Le Rat qui s’est retiré du monde (Jean de La Fontaine)

samedi 19 novembre 2022.
 

- A) Fable « Le Rat qui s’est retiré du monde »

- B) Petite analyse de cette fable

Jean de La Fontaine, poète engagé et libre, poète du peuple

A) Fable « Le Rat qui s’est retiré du monde »

Les Levantins en leur légende

Disent qu’un certain Rat las des soins d’ici-bas,

Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,

S’étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.

Il fit tant de pieds et de dents

Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage

Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?

Il devint gros et gras ; Dieu prodigue ses biens

A ceux qui font voeu d’être siens.

Un jour, au dévot personnage

Des députés du peuple Rat

S’en vinrent demander quelque aumône légère :

Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat ;

Ratopolis était bloquée :

On les avait contraints de partir sans argent,

Attendu l’état indigent

De la République attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours

Serait prêt dans quatre ou cinq jours.

Mes amis, dit le Solitaire,

Les choses d’ici-bas ne me regardent plus :

En quoi peut un pauvre Reclus

Vous assister ? que peut-il faire,

Que de prier le Ciel qu’il vous aide en ceci ?

J’espère qu’il aura de vous quelque souci.

Ayant parlé de cette sorte

Le nouveau Saint ferma sa porte.

Qui désignai-je, à votre avis,

Par ce Rat si peu secourable ?

Un Moine ? Non, mais un Dervis :

Je suppose qu’un Moine est toujours charitable.

Jean de La Fontaine, Fables

B) Petite analyse de cette fable

Cette fable très peu étudiée dans le cadre scolaire illustre pourtant un aspect important dans la littérature libertine de l’époque : une fine critique de l’Eglise.

L’histoire est limpide : dans un contexte de guerre contre leur "république" (noter ce terme au 17ème siècle), des habitants demandent un petit secours conjoncturel à un moine qui ne manque de rien. Mais

Le nouveau Saint ferma sa porte.

Quiconque lit ces vers constate que leur moralité n’est autre que l’égoïsme des moines profiteurs "gros et gras".

Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?

Il devint gros et gras ; Dieu prodigue ses biens

A ceux qui font voeu d’être siens.

Pire, le moine en question s’est retiré du monde, non pour des raisons de foi mais pour tirer parti des avantages matériels attachés aux religieux réguliers.

Le fabuliste dénonce, comme Rabelais avant lui, la gourmandise des moines, retirés du monde seulement pour assouvir leurs désirs.

Pour contourner la censure et surtout les censeurs, La Fontaine :

- situe l’histoire au Moyen-Orient, parmi les "Levantins".

- nomme ce religieux égoïste Un Moine ? Non, mais un Dervis (sorte de moine musulman)

- met en scène un rat symbolisant le moine comme le lion symbolise le roi...

De plus, l’auteur évite d’affirmer, laissant juge le lecteur :

Qui désignai-je, à votre avis

Je suppose qu’un Moine est toujours charitable.

La structure narrative est construite comme un conte : état initial, péripéties, élément perturbateur, victoire du "héros".

En fait, La Fontaine fait référence à un évènement contemporain, le refus de l’Eglise de contribuer aux frais de l’Etat royal en pleine guerre contre la Hollande. Il faut comprendre ainsi le choix du fromage de Hollande dans lequel le moine prospère.

Jacques Serieys


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