La présidence tchèque de l’UE propose un modèle du 14ème siècle : in varietate concordia

vendredi 30 janvier 2009.
 

Peut-on donner plus à penser que le premier ministre tchèque prenant pour son pays la présidence du Conseil devant le Parlement européen “ alors que l’Union européenne dans son ensemble et tous les Etats membres recherchent un nouveau visage pour l’Europe ” ? Le 14 janvier dernier, Mirek Topolanek inaugurait devant les députés la présidence tchèque du Conseil de l’Union pour six mois “ Ce que vit à l’heure actuelle l’Union européenne, qui recherche son visage et le sens de son existence, nous le connaissons bien de par notre histoire. Nous pouvons donc offrir à l’Union, alors que nous en assurons la présidence, un expérience de deux cents ans de recherche de notre rôle dans l’histoire, de notre place dans la famille des peuples européens ”.

Deux cents ans seulement ? Que non. D’entrée, Mirek Topolanek ouvre une perspective autrement profonde sur l’histoire européenne, rappelant, non sans malice, aux députés des 27 nations présentes que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, qu’il y a eu une vie, et quelle vie, avant le Traité de Rome. “ C’est à la cour de France qu’a vécu le plus grand roi de notre histoire, Charles IV, roi de Bohême et empereur du Saint Empire romain germanique, qui, suivant l’exemple de la Sorbonne à Paris, a fondé l’université de Prague, l’une des institutions majeures du savoir européen (...). Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi l’exemple d’un souverain du Moyen-Age (... puisque) Charles IV a dû intégrer et représenter toute la diversité de son empire ”.

Nous voilà projetés au 14ème siècle au beau milieu des familles régnantes européennes. Charles IV est en effet le neveu du roi français Charles IV dont, né Venceslas, il prend le nom, et donc oncle et parrain du roi de France Charles V. Il devient empereur romain germanique en 1355, lui, fils de Jean l’aveugle mort pour le royaume de France à la bataille de Crécy (1346), roi de Bohême et de Pologne, de la maison de Luxembourg, dans le tohu-bohu des luttes pour le gouvernement du monde chrétien. Le moment est difficile : l’empire romain germanique a encore deux têtes, l’empereur, élu des grands électeurs des principautés de l’empire et le Pape, dont l’empereur tient la consécration. Ajoutons la rivalité des dynasties allemandes des Habsbourg, Luxembourg, Wittelsbach. Nous sommes bien au coeur de l’Europe – et de son histoire.

Ainsi, au moment où l’histoire impériale devient l’histoire allemande, Charles IV va-t-il dégager l’Empire de l’ingérence papale, organisant un mode d’élection qui va perdurer jusqu’au 19ème siècle , conseillant le roi de France Charles V, développant et favorisant cette Europe des savoirs dont, nous dit encore Mirek Topolanek, “ la fière famille des nations européennes ” est l’héritière. Ainsi, “ l’Union européenne reprend en quelque sorte cet universalisme du Moyen-Age ”, tout en donnant “ la primauté au code moral commun et à une base juridique commune sur les pouvoirs locaux ”. Dans ce cadre, “ la taille des pays n’est pas importante. Ce qui importe, c’est la capacité de servir une cause commune ”.

A ce point, rien d’hérétique : alors, posons-nous une question. Pourquoi ce discours a-t-il été mal accueilli, à l’heure où nous écrivons non traduit sur le site du Parlement, peu repris dans les médias ? Parce qu’il contient une critique directe que tout le monde, les députés eux mêmes – et les peuples – partagent à voix basse ? “ Certes, nous entendons parler d’une autre Union européenne : bureaucratique, technocratique et dépourvue d’esprit. Mais moi je crois en la première Europe, à l’Europe de liberté, du droit, des idées et des règles ”. Ou parce qu’il fait éclater le corset imposé par la vision d’une Europe fondamentalement méchante, anarchique, querelleuse jusqu’à l’absurde qu’on pouvait comprendre après la deuxième guerre mondiale, dans un moment de ruine et de consternation générale ?

