priorités de recrutement » : « S’implanter dans les entreprises, grâce à des délégués syndicaux qui ne se retrouvent plus dans le PC, investir les cités par un travail de terrain au long terme, continuer à faire venir des jeunes, plus précaires qu’étudiants, et mettre en place une conférence écologiste. »

Ces nouveaux horizons impliquent « un changement de mentalité », selon les termes de François Sabado. Selon lui, « il faut intégrer que le militantisme est beaucoup moins sacrificiel et élitiste que dans les années 1970 : Besancenot attire chez nous un nouveau public, à nous de les garder ».

Pour gérer le nombre, la direction de la LCR réfléchit à de nouveaux systèmes d’adhésions. « Traditionnellement, le montant de la cotisation était proportionnel aux revenus. Là, on est obligés d’être plus ouverts. On se dirige vers un tarif minimum et différents niveaux de militantisme. Abonnés au journal, membres, souscripteurs... Il faut trouver une place à chacun », réfléchit Sabado.

Pour Daniel Bensaïd, philosophe et figure historique de la Ligue, « payer pour militer peut devenir compliqué, vu les gens qu’on veut toucher. Il est clair qu’on s’oriente vers plus de dépenses et moins de recettes ».

La Ligue apprend aussi à « recruter par étape », comme à Marseille où Camille Roux-Noumane explique : « On a commencé par des réunions fermées, avec des gens qu’on a démarchés dans les associations ou les syndicats. Puis on élargit à des réunions publiques. » Comme le déclare Grond, « il faut que ceux qui militent beaucoup s’emploient à former au lieu de se contenter du seul activisme ».

Ce schéma de formation, François Sabado l’a déjà en tête : « On va organiser une réunion de bureau hebdomadaire à cinq ou six, mais ouverte à tous les adhérents, à côté de réunions publiques mensuelles. Enfin, on va essayer de mettre en place des sessions de formation thématiques, type université populaire, elles aussi mensuelles. En résumé, il faut conserver le meilleur du trotskysme et laisser de côté ses zones d’ombres. Il faut qu’on apprenne par exemple à ne plus « casser la tête » de ceux qui monopolisent la parole ou qui perturbent les réunions. »

« Il va quand même falloir « casser la tête » au début », nuance toutefois Daniel Bensaïd. « Il faut être lucide, notre démarche suscite un effet d’aubaine pour beaucoup de groupuscules sectaires, qu’il faudra contenir d’emblée si l’on veut réellement réussir l’ouverture à de nouveaux militants. »

Car, en gage de sincérité, la Ligue a instauré la parité dans les directions de ses comités locaux, à moitié composées de membres de la LCR et de militants dits « inorganisés ». « Même quand on se rend dans des villes où on nous a démarchés pour construire un collectif, on y va en binôme », dit Camille Roux-Noumane en prenant l’exemple de Châteaurenard. « Il ne faut pas avoir peur, cette façon de fonctionner doit être la preuve de notre sincérité. »

« Cet entre-deux est délicat à gérer, car la LCR ne se réunit plus, on manifeste avec des banderoles NPA tout en distribuant Rouge [l’hebdomadaire de la Ligue], et il faut quand même faire gaffe au profil des « inorganisés » », soupire Bensaïd. Il précise : « L’enjeu pour nous est de rapprocher des engagements hétérogènes : les militants de la LCR, ceux qui sont en dissidence radicale avec la gauche organisée et ceux qui nous demandent d’être un parti de service. »

Le but est donc aussi de ne pas faire trop de cartes. « Franchement, il suffit de lancer Olivier dans une manif et on en fait 1000 », sourit François Sabado. « Mais il faut quand même être raisonnable dans notre pari fou »... Un pari qui ne va pas sans écueils.

Les écueils d’une « révolution culturelle »

Face à ceux qui dénoncent un parti construit pour servir la seule ascension de Besancenot, les dirigeants de la Ligue ne nient pas le risque de personnalisation. « C’est vrai qu’on peut voir là une ruse de l’Histoire, qui voit des trotskystes profiter à plein de la présidentialisation engendrée par la Ve République », reconnaît ainsi François Sabado. Daniel Bensaïd estime toutefois que « face au culte du chef, il existe un contre-culte militant, qui rejette les dérives de la médiatisation ».

Pour Pierre-François Grond, « c’est justement pour échapper à cela qu’on essaie de mettre en œuvre un processus collectif. Notre but est de former de nouveaux porte-parole, comme les deux militantes que Besancenot a fait venir chez Drucker. C’est aussi pour sortir de ce piège qu’on veut mettre en place des systèmes de rotation, tant chez les permanents qu’à la direction. Notre génération à Olivier et moi, elle est là pour dix ans maximum ». Et Sabado de faire dans le cynisme électoral : « On n’en est bien sûr pas là, mais l’idéal pour 2012, ce serait de présenter une jeune femme soutenue par Olivier. »

La rupture qui se prépare avec les vieilles habitudes trotskystes devrait aussi passer par quelques remises en cause aussi fondamentales qu’inconcevables il y a encore quelques années. En premier lieu, le choix du nom officiel du NPA. « On est capable de s’étriper là-dessus après avoir fait le plus dur. « Parti » ou pas « Parti », abandon des termes « révolutionnaire » et/ou « communiste »... Il y a aussi la définition de nouveaux statuts. On y réfléchit pas encore, mais ça va être coton », reconnaît Bensaïd.

L’hebdomadaire « Rouge », organe historique de la Ligue, devrait aussi être sacrifié sur l’autel de l’ouverture, au profit d’un nouveau système de presse, peut-être même gratuit.

