La mondialisation de quoi, comment, pour qui ? (2 Les acteurs de la mondialisation)

lundi 27 août 2018.
 

Pour commencer, il convient de présenter les acteurs de la mondialisation et, pour le faire, nous allons les diviser en quatre grands groupes. Nous commencerons avec les gouvernements, un terme que nous avons préféré à celui d’État qui a le désavantage d’être trop abstrait et qui nous pousse parfois à sous-estimer à quel point le pouvoir ou la puissance est au coeur du politique ; en ce sens tous les gouvernements, même ceux qui opèrent dans des États dits faibles ou subalternes, disposent toujours d’un pouvoir qui leur permet de faire des choix, ou de ne pas en faire, de représenter, ou non, leurs commettants, d’intervenir, ou pas, dans l’économie et la société.

Le deuxième acteur, ce sera l’ensemble des institutions financières internationales. Nous leur avons accordé un statut comparable à celui des trois autres acteurs, malgré que ces organisations, en théorie du moins, relèvent des États qui en sont membres, c’est-à-dire en définitive des gouvernements eux-mêmes qui leur confient des mandats et qui en surveillent l’application. Cependant, à cause de l’ascendant que certaines de ces institutions exercent dans le domaine de l’économie surtout, à cause de leur autonomie apparente aussi, nous allons les traiter séparément.

Les deux autres acteurs sont constitués respectivement des corporations transnationales (CTN) et de l’ensemble des citoyennes et citoyens.

1- Les gouvernements

Au premier plan, nous avons les gouvernements qui appliquent de gré, quand ils sont développés ou quand il s’agit d’élèves modèles comme le Chili ou le Mexique, ou de force, quand ils ne le sont pas, les politiques macro-économiques définies au niveau global à l’intérieur des grandes organisations économiques dont ils sont membres et où les pays riches exercent une influence prépondérante. Certaines parmi ces politiques économiques, comme les politiques tarifaires, commerciales ou les politiques d’investissement font ensuite l’objet d’ententes entre partenaires privilégiés qui négocient et signent des accords dits "régionaux" qui sont en fait des accords entre quelques pays. C’est ainsi que les États-Unis ont ouvert le bal en signant un premier accord bilatéral avec Israël en 1985, bientôt suivi d’un second accord bilatéral avec le Canada en 1989, puis d’un accord trilatéral, incluant cette fois le Mexique, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), en 1994. La même année, en décembre, la Maison Blanche convoquait le Premier Sommet des chefs d’État et de gouvernement des Amériques qui devait ouvrir les négociations en vue de créer une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) réunissant 34 partenaires des deux hémisphères, sans Cuba, dans un Accord de libre-échange des Amériques (ALÉA) qui entrerait en vigueur en 2005.

À l’heure actuelle, les négociations sur le libre-échange conduisent à effectuer des concessions de part et d’autres sans que les citoyennes et citoyens soient informés des enjeux et des conséquences des accords auxquels leurs gouvernements souscrivent. C’est d’ailleurs sur ce point précis que nous faisons face à un problème majeur que l’on rencontre un peu partout dans les Amériques à l’heure actuelle. Car si les gouvernements qui négocient accords par dessus accords sont bel et bien des gouvernements "démocratiquement élus" comme ils se présentent eux-mêmes et comme ils le soutiennent pour mener des négociations à 34 en excluant Cuba qui ne répond pas à cette exigence, il n’en reste pas moins que nous avons affaires à une démocratie d’exécutifs, une expression qui sert à désigner le processus par lequel ces exécutifs s’arrogent tout un ensemble de prérogatives dont ils ne rendent compte, ni à la population, ni même à leurs propres pouvoirs législatifs.