Dans l’atmosphère de l’époque, l’échec des démocraties européennes était tel que tout s’est passé, sous l’impulsion de Jean Monnet en particulier, comme s’il fallait gommer, oublier l’histoire de l’Europe pour la refonder comme des “ Etats-Unis d’Europe ” sur un modèle qui avait réussi outre atlantique – monde dont il était très proche à la fois par la pratique et par les intérêts personnels. Le vocabulaire européen d’aujourd’hui en garde d’ailleurs la trace, avec l’évocation de “pères fondateurs” à l’imitation de l’historiographie américaine. Mirek Topolanek, qui défend le lien transatlantique (“ dans le domaine des relations transatlantiques, il est évident que sans renforcement et développement des liens existants, l’UE, tout comme les Etats-Unis, ne pourra guère jouer son rôle d’acteur puissant au niveau mondial ”) n’en revient pas moins aux fondamentaux, au patrimoine, d’un passé riche et lui réel, des peuples du continent.

Signe des temps, au fond. Tout le monde sait que le monde a changé. Curieusement, c’est dans une critique virulente de la présidence tchèque alors à venir (article titré sans nuance “ Le péril tchèque à la présidence de l’Europe ”) que l’on en prend la mesure : “ La crise bancaire et financière, puis économique et sociale, à tout changé (...). Alors que le système bancaire vacillait tout entier, que les places financières s’effondraient avec fracas, que les Etats-Unis (à l’origine du désastre) s’empêtraient dans les médiocres plans Paulson après avoir commis la sottise de laisser Lehman Brothers faire faillite, le président français s’est saisi d’autorité des commandes d’un navire européen qui prenait l’eau de toute part. Il a enjambé sans hésiter les procédures rituelles, ignoré les méandres des consultations infinies et des compromis éternels ”.

S’il faut à l’Union “ quelqu’un capable d’ignorer les règles pour trouver les solutions ” - ce que Mirek Topolanek est supposé ne pas être, en toute discourtoisie – c’est que ces règles sont obsolètes. Cinquante ans après la guerre, le vieil Européen en charge du jeune navire rappelle aux députés sensés représenter les citoyens qui les ont élus les ressources de leur histoire propre, ancienne, fertile (Charles IV est un fondateur, et un fédérateur), ressources dont ils peuvent s’inspirer pour construire leur futur commun. Où est le pêché mortel ? Parce que le reste de son discours est classique. Les priorités de sa présidence ? Trois “E” : l’économie, l’énergie, l’Europe et le monde – dont l’ouverture à la Russie. Un agenda qui répond de plus aux problématiques du moment, à la suite de la présidence française, avant la présidence suédoise.

Qu’est ce qui est donc si scandaleux ? D’évoquer un homme, Charles IV, qui parlait cinq langues, représentait à lui seul la complexité et la diversité européenne, et qui a su négocier entre des principautés rivales le système allemand qui a perduré jusqu’au milieu du 19ème siècle, après les révolutions de 1848 ? Une réussite, en somme, mais qu’il faudrait taire, comme nous avons renié notre patrimoine en dessinant sur nos billets de banque, les euros, des monuments qui n’existent pas ? Peut-être sa façon d’évoquer l’Europe réduit-elle les Traités à ce qu’ils sont, des épisodes d’une histoire longue – et seulement cela, point de mythes ici, point d’hagiographie européenne.

Les députés auraient-ils eu le vertige ? Les débats ont été vifs, en particulier autour de la ratification du Traité de Lisbonne parce que Mirek Topolanek pense – et le dit, non pas dans son discours, mais au cours du débat, quand il répond à titre personnel – que “ dire aux Etats membres qu’ils doivent absolument le ratifier est tout à fait absurde ". Voilà un Européen “ fier que nous soyons devenus membres de l’OTAN et de l’Union européenne ” stigmatisé comme “euroseptique” quand le Parlement, lors de l’approbation du Traité de Lisbonne, refuse de voter un amendement par lequel il “ s’engageait à respecter le résultat du référendum irlandais ” et que son président, Hans-Gert Poettering, le félicitait “ pour ce résultat convaincant ” .

Vertige ou pas, tous les Européens cherchent un “ nouveau visage pour l’Europe ”. Est-il judicieux de forcer le train ? Charles IV, lui, a pris le temps, pour rassembler toutes les composantes de l’Empire en une large concertation : ses travaux n’étaient pas terminés à Nüremberg (1355) ? Il les reprend à Metz l’année suivante. Le mode d’élection de l’Empereur est codifié, l’empereur est le suzerain de tous les fiefs allemands, les sept princes électeurs ont rang de souverain.

Son oeuvre sera durable, in varietate concordia, la preuve par l’exemple.

Hélène Nouaille, Alain Rohou


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