Un scandale de lait frelaté provoque la colère des Chinois

vendredi 19 septembre 2008.
 

La Chine est une nouvelle fois confrontée à un vaste scandale de sécurité alimentaire dont tout indique qu’il a été mis sous le tapis pendant la durée des Jeux olympiques, pour ne pas écorner l’image du pays.

La population est sous le choc depuis la découverte de ce scandale qui concerne le lait en poudre pour nourrissons : quatre bébés sont déjà morts et des milliers d’autres sont souffrants en raison de la présence de mélamine, composant du plastique et de la colle, dans du lait en poudre. La mélamine, utilisée pour donner l’illusion d’une forte teneur en protéines, est interdite dans l’alimentation, en Chine comme ailleurs.

Ruée sur les laits en poudre de marques étrangères, même si elles sont plus chères

A l’origine du scandale, seul le lait en poudre de la marque Sanlu était concerné, mais la direction de la sécurité des produits alimentaires chinoise a fait savoir mardi qu’un cinquième du lait en poudre vendu dans le pays était concerné, au travers de vingt-deux entreprises laitières dont deux géants, Yili -sponsors des derniers JO- et Mengniu.

Des milliers de parents d’enfants en bas âge font la queue pour faire examiner leur nourisson dans les hopitaux, et on a enregistré une ruée sur les laits en poudre de marques étrangères, même si elles sont plus chères.

Dix-huit personnes ont déjà été arrêtées dans cette affaire qui éclabousse les entreprises concernées, ainsi que l’administration qui apparait une nouvelle fois inefficace et corrompue. Et même, victime collatérale, le moteur de recherche chinois Baidu accusé par les internautes d’avoir touché de l’argent pour retirer les informations négatives dans toutes les requêtes concernant la marque Sanlu. Baidu a démenti, mais la lettre d’une société de relations publiques circule sur le web chinois et le mal est fait.

Les réactions sont d’autant plus vives en Chine qu’il ne s’agit évidemment pas de la première crise concernant la sécurité des produits « made in China ». L’année dernière, on se souvient de la vague de contestation de la qualité des produits chinois qui s’était répandue dans le monde, avec la découverte successive de dentifrice à l’antigel, de nourriture pour animaux empoisonnée, ou de jouets au plomb dangereux pour les enfants, provoquant des rappels catastrophiques pour l’Américain Mattel.

Faible capacité de l’Etat à faire respecter ses propres règlements

De manière spectaculaire, le pouvoir chinois avait même condamné à mort et exécuté en mai l’an dernier le directeur de l’agence de réglementation des médicaments et des produits alimentaires, Zheng Xiaoyu, accusé d’avoir touché des pots de vin de la part de laboratoires pharmaceutiques.

Mais malgré toutes ces affaires, la capacité de l’Etat à contrôler un secteur aussi sensible que la nourriture pour nouveaux-nés reste faible : ce pays au pouvoir autoritaire souffre également d’une incapacité de l’Etat à faire respecter ses propres règlements.

Sur Internet, les blogueurs chinois se déchaînent. Relevés par Global Voices Online, certains donnent des conseils ironiques :

« si vous aimez votre pays, n’achetez pas de produits ‘made in China’ ».

D’autres soulignent qu’il est plus facile pour une entreprise d’acheter le silence des fonctionnaires que de fournir des produits de qualité.

L’un d’eux se plaint sur son blog :

« On m’a demandé aujourd’hui de retirer un post sur l’affaire du lait frelaté de Sanlu. La capacité de relations publiques de cette marque est vraiment forte, n’est-elle pas une entreprise modèle ? Elle arrive à lier les intérêts de l’entreprise avec les intérêts du gouvernement, et à utiliser la puissance administrative pour assurer les relations publiques de l’entreprise et retirer toutes les informations négatives sur elle. Ils sont de toute évidence influents. Et ainsi, tous ceux qui seront privés d’information continueront à acheter vos produits, et les emmèneront dans la tombe. »

L’affaire est d’autant plus embarrassante qu’on sait aujourd’hui que les responsables sont informés de de scandale depuis le 2 août, c’est-à-dire moins d’une semaine avant l’ouverture des JO de Pékin, enjeu de relations publiques colossal pour le pouvoir chinois. Et que l’affaire a été étouffée jusqu’à ces derniers jours, lorsque les bébés souffrant ont commencé à se compter par milliers, et les premiers morts ont été enregistrés.

Elle a également des ramifications internationales, avec une participation financière d’une entreprise néo-zélandaise dans le capital de Sanlu, et des exportations de lait en poudre chinois que les autorités essayent de tracer.

A Taiwan, nous signale un Riverain de Rue89 résidant à Taipei, « ce lait en poudre peut être utilisé comme farine » (n’est-ce pas le cas en Chine, je ne sais pas ? ) :

« Il se retrouve inclus dans des sous produits de boulangerie-patisserie locales, voire des succédanés de café. Je peux témoigner d’une boutique ici qui vend directement sur la rue des petits gâteaux fourrés dont le vendeur avoue avoir utilisé cette marque très brièvement. J’achète ces gâteaux de temps en temps chez lui, je me sens directement concerné sans avoir d’enfants malformés ou décédés comme sur ces images-choc. Il y a beaucoup d’éléments contradictoires dans les nouvelles qui circulent comme pour tous ces sujets. »

Mais contrairement aux affaires de l’an dernier, où ce sont les opinions occidentales qui étaient en première ligne face au dentifrice ou aux jouets au plomb, c’est cette fois l’opinion chinoise qui est la première concernée par la sécurité de ses propres enfants, à l’image de ces parents du Sichuan après le séisme de mai dernier, dont les enfants ont été ensevelis sous des écoles mal construites. Et le gouvernement doit gérer une nouvelle fois cette colère.

Par Pierre Haski | Rue89 | 18/09/2008 | 11H01


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message