Dans la plupart des cas, en effet, les pouvoirs législatifs sont mis au courant après le fait des résultats des négociations. De plus, lorsque les textes des traités sont repris dans des législations nationales, ainsi que cela s’est produit au Canada quand le fédéral a sanctionné la loi qui portait application des termes de l’ALÉNA, ou quand l’Assemblée nationale a fait la même chose, contrairement à l’Ontario en passant, les législateurs se contentent d’approuver ces accords tels quels. Tout le processus de la négociation et de l’approbation des accords de libre-échange est ainsi marqué par un important déficit démocratique. Témoigne de l’ampleur de ce déficit, par exemple, le fait que des partis politiques rivaux, qui défendent des approches contradictoires vis-à-vis du libre-échange, voient leurs exécutifs reprendre la ligne politique de l’exécutif précédent, comme cela s’est produit aussi bien aux États-Unis avec le démocrate Clinton qui reprend le projet du républicain Bush, qu’au Canada, avec le premier ministre Chrétien qui reprend l’approche de son prédécesseur Mulroney, après l’avoir condamnée tandis qu’il était chef de l’Opposition. Témoigne également de l’ampleur du déficit démocratique cet autre fait, sans doute plus révélateur, que ces exécutifs sont davantage imputables vis-à-vis des institutions économiques internationales, ou vis-à-vis des grandes entreprises, qu’ils ne le sont vis-à-vis leurs propres électeurs.

Nous avons une réaction intéressante et révélatrice en même temps de ces transformations et contradictions dans cette initiative qu’a prise l’Assemblée nationale à Québec de convoquer la première conférence des parlementaires des Amériques en 1997, la COPAM. Il s’agissait de réunir les 35 parlements centraux, y compris Cuba, 164 parlements infra-étatiques des Amériques et les 5 parlements supra nationaux. Un des thèmes centraux des discussions a précisément porté sur le rôle des députés face à la progression de l’intégration économique telle qu’elle est négociée par les exécutifs à l’heure actuelle et la Déclaration finale déplore précisément l’évolution en cours à ce chapitre.

2- Les institutions économiques internationales

Un des principaux vecteurs de la mondialisation à l’heure actuelle, c’est sans contredit certaines grandes institutions économiques ainsi que des organisations internationales et régionales. C’est pourquoi nous leur accordons une place à part en tant qu’acteur de la mondialisation. Pour comprendre leur rôle et la place qu’elles occupent dans la stratégie de la mondialisation, il est intéressant d’établir une liste d’ensemble. En tête de liste, nous avons bien sûr quelques grandes organisations économiques internationales comme la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD) et autres agences, mieux connues sous le nom de Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), tous deux mis sur pied lors de la conférence de Bretton Woods, en 1944, ainsi que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1994, qui succédait au GATT né en 1947.

Ensuite, nous avons des organisations économiques régionales dont le rayon d’action se déploie à l’échelle de continents, comme la Commission pour l’Amérique latine et la Caraïbe des Nations Unies (CEPALC) et la Banque interaméricaine de développement (BID) qui jouent toutes deux un rôle actif dans le processus d’intégration des Amériques.

Enfin, toujours au niveau économique, nous avons des organisations qui réunissent des pays à partir d’affinités objectives, le fait d’être ou de ne pas être riche, par exemple, comme c’est le cas pour l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui comprend 29 membres, 27 qui comptent parmi les pays les plus développés, de même que la Turquie et le Mexique qui ne le sont pas. À cela, il faudrait aussi ajouter une entité qui n’est pas une organisation au sens strict, mais qui n’en joue pas moins un rôle tout à fait déterminant dans la définition des grands paramètres d’une économie politique commune de la part des participants à ces conférences qui se tiennent sur une base annuelle, il s’agit des réunions du G-7, c’est-à-dire du groupe des sept pays les plus développés qui reçoivent à certaines occasions un représentant de l’Union européenne (UE) et le président de Russie, ce qui en fait un G-7+2, parfois un G-8. Ainsi, c’est lors du G-7, d’Halifax en 1995 que les participants ont convenu de s’engager à poursuivre une politique de réduction du déficit budgétaire. Au Canada, comme aux États-Unis, cette politique a été expliquée avec rigueur en tant que politique du « déficit zéro », politique qui a par la suite été reprise avec une belle unanimité par le gouvernement fédéral ainsi que par tous et chacun des gouvernements provinciaux toutes tendances politiques confondues.

À côté de ces organisations à vocation économique, il y a toute une panoplie d’organisations à vocation politique, que nous pourrions classer comme nous venons de le faire pour les organisations économiques, en distinguant une organisation universelle, l’Organisation des Nations-Unies (ONU), et des organisations régionales, l’Organisation des États américains (OEA), par exemple, qui, elle aussi, joue un rôle important dans le processus d’intégration des Amériques. Il existe également des instances qui ne sont pas des organisations mais des forums comme le Forum économique de Davos (voir annexe 1).

