700 milliards : vent de panique ou Mistral gagnant ? (par Ramakrishnan Niranjan, écrivain américain)

jeudi 2 octobre 2008.
Source : Le Grand Soir
 

Au moment des discussions sur le plan de relance économique de 2008, j’ai suggéré qu’ils s’épargnent la peine d’envoyer des chèques individuels à chaque contribuable américain, mais qu’ils expédient la somme globale directement en Chine. Après tout, c’est là-bas que l’argent finirait par atterrir d’une manière ou d’une autre quand il serait dépensé par les Américains à qui cet argent avait été distribué dans l’espoir de relancer la consommation.

Sans pourtant être expert en économie, j’avais vu juste ; la relance n’a servi à rien. Et maintenant l’économie connaît, dit-on, la crise la plus importante depuis la Grande Dépression.

Les Démocrates, alors qu’ils avaient déjà soutenu le plan de relance mentionné ci-dessus, se laissent aujourd’hui également abuser par les cris d’orfraie du gouvernement sur la crise financière.

Cela rappelle bien trop la formule qui avait été employée pour des projets de logiciels : "Nous n’avons pas le temps de le faire comme il faut, mais nous prendrons le temps de le refaire".

Nous avons là une classe politique qui est incapable de réunir les fonds nécessaires permettant d’assurer à la population une couverture santé et des études universitaires gratuites, ou de sécuriser les frontières. Mais nous avons en revanche les responsables des deux partis qui acceptent allègrement de dépenser 150 milliards de dollars par an pour faire la guerre, et de réclamer 700 milliards de dollars supplémentaires pour colmater des brèches qui se sont créées sous leurs yeux grands ouverts.

Mais les 700 milliards ne vont rien résoudre, pas plus que ne l’a fait le plan de relance.

La raison en est très simple. La crise du logement ne provient pas seulement d’un problème de prêt. En fin de compte, les demandes de prêts immobiliers ne sont pas beaucoup plus élevées qu’il y a dix ans en arrière (65% en 1996, 68.9% en 2005). Mais alors, qu’est-ce qui est différent aujourd’hui ?

Le vrai problème, c’est la perte d’emplois. Dans le monde informatique de conception de logiciels, on parle d’une approche « boite noire » : on peut comprendre le fonctionnement d’un système sans forcément connaitre la complexité de ses mécanismes internes simplement en observant son comportement et les résultats obtenus.

Dans cette optique, si les salaires stagnent ou baissent, et que les emplois partent à l’étranger, comment les gens peuvent-ils conserver leur maison ou en acheter une ? Dans ces circonstances, même si on leur propose les conditions de prêts les plus avantageuses, comment peuvent-ils rembourser ? Manifestement, il fallait que les prix de l’immobilier baissent. Jusque-là, c’était clair pour n’importe qui, même avec un seul œil d’ouvert.

Mais, de toute évidence, pas pour des gens comme M. Paulson, M. Mankiw, ou M. Greenspan.

Les salaires en Amérique ont été attaqués sur deux fronts, l’immigration illégale, d’une part, et la délocalisation d’autre part.

Curieusement, la droite soutient les deux et la gauche conteste mollement l’une des deux. Et les dirigeants de ces 30 dernières années se sont appliqués à perpétuer les deux, en s’appuyant sur la vénération stupide de fausses idoles comme la mondialisation et la diversité. Nous sommes tellement imprégnés de clichés que même la soi-disant Grande Crise de cette semaine n’a pas provoqué de débats sur les maux véritables qui frappent le pays.

Au lieu de cela, il y a eu cette lettre de Thomas Friedman (*) aux responsables irakiens (au nom de George Bush), pour leur dire qu’il faut désormais qu’on s’intéresse à l’Amérique, parce qu’on ne peut plus dépenser toute notre fortune en Irak.

Il est difficile de dire ce qui est le plus choquant, l’arrogance de cet homme ou son manque de pudeur.

Les Irakiens ne nous ont jamais invités. Nous sommes allés là-bas pour y déclencher une guerre, poussés par (l’éditorialiste du New York Times) Thomas Friedman et ses supporters de "La Terre est plate", nous y avons démantelé le pays et instauré le chaos.

Nous avons sur les mains le sang de millions de personnes. Et Barack Obama qui râle parce que les Irakiens ont 80 millions de dollars placés dans les banques de New York (peut-être pense-t-il qu’ils devraient les envoyer à Zurich ?) alors que nous dépensons tant d’argent en Irak.

Peut-être que quelqu’un pourrait-il rappeler au sénateur ses multiples votes autorisant, justement, ces dépenses. Et lui rappeler que ce qu’il veut faire, lui, c’est le dépenser plutôt en Afghanistan.

"Retourne chez toi, Amérique" avait dit George McGovern pendant la guerre du Vietnam. C’est la seule injonction sensée depuis plusieurs années maintenant. Mais l’Amérique est un pays de démesure dans tous les domaines, semble-t-il, sauf dans celui du sens commun.

Dans son analyse du discours télévisé de Bush sur la crise "actuelle", Gail Collins (dans le NYT) a bien résumé nos problèmes dans sa chronique ce matin : "Bush en est arrivé à ce point douloureux dans la vie publique en Amérique où une personne célèbre commence à ressembler à sa caricature".

Mais la vieille chanson du film hindi, "Tere Mere Sapne" (1971), le dit encore mieux : Andhi Praja, Andha Raja, Taka Ser Bhaji, Taka Ser Khaja.

Ce qui veut dire : Un peuple aveugle dirigé par un roi aveugle et un pays dépourvu de sens critique qui ferait payer une livre de légumes le même prix qu’une livre de produits exotiques.

N’oublions pas combien nous sommes spéciaux : le seul pays au monde qui a accordé un second mandat à quelqu’un comme Bush, la personne capable de parler de rouge à lèvres, de cochons ou de l’effondrement de notre économie – et tout cela avec la même gravité.

Niranjan Ramakrishnan est un écrivain qui vit sur la Côte Ouest des Etats-Unis

Article original :

http://www.counterpunch.org/ramakri...


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