Plus fondamental encore, la sortie de la IVe Internationale. « C’est vrai que le NPA n’a pas vocation à y figurer, lâche Bensaïd. Même si l’idée d’une organisation internationale est très populaire, on ne peut pas imposer aux nouveaux d’endosser notre histoire et, réciproquement, ils ne peuvent nous demander d’abandonner la nôtre. Il y aura sans doute le maintien d’un lien organique avec ceux qui en sont actuellement membres. »

En revanche, la réflexion avance autour de nouvelles alliances continentales, en vue des élections européennes de juin 2009, ce « premier baptême qu’il ne faut pas rater », selon les termes de Pierre-François Grond. Longtemps en charge des relations internationales à la Ligue, et toujours actif dans le domaine, Daniel Bensaïd évoque « une tâche difficile, car toute la gauche anticapitaliste européenne est tiraillée ».

Il estime toutefois qu’« il y a des possibilités avec les extrêmes gauches portugaise, anglaise, grecque et espagnole, au moins pour des “échanges de meeting” », tout en assurant que « grâce à Olivier, notre cote a considérablement grandi en Europe et certains veulent utiliser son aura... Aujourd’hui, Rifondazione Communista ne nous regarde plus de haut ».

Dans cet horizon, la référence aux Allemands de Die Linke n’est pas des plus « NPA-compatible », car elle recoupe l’ambition de l’autre « gauche de gauche », qui tente elle aussi de se restructurer...

Les rapports épineux avec l’autre “gauche de gauche”

Un possible compagnonnage avec Lutte ouvrière , comme ce fut le cas entre 1998 et 2002, est aujourd’hui vite évacué. « Ils auraient dû être avec nous, mais de peur de voir le mouvement leur échapper, ils ont favorisé des accords boutiquiers avec le PS aux municipales », résume Pierre-François Grond. Tout juste François Sabado explique-t-il avoir « beaucoup appris de LO, du temps où on travaillait ensemble, notamment sur la communication, externe et interne ». En revanche, la relation avec le reste de la gauche non socialiste fait encore débat.

La tentative avortée d’une candidature antilibérale unitaire à la dernière présidentielle, dans la continuité des collectifs pour le non au référendum européen, a laissé des traces. Et la LCR assume pleinement sa part de responsabilité, ainsi que le résume Sabado : « On a beaucoup regardé la terrible crise brésilienne, où nos copains se sont déchirés pour que certains finissent plus lulistes que Lula. On a aussi vu la recomposition italienne. Et on voyait ce projet de cooptation de l’extrême gauche par la social-démocratie se mettre en branle en France. Alors, c’est vrai qu’on a choisi de se blinder et de ne pas bouger, car la position d’indépendance avec le PS nous semblait essentielle pour notre crédibilité. »

Les rescapés des collectifs unitaires anti-traité européen, qui ont pour partie soutenu la candidature de José Bové, viennent de se regrouper à nouveau, sous l’égide d’un appel lancé par l’hebdomadaire Politis. Ce texte fait référence à une reproduction du modèle allemand Die Linke (parti réunissant l’ancien socialiste Oskar Lafontaine et l’ancien parti communiste de l’Est).

Et c’est là que le bât blesse. Grond dénonce ainsi une « logique lobbyiste, pour faire pression sur le PS et le ramener à gauche. Comme Die Linke, qui négocie localement avec le SPD. C’est une orientation « possibiliste » que nous comprenons mais que nous jugeons vouée à l’échec. Notre stratégie vis-à-vis du PS est celle de l’indépendance sans hostilité. A Toulouse, on a pris une porte dans la gueule quand on a proposé une fusion technique dans l’entre-deux tours des municipales, mais on a quand même appelé à voter pour Pierre Cohen ».

Daniel Bensaïd, qui a récemment entretenu une correspondance sur le sujet avec la figure altermondialiste Raoul-Marc Jennar, fait part de sa perplexité : « Cet appel nous simplifie les choses et on aimerait que l’initiative trouve un débouché, car on aurait enfin un interlocuteur et non plus une nébuleuse changeante. Cela dit, ça sent quand même la tentative de réhabillage du PC en vue des prochaines européennes... »

« Mais on continuera à discuter avec eux, et puis on ne sait pas ce que fera la base de ce mouvement-là », ajoute Grond. La base, toujours la base, leitmotiv de cette nouvelle Ligue en construction...

« Boite noire »

Cela faisait un moment que je m’étais promis d’aller voir de plus près la construction du NPA. Pris par l’actualité du PS et désireux d’échapper à l’agenda médiatique d’Olivier Besancenot, je souhaitais davantage m’entretenir avec ceux qui “font tourner la machine”, aussi bien stratégique qu’intellectuelle, dans l’ombre du porte-parole trotskyste.

Le déclic a eu lieu quand Marlène Benquet, l’une de nos jeunes blogueuses (doctorante en sociologie et ancienne militante de la minorité de Lutte ouvrière), nous a alertés pour nous signaler qu’elle avait réalisé une interview de Besancenot, mardi 13 mai. Jusqu’ici, sauf erreur de ma part, celui-ci n’a pas parlé dans la presse depuis son très commenté passage chez Michel Drucker. J’ai donc saisi l’occasion pour réaliser aussi vite que possible cette enquête.

La réunion à Pantin a eu lieu le jeudi 15 mai. Toutes les interviews ont été réalisées entre vendredi et mardi, en face-à-face, et ont duré deux heures chacune, à l’exception de celle de Camille Roux-Noumane, jointe par téléphone.

ALLIES Stéphane


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