Enfin, il convient de citer des organisations ou des rencontres annuelles qui visent à favoriser échanges et intégrations entre quelques pays, voire entre états américains et provinces, comme c’est le cas de la réunion annuelle des gouverneurs et premiers ministres de la côte est.

Bien sûr, toutes ces organisations et rencontres sont financées et dirigées par les États membres et, règle générale, la contribution est fonction de la puissance économique, ce qui ne changerait rien si chaque pays disposait d’une seule voix dans la prise de décision, mais ce n’est pas le cas, en particulier, au sein des organisations économiques comme la BM ou le FMI où le poids politique est établi en fonction de l’apport financier des membres. Et comme les États-Unis fournissent la contribution la plus importante, ce sont eux qui ont le plus de poids, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas consensus entre les membres dans la prise de décisions.

3- Les multinationales (CTN)

Le phénomène de la multinationalisation, ou encore de la transnationalisation des activités des entreprises est sans doute le phénomène majeur de cette fin de siècle.

La globalisation est impulsée par les CTN qui globalisent leur propre processus de production et qui poussent les gouvernements à adopter des lois qui favorisent la prise en charge par le marché de la production et de la répartition des biens collectifs. Il y aurait à l’heure actuelle environ 40 000 CTN dans le monde, dont 4 000 seulement dans les pays moins développés.

Leur poids économique excède celui de pays importants. Par exemple, en 1968, en termes de poids économique, General Motors arrivait au 18ième rang devant l’Allemagne de l’Est, la Belgique et la Suisse. En 1982, Canadien Pacifique, avec un chiffre d’affaires de 12.3 milliards de $ arrive à égalité avec la Nouvelle-Zélande ; en 1993, Exxon, avec 111milliards de $ de ventes annuelles détient une richesse qui correspond à trois fois le PNB de l’Irlande.

Mais ce n’est pas seulement le poids économique de ces entreprises qui compte, c’est également, et surtout, leur poids politique. De plus en plus, les groupes et associations d’hommes d’affaires sont impliqués directement et agissent à titre de consultants dans les négociations économiques en cours au niveau international et au niveau régional. Cette influence se manifeste dans des organisations patronales mondiales, comme la Chambre de Commerce internationale (CCI) dans des organisations régionales ou nationales. Elle se manifeste aussi dans des groupes de pression, des fondations et des « pompes à idées » (« think tanks »), comme, l’Institut C.D. Howe, le Conference Board, le Fraser Institute.

4- Les mouvements sociaux

Dernier acteur de la mondialisation en importance, mais le premier en nombre, il resterait à présenter tous ces groupes, organismes, organisations qui appartiennent à ce que l’on désigne comme la société civile. La signification de ce terme est ambiguë, parce que la société civile comprend aussi bien les personnes physiques que les personnes morales ; or à titre de personnes morales, les grandes entreprises en feraient également partie.

Cependant, de plus en plus, on accrédite l’idée que la société civile comprend essentiellement les individus et leurs groupes sociaux, syndicaux, environnementaux ou autres.

Certains parmi ces mouvements sociaux sont impliqués depuis longtemps déjà dans la question des effets de débordement des accords de libre-échange sur les populations, les sociétés, sur les politiques gouvernementales, sur les rapports entre les niveaux de gouvernements. Parmi ceux-ci le mouvement syndical a joué et joue toujours un rôle important qui lui a valu parfois d’être consulté par les gouvernements et même par des organisations internationales, à l’instar d’autres associations et groupes d’ailleurs.

Ces dernières années, des réseaux internationaux ont été mis sur pied et organisés afin d’échanger informations et analyse, de définir des plates-formes de revendications et d’élaborer des stratégies communes. Les réunions internationales où l’on discute de l’avenir de la planète entre représentants des gouvernements et ceux du grand capital sont de plus en plus accompagnées par des rassemblements parallèles de représentants d’organisations populaires, syndicales, de femmes, de peuples autochtones, d’organisations non gouvernementales (ONG), de groupes de défense de l’environnement. La dernière de ces réunions s’est tenue à Santiago du Chili en avril 1998, en marge du Deuxième Sommet des chefs d’État et de gouvernement.

Le Sommet populaire des Amériques a servi à jeter les bases d’une alliance sociale continentale.


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